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Opinion | Dominée, la femme haïtienne porte encore un fardeau très lourd

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Ébauche d’une étude de la domination de la femme dans l’économie néolibérale. Cas de la société haïtienne

Réfléchir aujourd’hui sur les rapports de domination et de servitude homme-femme dans l’économie capitaliste au prisme de la dialectique du maître et de l’esclave proposée par le philosophe allemand Georg Wilhelm Friedrich Hegel peut paraître paradoxal dans une certaine mesure, et ceci pour plusieurs raisons.

Dans son texte intitulé «Crachons sur Hegel. Une révolte féministe», ouvrage qui se veut une critique radicale de l’auteur de la «Phénoménologie de l’esprit», la théoricienne féministe Carla Lonzi estime «simplistes les lectures de la domination masculine plaquées sur le schéma hégélien de la dialectique esclave-maitre pour penser la libération de la femme».Pour elle, la femme doit trouver un chemin à soi.

Ce point de vue de l’auteure présupposerait de toute évidence que l’exploitation subie par l’esclave diffère de la domination masculine, pour reprendre le titre d’un ouvrage de Pierre Bourdieu. Les deux formes de domination ne seraient pas de même nature, et par conséquent, les stratégies de libération de l’esclave et de la femme ne peuvent pas être les mêmes. Selon elle, Hegel n’aurait jamais pensé, les rapports intersubjectifs en termes d’égalité.

Les deux formes de domination ne seraient pas de même nature, et par conséquent, les stratégies de libération de l’esclave et de la femme ne peuvent pas être les mêmes.

Carla Lonzi affirme que «le marxisme, parcourant le chemin donné par la dialectique hégélienne, vise la chute de la culture bourgeoise sans troubler les valeurs masculines. La société marxiste est patriarcale, le patriarcat étant « tout projet de société porté par un protagoniste masculin« .» Sur ce point, la militante semble avoir raison, dans la mesure où, pour certains théoriciens marxistes, ce n’est pas tant la lutte des sexes qui importe le plus, mais la lutte des classes. Certains croient fermement que la libération du prolétariat entrainerait inévitablement, en termes de conséquences, l’émancipation de la femme. Cependant, cela s’avère historiquement faux si l’on se réfère à l’histoire de plusieurs révolutions socialistes du XXe siècle.

Toutefois, nous estimons que cette compréhension avancée par la théoricienne féministe de la pensée hégélienne à partir de la philosophie marxiste n’avait pas pris en considération toute la complexité, toute la richesse de la dialectique maître-esclave (maître-serviteur) que nous trouvons dans la «Phénoménologie de l’esprit».

Carla Lonzi, à mon humble avis, n’avait pas vu malheureusement en quoi la problématique de la reconnaissance mise en œuvre dans la philosophie de l’auteur de la «Raison dans l’histoire» pourrait nous aider à comprendre la place accordée aux femmes dans l’économie capitaliste notamment dans les pays du sud où les femmes sont assignées à des taches les plus dégradantes et humiliantes.

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En effet, Judith Butler et Catherine Malabou dans leur ouvrage emblématique qui s’intitule «Sois mon corps», dans lequel elles discutent la pensée hégélienne dans une perspective féministe, nous livrent une lecture beaucoup plus approfondie de Hegel concernant notre sujet dans le cadre de cette esquisse.

Certains croient fermement que la libération du prolétariat entrainerait inévitablement, en termes de conséquences, l’émancipation de la femme. Cependant, cela s’avère historiquement faux si l’on se réfère à l’histoire de plusieurs révolutions socialistes du XXe siècle.

Malgré son idéalisme, la dialectique du maître et de l’esclave hégélienne sous-tend toute la problématique de la domination, de l’instrumentalisation, de l’exploitation, de l’accaparement du corps de l’autre que nous trouvons dans les travaux modernes et contemporains selon Judith Butler Butler et Catherine Malabou, et elle serait une véritable boite à outils qui pourrait nous aider à rendre intelligible ce qu’on fait de la femme dans l’économie capitaliste notamment. Ainsi, selon les deux philosophes que nous venons de citer, la lutte entre le maître et l’esclave que nous trouvons chez Hegel serait avant tout un conflit autour de la question de la dépossession du corps de l’autre.

Catherine Malabou écrit que «Butler ventriloquise Hegel en donnant la parole au maître : «l’impératif auquel est soumis le serviteur est le suivant : sois mon corps, mais ne me dis pas que ce corps que tu es est le mien».

Le maître demande à l’esclave de supporter sa corporéité. Par cette injonction, l’esclave en vient à perdre automatiquement l’une de ses premières propriétés qui est normalement la condition de possibilité des autres propriétés pour parler comme John Locke : sa propriété de soi. Car l’acte posé par celui qui se comporte comme la personnification de Dieu sur terre implique une appropriation, disons une dépossession de soi de l’esclave. Puisque le maître arrive à transférer son corps dans celui de ce dernier, il se libère des soucis de la vie, de la pénibilité du travail tout en empêchant à l’esclave de vivre une vie digne et épanouie. Le corps de l’esclave devient dans une certaine mesure le corps même du maître.

Le maître demande à l’esclave de supporter sa corporéité.

L’esclave est exproprié de sa chair en acceptant la logique de cet exploiteur. Ce dernier devient disponible en rendant le corps de l’esclave indisponible. Et, puisque le corps du serviteur ne lui appartient plus, il devient la propriété d’un autre qui pouvait s’en servir comme bon lui semble. Il est dans ce cas désubjectivisé. Son corps qui est utilisé par un autre que lui-même devient un corps mutilé, fatigué, assujetti, soumis pour reprendre les expressions utilisées par le philosophe haïtien Edelyn Dorismond qui a travaillé très longuement sur cette question.

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L’esclave ne pouvait rien posséder dans la mesure où il est lui-même une possession, une chose, un bien meuble. Il est socialement mort pour reprendre une intuition de l’historien haïtien Lesly François Manigat. Il devait travailler pour enrichir, et satisfaire l’avidité d’un autre qui ne reconnait pas son humanité, son ipséité. Le maître qui profite de son travail vit une existence de jouissance en lui infligeant de la souffrance et de la douleur.

Dans l’économie néolibérale, cette logique de méconnaissance de l’humanité de l’autre est presque similaire en ce qui concerne le rapport homme-femme, notamment dans une société comme Haïti qui a fait l’expérience de la colonisation européenne pendant plusieurs siècles. Toutefois, avant d’aller plus loin, nous estimons qu’il est nécessaire de faire une précision.

Il faut dire que toutes les femmes du monde entier ne sont pas exploitées de la même manière ou à un même niveau. Les pratiques de dominations masculines s’inscrivent dans une perspective de «différance» pour reprendre un concept de Jacques Derrida. Autrement dit, elles sont à la fois mêmes et différentes.

Selon les féministes décoloniaux, notamment Françoise Vergès qui a beaucoup réfléchi sur la condition des femmes dans plusieurs contrées non Occidentale, les travaux qui ont été proposés par les auteures que nous avons citées ci-dessus ne suffisent vraiment pas pour arriver à comprendre la logique de la domination que subissent les femmes en général et les femmes noires plus particulièrement. Car, ces dernières subissent l’oppression non seulement parce qu’elles sont femmes, mais aussi parce qu’elles sont surtout femmes noires. C’est-à-dire, des anciennes colonisées qui ont une place spécifique dans la division internationale du travail et du commerce.

Il faut dire que toutes les femmes du monde entier ne sont pas exploitées de la même manière ou à un même niveau.

Un corps «noir» n’a pas la même valeur qu’un corps «blanc». Une migrante haïtienne et une femme blanche ne sont pas considérées de la même façon dans le «système monde» pour reprendre une expression du sociologue Immanuel Wallerstein. Elles ne subissent pas la violence des sociétés et de l’économie de manière identique. Puisqu’il y a presque toujours dans les communautés ce que j’appelle une «reconnaissance statutaire» ou une «reconnaissance différenciée».

En effet, depuis des temps immémoriaux, on avait toujours tendance à opérer une hiérarchie au niveau des individus. Le «noir» et «l’arabe» n’ont pas la même valeur que le «blanc». Les femmes ne sont pas reconnues de la même manière que les hommes. Elles subissent à la fois la domination du capital et la domination du sexe masculin. Dans l’économie capitaliste, le corps de femme est utilisé généralement au bénéfice d’un autre qui ne la considère pas comme un être ayant de la dignité, et qui mérite d’être respecté.

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Les appareils idéologiques mis en œuvre par la société, pour reprendre les expressions utilisées par le philosophe marxiste Louis Althusser, rendent le corps de la femme disponible pour l’exploitation. L’homme lui demande de devenir son double. C’est-à-dire, cette dernière aurait une obligation naturelle de travailler pour lui. Elle doit cuisiner, faire de la lessive, occuper les enfants et s’adonner à des petits commerces afin de nourrir toute la famille pendant que l’homme mène généralement une vie contemplative pour parler comme Aristote.

La femme ne reçoit pas un salaire ou une récompense pour ses efforts. Puisqu’elle effectue toutes ses tâches ménagères que nous avons mises en évidence, l’homme devient disponible pour le marché. Il pourrait travailler pour un salaire qui ne va pas améliorer automatiquement la condition matérielle d’existence de sa femme. Il devient, dans ce cas, à la fois un exploité et exploiteur, un dominé et un dominant. Il est paradoxalement un «dominé heureux» pour reprendre une expression utilisée par le sociologue Géraldo Saint-Armand dans un autre contexte. On y reviendra sur cet aspect.

Les appareils idéologiques mis en œuvre par la société, pour reprendre les expressions utilisées par le philosophe marxiste Louis Althusser, rendent le corps de la femme disponible pour l’exploitation.

La femme, surtout dans les pays du sud, n’est nullement considérée comme une fin en soi, mais comme un moyen en vue de la richesse. Nous pouvons prendre plusieurs exemples pour illustrer ce que nous venons de dire dans le cas d’Haïti, qui est une société appauvrie par l’insouciance de ses élites, de la brutalité et la violence de l’économie capitaliste.

Dans ce pays, on expose le corps de la femme dans des panneaux de publicité en dehors de toute question d’intimité, de décence et de dignité humaine. Et les gens ne voient aucunement un malaise dans un tel état de fait.

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Sur presque tous les produits alcoolisés, et les articles qui ont un caractère sexuel exposés dans les supermarchés ou dans les rues, nous avons une image de femme comme étiquette. Son corps est utilisé comme un excitant pour porter les gens à consommer les produits. Son corps est exploité de cette manière à des fins économiques. Elle est reconnue comme une marchandise parmi les marchandises. Elle devient un objet qui doit attirer l’attention sur les autres objets.

On pourrait prendre un autre exemple concernant l’instrumentalisation du corps de la femme à cette fin. Aujourd’hui, nous sommes dans une crise économique partout dans le monde notamment en Haïti, qui est au bord du gouffre.

Dans cette ancienne colonie, il y a une pratique qui se développe depuis plusieurs décennies, selon ce que nous apprend un spécialiste en matière de sécurité internationale, le professeur James Boyard. Il s’agit du tourisme sexuel, qui est une activité hautement économique pour les proxénètes.

Sur presque tous les produits alcoolisés, et les articles qui ont un caractère sexuel exposés dans les supermarchés ou dans les rues, nous avons une image de femme comme étiquette. Son corps est utilisé comme un excitant pour porter les gens à consommer les produits.

Selon Boyard, en Haïti, des individus qui ont de l’argent recrutent un ensemble de femmes qui ne sont pas en mesure de satisfaire leurs besoins élémentaires. Ces femmes sont placées surtout, selon lui, dans les hauteurs de Pétion-Ville, une commune du département de l’Ouest. On les expose dans des maisons de la même manière qu’on installe les produits alimentaires dans les supermarchés. «Les gens exposent leur « corps » […] comme « biens » à consommer», écrit Edelyn Dorismond.

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Lorsque les touristes rentrent dans le pays, ils vont acheter le service sexuel de ces femmes. Certaines fois, il y aurait même des rapports sexuels entre ces femmes et certains animaux domestiques notamment le chien afin de satisfaire les fantasmes de ces touristes qui n’ont aucun respect pour la dignité humaine.

Ce qui est paradoxal selon les témoignages recueillis, ce sont les recruteurs qui profitent le plus de l’argent reçu pour le service rendu par ces femmes. Donc, on peut comprendre facilement ce qu’on fait du corps de ces femmes dans ces pratiques. Le corps de ces dernières ne leur appartient presque pas. Un proxénète ou un propriétaire de bordel n’utilise pas son corps, il utilise celui de la femme pour arriver à s’enrichir. La logique c’est d’utiliser l’autre en vue de faire de l’argent, de tirer profit.

Donc, on peut comprendre facilement ce qu’on fait du corps de ces femmes dans ces pratiques. Le corps de ces dernières ne leur appartient presque pas.

C’est en ce sens que «Pour les féministes radicales, les violences sexuelles, mais également l’industrie culturelle, les publicités sexistes, la prostitution et la pornographie participent à l’objectivation des femmes.» Sur ce point, la clef de compréhension proposée par Judith Butler et Catherine Malabou concernant la question de la dépossession du corps chez Hegel est très pertinente pour arriver à expliquer cette situation d’exploitation de la femme sur le plan économique.

Il faut souligner que cette pratique de commerce du sexe résulte dans la société haïtienne de la dégradation de la condition matérielle des gens par une politique de dénégation de soi mise en œuvre depuis très longtemps par l’État haïtien, qui travaille notre société de part en part et qui porte les gens à accepter de tout donner lorsqu’il s’agit de profiter d’un avantage, pour reprendre l’auteur de la «Variation sur la créolisation».

En Haïti, les filles et les fils authentiques du peuple, pour dire comme Jacques Stephen Alexis, n’ont pas droit aux droits. Ils sont dans l’urgence. Puisqu’ils sont dans l’urgence, la première chose qu’ils risquent de perdre c’est leur liberté et leur capacité de penser pour arriver à prendre de bonnes décisions. Ils se cherchent en faisant fi de toute question de dignité. Edelyn Dorismond estime que ce phénomène qui portent les gens à accepter l’indigne «doit être compris en termes de conséquences des politiques dérisoires ayant porté les gens à exposer leur corps, leur « corps propre » dans des pratiques marchandes qui bafouent leur légitime appartenance à la collectivité et leur dignité».

En Haïti, les filles et les fils authentiques du peuple, pour dire comme Jacques Stephen Alexis, n’ont pas droit aux droits. Ils sont dans l’urgence.

Par ailleurs, dans son ouvrage monumental dans lequel elle réinterprète la philosophie du contrat des philosophes de la modernité politique, Carole Pateman nous donne une autre clef de compréhension concernant la domination du corps de la femme.

Elle soutient l’idée selon laquelle le contrat de mariage est en réalité un contrat de travail. Dans le couple marié, la femme, comme on le dit souvent, est affectée à des tâches ménagères et domestiques. En Haïti, généralement les gens ne sont pas mariés. Ils vivent le plus souvent dans une situation de concubinage. Mais, dans cette dernière pratique de construction de famille, la réalité du contrat de travail que nous trouvons sous la plume de l’auteure du «Contrat sexuel» reste et demeure-le même.

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En rapport à cette question de contrat sexuel, la sociologue Sabine Lamour affirme que la femme haïtienne a tellement de responsabilités dans son foyer, on la nomme «Poto mitan». C’est-à-dire, elle représenterait le pilier, le poteau qui a le plus d’importance dans une maison, le poteau qui supporte presque tout l’édifice.

De son côté, l’économiste et la théoricienne féministe haïtienne Mireille Neptune Anglade estime qu’en «Haïti, il existe une particularité au monde, c’est l’un des pays où ces femmes misérables travaillent le plus, au dire de toutes les statistiques internationales par pays venant d’organisme comme les Nations-Unies».

La femme haïtienne est sur-responsabilisée. Elle supplée l’homme dans presque tous les travaux domestiques. Cette situation implique une sorte de déresponsabilisation, un désengagement du sexe masculin.

En rapport à cette question de contrat sexuel, la sociologue Sabine Lamour affirme que la femme haïtienne a tellement de responsabilités dans son foyer, on la nomme «Poto mitan».

Mireille écrit que «la femme haïtienne ne semble pas avoir le choix de travailler ou de s’occuper de sa maison et de sa famille; elle doit travailler et pour n’importe quel salaire parce que les femmes sont massivement chefs de familles monoparentales a des pourcentages tellement élevés en Haïti et tellement de loin supérieurs aux autres situations de monoparentalités. » Pour sa part, le philosophe haïtien Louis Rodrigue Thomas nous apprend que les femmes haïtiennes qui vivent dans les milieux ruraux, « s’adonne [nt] à la fois à des tâches domestiques, agricoles, ouvrières (dans les moulins à cannes); elles sont couturières, éleveuses, cheffes de ménage, garde d’enfants, sans oublier d’autres activités de subsistance».

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Plus loin, le philosophe écrit que «D’autres, appelées « Madame Sara », s’adonnent à des activités commerciales en se rendant partout dans le pays, guettant le produit en vogue selon la tendance pour revenir le vendre à la capitale, et repartant de la capitale avec les produits dont les provinces ont besoin».

Cette réalité entraine une situation de souffrance et de fatigue extrême chez ces femmes. Ces dernières sont obligées de travailler pour le capital comme tout le monde dans des usines, dans la sous-traitance pour un faible salaire et aussi pour les hommes qui désertent ou qui restent sur le toit familial.

L’auteure que nous venons de citer écrit qu’il « s’est réalisé un Contrat tacite entre les sexes […] le masculin [en tant que groupe social] a dû concéder au féminin [en tant que groupe social] certains secteurs d’activités économiques pour lui permettre d’assumer l’élevage des enfants et la survie de la famille. »

Cette réalité entraine une situation de souffrance et de fatigue extrême chez ces femmes.

Puisque les femmes sont assignées au travail domestique non rémunéré pendant toute une journée, elle n’a pas de pouvoir d’achat en dehors des faveurs de leurs maris. Et en vertu du principe «qui finance commande», ces femmes deviennent sous la tutelle des hommes. Elles restent mineures sur le plan socio-économique malgré leur majorité juridique.

On peut comprendre la logique, puisque les hommes ne travaillent presque pas dans le foyer, ils peuvent travailler pour le capital, et du coup subordonner la femme à son service comme nous l’avons signalé ci-dessus. C’est dans ce contexte que Carole, qui a repris le motif hégélien maître-esclave, a affirmé que :

«Les anciens contrats entre un maître et son esclave ou entre un maître et son serviteur étaient des contrats de travail. Les esclaves et les serviteurs travaillent sous l’injonction de leurs maîtres. Le contrat de mariage est lui aussi une sorte de contrat de travail. Devenir épouse implique de devenir une ménagère : une épouse est quelqu’un qui travaille pour son mari dans le foyer marital

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Il y a tout un travail d’appropriation du corps de la femme qui est fait dans l’économie capitaliste. Les femmes sont instrumentalisées. On les empêche de vivre dignement. Elles sont infériorisées et dominées par le sexe masculin.

Puisque les femmes sont assignées au travail domestique non rémunéré pendant toute une journée, elle n’a pas de pouvoir d’achat en dehors des faveurs de leurs maris.

En Haïti, il faut dire que ce n’est pas seulement l’épouse qui est susceptible d’être exploitée. Louis Rodrigue Thomas affirme que «les tâches domestiques peuvent être réalisées par une domestique, une bonne recrutée pour cela, sous-payée […] ne bénéficiant d’aucune reconnaissance, méprisée, qualifiée d’inférieure, et le plus souvent par la femme maîtresse de maison, voire exploitée sexuellement par les fils en mal de leurs premières expériences ou le mari, bénéficiant parfois de la complicité familiale».

En somme, comme on peut le voir, la situation des femmes haïtiennes est peu reluisante. Elles ne bénéficient pas la même reconnaissance que le sexe masculin comme nous l’avons dit ci-dessus. On les relègue dans les marges de la société.

Nancy Fraser qui a abordé la question de la domination masculine en suivant la dialectique hégélienne maître-esclave nous dit que «Du point de vue de la reconnaissance […] le genre apparait comme une forme de différenciation statutaire, qui trouve son origine dans l’ordre statutaire de la société

De la même manière que le maître n’avait reconnu l’humanité de l’esclave dans la lutte à mort décrit par Hegel dans la «Phénoménologie de l’esprit»; la société ne reconnait pas encore la femme comme un être humain ayant une dignité, mais comme un moyen, un corps que les hommes et le capital pourraient exploiter pour arriver à augmenter leur profit et leur puissance. La situation que nous avons mise en évidence en recourant au cas d’Haïti constitue une preuve tangible et palpable.

Cela peut nous porter à nous demander, pour finir, si la méconnaissance de la femme et du travail domestique est l’une des conditions de possibilité du développement du salariat dans l’économie capitaliste.

Par Shelton Saintyl, masterant en philosophie  [Paris8/ENS]

© Image de couverture : Katherine Streeter/NPR


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Shelton Saintyl détient une license en Droit (FDSE) et une licence en philosophie (ENS). Il poursuit un master de philosophie (ENS/Paris 8)

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