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Opinion | «Non monsieur, je ne m’exprime pas parce que je couche avec un politicien»

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La journaliste et écrivaine Monique Clesca analyse un tweet sexiste et insultant, fustige la société haïtienne patriarcale, cause de cette violence envers des femmes et revendique son droit, et celui des femmes qui le veulent, à la parole et à l’action politique

Dans le tweet, tout est hâtif. Seize mots. Aucune ponctuation. La rage en haut-débit. Je commence par ça, même quand j’ai horreur des bêtises. Je m’en excuse. Mais je le fais pour vous faire vivre la violence inouïe que j’ai eu en plein visage à cause d’un tweet que j’ai posté il y a quelques jours. Que ce soit un homme ou une femme qui a écrit ce tweet, il reflète le mode de pensée patriarcal, et de ce fait, j’en parle comme si c’était un homme.

La journaliste et écrivaine Monique Clesca analyse ce tweet sexiste et insultant

Oui, j’ai été houspillée et qualifiée de « salope » sur Twitter par un monsieur dont le pseudonyme se traduit en « Haïti_cru ». Et même si rien ne justifie cette violence contre une femme – ni aucune violence – la réaction de ce monsieur à mon tweet n’était pas surprenante. Au-delà du sexisme, ces injures ignobles illustrent le lien entre trois éléments, notamment femme-politique-violence, qui ne font pas bon ménage selon les normes de notre société haïtienne.

C’est justement le fait qu’une femme ait posé un acte politique, celui d’émettre une opinion sur un sujet politique — qui a poussé Haiti_Raw si hors de lui qu’il s’est précipité pour écrire cette diatribe. Assez subtil, mon tweet annonçait la lettre des parlementaires américains demandant à Anthony Blanken, leur secrétaire d’état, de changer la politique étrangère vis-à-vis d’Haïti.

Oui, je me suis sentie salie par cette salve. C’est normal face à la violence même quand elle dure quelques secondes et que la Twittosphère offre une certaine distance entre les personnes. Mais Haiti_Raw connaît mon nom et ma photo, mais se cache derrière un pseudonyme et n’exhibe aucune photo sur sa page. C’est souvent comme ça avec les bourreaux, ils sont des lâches, qui pis est comptent toujours sur le silence des victimes.

Mais non, je ne me tairai pas. Parce que j’ai été à l’école des femmes insoumises et désobéissantes.

Je veux rendre visible cette culture qui veut écarter les femmes du territoire politique. Justement parce que l’enjeu est politique.

Au cours des ans, de nombreuses femmes ont également décidé de ne pas se taire et de faire entendre leurs voix concernant la violence qui entache les rapports sociaux et politiques en Haïti. Elles ont témoigné des agressions verbales, psychologiques et physiques subies lorsqu’elles se sont portées candidates à des postes politiques électifs ou quand elles ont été nommées à servir la République. « C’est quand j’ai déclaré ma candidature à un poste de parlementaire que j’ai su que j’étais une bouzen, alors qu’avant, j’étais une femme d’affaires couronnée de succès, » a lâchée l’une d’entre elles.

Dans la société haïtienne, l’homme détient le rôle dominant par rapport à la femme. Et il exerce le pouvoir dans le domaine politique, économique et religieux.

Au fond, qu’est-ce qui gêne ? C’est le fait qu’une femme ose émettre une opinion politique voire se positionner pour un poste politique. Se révèlent alors les hommes qui ne le supportent pas. Pourquoi ? Parce que dans la société haïtienne, l’homme détient le rôle dominant par rapport à la femme. Et il exerce le pouvoir dans le domaine politique, économique et religieux. C’est un construit. Le mot qui décrit ce genre de système social est patriarcat.

Ainsi, l’univers de la politique est considéré comme un monde d’hommes. Deux petites données permettent de le confirmer. La première est qu’il y a eu une seule femme, la juge Ertha Pascal Trouillot, parmi près de 75 présidents, empereurs, rois et autres qui ont gouverné Haïti depuis notre indépendance en 1804. La seconde est que Haïti occupe la 187ème position sur 193 pays avec 2.5% de femmes dans la chambre basse (3 sur 117) dans la Carte 2017 des femmes en politique, classement mondial de représentation politique des femmes ONU Femmes/Union Interparlementaire, ceci alors que les femmes constituent plus de la moitié, soit 52%, de la population haïtienne.

La plus belle chose qui s’est passée au sujet de Haiti_Raw — les tweets solidaires reçus en réponse au mien protestant ses mots aussi violents qu’indignes. Je n’étais pas seule. En effet, beaucoup d’hommes et de femmes ne se sont pas tus. Les uns et les autres ont mon respect. J’ai été particulièrement sensible aux messages des hommes, ce qui m’a donné espoir que les attitudes et les comportements des Haïtiens sont en train de changer de manière positive. Ceci, parce qu’il y a peut-être beaucoup plus d’hommes féministes qu’on en croit. Ou peut-être qu’il y a suffisamment d’hommes qui ne tolèrent pas qu’on violente, humilie et/ou domine les femmes pour annoncer un pays plus égalitaire et représentatif de sa population dans un proche futur.

La plume de l’un des hommes a renforcé ma détermination parce qu’il m’a gracieusement transmis un peu de la sagesse de sa mère : « Be strong… Lè l pi fè nwa, se lè sa l pwal fè jou, mamann konn di m. » Un autre a noté que le texte de Haiti_Raw était « sans une mèche de ponctuation, » et a accompagné sa réponse d’un poing levé, expression de force, de solidarité voire de révolte. Il y avait des philosophes parmi les deux sexes. Une femme m’a rappelé que : la vulgarité est la force des faibles. Plusieurs m’ont recommandé de le bloquer : « Bloke yo. Floch yo, » ce que j’ai fait, adoptant ainsi l’une des stratégies d’évitement utilisées par nombreuses femmes pour ne plus être cible de ces bourreaux. D’autres stratégies incluent ne pas s’exprimer sur la politique ou ne pas se présenter à des postes politiques électifs ou simplement ne pas accepter des postes nominatifs de haut niveau.

J’ai décidé de ne pas oublier ce qui s’est passé — produit de cette culture d’humiliation et d’abaissement des femmes et la violence qui l’accompagne dès qu’elles comme moi, osent parler politique. Ainsi, je profite pour en faire un peu de pédagogie.

Haiti_Raw insulte ma mère décédée depuis bientôt cinq ans et m’insulte, moi ainsi que mes enfants. Sans honte, il me met des « neg ooposition » entre les jambes. L’insulte est universelle puisqu’une femme s’est d’ailleurs indignée de son culot : « Mais tu as le droit de choisir un homme où tu veux. Ki mòd frekansite sa yo ? » Alors sans le savoir, Haiti_Raw a touché le point central de la mécanique de violence contre les femmes, dans ce cas moi : il a voulu m’enlever le droit de choisir ki nèg mwen vle, en d’autres mots il a voulu me contrôler, et surtout de contrôler mon corps.

Et c’est justement le message de la sociologue Danièle Magloire : « La spécificité de la violence contre les femmes réside dans le fait qu’elle vise les femmes en tant que telles, c’est à dire les individus de sexe féminin, et ce faisant, s’attaque à leur être même ; qu’elle a un caractère permanent et, partant, remplit une fonction sociale déterminée, à savoir le contrôle des individus de sexe féminin : contrôle de leur corps, de leurs activités et déplacements, contrôle de leurs pensées. » Cette analyse est extraite de son texte La violence à l’égard des femmes, une violation constante des droits de la personne publié en 2004 dans la revue haitiano – caribéenne Chemins Critiques.

Ainsi ce n’est pas un hasard que Haiti_Raw s’attaque à mon corps, à ma fonction de mère, et me traite de salope. Et dans sa volonté de me contrôler, il a projeté sur moi des amants de l’opposition (qui me disent quoi penser, sous-entendant que je suis incapable de penser pour moi-même), chose que de toute évidence, le gène. Et enfin il veut contrôler mes pensées parce qu’il n’accepte pas que je puisse avoir une opinion différente que la sienne. Et dire que je ne le connais même pas. Toute cette hargne était pour répondre à un simple tweet, donc juste pour le plaisir, imaginez que j’étais candidate à un poste politique quelconque et imaginez la multiplicité de la violence.

Alors dans notre société où dénoncer la violence que nous subissons des hommes reste quand même tabou, je dis aux femmes de se libérer des pièges d’enfermement dans le corps et aussi de libérer leur parole pour faire entendre leurs voix. Et au monde politique où les hommes ont toujours établi les normes et les codes incluant de faire violence aux femmes pour les contrôler et empêcher leur accession à des postes politiques, je dis ça suffit — pinga. Et aux femmes qui trop souvent sacrifient leurs ambitions politiques pour éviter de subir des violences quand elles ont assurément beaucoup à contribuer à la construction de notre nation, je dis qu’il faut perturber le statu quo et revendiquer nos espaces politiques — Fòk Nou La. Et moi, n’en déplaise à Haiti_Raw et ses grotesques semblables, je dis : Non, je ne garderai pas le silence.

Monique Clesca

Monique Clesca est une experte en communication et en développement international. Elle a une maitrise en journalisme de Northwestern University et une Licence en Philosophie de Howard University. Elle est commandeur de l’Ordre de Mérite de la République du Niger, et a reçu de nombreux honneurs en Afrique pour son travail de plaidoyer en faveur des droits des filles et des femmes. Elle est l’auteure de deux livres : un roman La Confession et Mosaïques, un livre d’essais. Ses articles ont été publiés par Le Nouvelliste, le Miami Herald, le New York Times, AyiboPost et des revues littéraires.

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