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Opinion | L’idéologie du « bann » en Haïti

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La sexualité des hommes hétéro est en grande partie axée sur le « bann ». Cela implique l’utilisation des « zombis » lors des relations sexuelles

Parler de la sexualité est toujours un sujet passionnant. Pour certains auteurs comme Dany Laferrière « Écrire le sexe, c’est parfois mieux que le faire » (Journal d’un écrivain en pyjama, p.164). Surtout quand cela permet de regarder l’évolution des rapports sociaux au sein de la société, et ceux de sexes particulièrement.

En effet, nous constatons, concrètement, un changement considérable dans les rapports sociaux de sexe et particulièrement dans la sexualité en Haïti.

D’après le rapport EMMUS-V, les femmes entrent en rapport sexuel avant le mariage plus tôt que les hommes. Ces résultats ont montré que l’âge moyen d’entrée en sexualité pour les filles est entre 14 et 15 ans et pour les garçons il est entre 16 et 18 ans. Tandis que dans le rapport du Ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP), cet âge est compris entre 12 et 15 ans pour les filles et 14 et 16 ans pour les garçons.

Malgré cette différence entre les résultats de l’EMMUS-V et celui des enquêtes du MSPP, on déduit que les filles comme les garçons débutent leur carrière sexuelle de très tôt, soit dans leur adolescence. Et du coup, l’un des éléments nouveaux dans les rapports sociaux de sexe en Haïti est la préséance d’âge des premiers rapports sexuels des filles sur celui des garçons.

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À côté de ce changement, nous remarquons que l’idéologie du « bann » organise en grande partie la sexualité des hommes hétéro. Il s’exprime par l’implication du phénomène zombi dans la sexualité. C’est ce phénomène que nous voulons aborder dans ces lignes.

Il ne s’agit pas ici de reprendre certaines explications de bon sens déjà attribuées à l’idéologie du « bann » qui, selon nous, ne tiennent pas compte de certains changements au niveau de la sexualité en Haïti et aussi au niveau des rapports sociaux de sexe.

Autrement dit, nous voulons montrer que l’usage des zombis pendant les rapports sexuels entre un homme et une femme, ne signifie pas la domination du premier sur la seconde ou du moins ne reproduit pas le schéma traditionnel bourreaux victimes, mais, il s’agit plutôt, d’un des effets de la subversion des rapports sociaux de sexes dans la sphère de la sexualité et aussi d’un processus de féminisation de la sexualité en Haïti.

Le phénomène zombi quid ?

Les zombis résultent de la médicalisation de la sexualité. Ce sont des produits créés à partir des savoirs populaires et scientifiques que certaines personnes de sexe masculin utilisent pendant les rapports sexuels afin de pouvoir rester en érection ou du moins garder son « bann » pendant un certain nombre de temps. Ces produits sont accessibles sur le marché informel et dans certains supermarchés. Ils sont nombreux, mais les plus connus sont le « Sòspwa » et le « viagra ». Ces zombis permettent à celui qui les utilise d’optimiser considérablement sa performance sexuelle grâce à une diminution de la sensibilité du gland du pénis, notamment.

Nous avons interrogé dans le cadre de cet article certains utilisateurs de zombi, dont des hommes mariés âgés de 16 ans à 30 ans. Pour beaucoup, l’usage des zombis est important lors d’une première fois avec une femme. Certains confirment qu’il leur est difficile de s’en passer. Une double signification au moins y est attribuée. D’une part, ils veulent tous satisfaire la fille pendant la relation sexuelle, dans l’idée de l’aider à atteindre l’orgasme. D’autre part, ils veulent prouver qu’ils sont « virils », pour ne pas sortir la tête basse à cause d’une éjaculation rapide.

Certains en prennent juste par curiosité, mais d’autres sous la pression de leurs partenaires qui exigent un coït de plus longue durée. Il arrive même parfois que dans certains couples, des femmes achètent elles-mêmes les zombis pour leur partenaire. Les quelques hommes interrogés témoignent que de nos jours, certaines filles et femmes sont devenues très exigeantes en ce qui concerne la sexualité. Elles réclament dans chaque rapport sexuel avec un homme leur droit à la jouissance.

L’atteinte de l’orgasme comme fondement de la sexualité

L’un des effets de la modernité est de délier la sexualité du carcan reproductif pour la placer au cœur du plaisir. Plaisir qui selon plus d’un, devient effectif par l’atteinte de l’orgasme. De nos jours, les relations sexuelles doivent obligatoirement conduire à l’orgasme. Ainsi, l’orgasme est devenu le nouvel ordre sexuel.

Pour les sexologues, l’orgasme est une expérience humaine universelle impliquant autant le physique que le psychisme. En ce sens, on parle d’orgasme masculin et d’orgasme féminin, et aussi, on parle de l’orgasme comme un phénomène psychophysiologique (Sexualité : Regards actuels, B. Geramin & P. Langis, 1990, p 80-86). Toutefois, rien n’est précis quant à la définition de l’orgasme. Les sexologues arrivent généralement à décrire la manifestation d’un orgasme plutôt qu’à le définir véritablement.

Ce que nous retenons ici c’est qu’aujourd’hui, le but de la sexualité est la recherche de l’orgasme. Et c’est ce dernier qui organise la réussite ou non d’un rapport sexuel entre hétéros. En plus, cet outil va devenir le cheval de bataille de nombreux féministes qui vont mettre en avant l’orgasme féminin. Et comme le témoignent certains hommes dans le cadre de ce travail, la plupart des femmes réclament leur droit à l’orgasme.

Sexualité en Haïti entre féminisation et égalité de sexe

L’usage des zombis par certains hommes hétéros nous oblige à regarder la sexualité et les rapports sociaux de sexe en Haïti.

Pour beaucoup de filles, c’est l’acte sexuel qui constitue l’acte fondateur d’une relation amoureuse avec un partenaire. Les rapports EMMUS-V et MSPP ont montré que les filles/femmes ainsi que les gars/hommes ont commencé leur carrière sexuelle à peu près vers le même âge.

La fille n’est plus obligée d’attendre jusqu’au mariage pour débuter sa carrière sexuelle. Ce changement touche toute la société. Comme l’ont révélé les mêmes rapports, aujourd’hui les filles débutent leur sexualité avant même les garçons. Ce qui explique que les femmes de nos jours ont eu généralement plusieurs expériences sexuelles avec plusieurs partenaires pendant leur jeunesse avant même qu’elles envisagent de se mettre en couple officiellement.

Et nous pouvons aussi regarder cette féminisation en termes de subversion. Jadis, la sexualité restait l’apanage des hommes qui l’orchestraient et l’organisaient pour la simple satisfaction de leur besoin. En ce sens, l’histoire traditionnelle se résumait à l’histoire d’un homme voulant jouir le corps d’une femme. Aujourd’hui, avec la sexualité-orgasme, la sexualité des femmes prend le devant de la scène de plus en plus. À la place de la simple satisfaction des garçons/hommes hétéros surgit un partage réciproque d’orgasmes entre les partenaires (femmes – hommes hétéros).

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Longtemps occultée, aujourd’hui la jouissance des femmes en ce qui concerne la sexualité devient [progressivement] une obligation. Aujourd’hui, grâce à cet instrument [orgasme] une femme hétéro peut juger si le rapport sexuel avec son partenaire a réussi ou échoué. Nous vivons au règne d’une idéologie qui réduit la vie sexuelle à l’atteinte de l’orgasme. La sexualité orgasmocentrique, orgasmocentrée s’impose. Ainsi, le rapport sexuel est vécu pour beaucoup d’hommes comme un duel où ils doivent prouver qu’ils sont « des vrais hommes », en conduisant sa partenaire au sanctuaire de l’orgasme. Toute éjaculation survenue avant l’éjaculation de sa partenaire est considérée, avec angoisse, non seulement comme précaire, précoce, mais aussi comme prématurée. Il a failli à sa mission. Il a failli à son rôle de facilitateur d’orgasme féminin. Un « vrai homme » doit pouvoir faire jouir la femme avec son pénis avant même d’éjaculer. Ils vivent [les hommes hétéros], dans ce cercle, l’éjaculation comme « un espoir sans espoir ».

En changeant de paradigme, la sexualité attribue au pénis le rôle et la fonction du roi. Il doit être toujours debout pour jouer son rôle de distributeur de plaisir. C’est en ce sens que certains soulignent que malgré nos sociétés dites démocratiques, nous avons des corps monarchiques, rassemblés autour d’un nouveau souverain pontifié : le dieu Pénis. Ce dernier doit se montrer relativement fort et puissant dans l’ordre actuel de la sexualité afin de pouvoir conduire la femme hétéro à l’orgasme qui est le but ou la finalité de la sexualité contemporaine.

Et les zombis sont donc ces produits à qui ils confient leur salut. Et malgré les échecs… ils croient encore en la capacité des zombis pour surmonter cette crise de masculinité. Ceci est vécu comme une obligation, c’est ce que traduisent les textes de chansons comme celle de KLASS, un groupe très connu dans le monde musical haïtien, Fè l vini anvan ou celui du Groupe Harmonik Cheri benyen m, Ou encore celui de Darline Desca Pik makaya.

Aujourd’hui, la sexualité est devenue, malgré les hommes, une activité organisée par eux non pas pour leur unique plaisir, mais pour un partage réciproque d’orgasmes. Ceci dit, si la majorité des femmes sont en pratique réticente à prendre l’initiative, par peur de se faire étiqueter de « chaud », «  bouzen », la sexualité reste aujourd’hui une activité féminisée en finalité en ce qu’elle doit conduire particulièrement à l’orgasme féminin. D’où la raison qui explique l’existence des zombis dans la sexualité hétéro en Haïti.

Frantz Eddy M. PETIT JEAN

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