AYIBOFANMSOCIÉTÉ

Pourquoi y a-t-il si peu de gynécologues femmes en Haïti ?

0

Plusieurs choses peuvent expliquer ce constat

Depuis 2014, Sara visite régulièrement son gynécologue-obstétricien. La jeune étudiante à la faculté de linguistique ne se sent confortable qu’avec un gynécologue homme. « Je ne veux pas de femme [gynécologue], je ne suis pas à l’aise avec les femmes. Peut-être parce que dans ma tête, mon idéal est un homme. Que ce soit en tant qu’ami, un psychologue, ou tout autre médecin, je préfère les hommes. »

Dora est une jeune femme d’une trentaine d’années qui habite à Plaisance. Comme Sara, Dora a toujours consulté chez des professionnels masculins. Cependant, elle aurait préféré avoir une gynéco femme.

Louisa, une juriste, rapporte des sentiments similaires. « La première fois que je suis allée chez un gynécologue, je n’étais pas à mon aise, non pas parce que le médecin m’a fait quelque chose de mal. Mais je trouvais cela bizarre que ce soit un homme qui va prendre soin de mon vagin, pour moi. »

En Haïti, des raisons historiques expliquent la domination des hommes dans le métier de gynécologue-obstétricien. Un puzzle complexe de motivations explique la fréquentation de ces professionnels dans le pays. Les patientes scrutent la réputation du spécialiste, le cout des consultations. Elles mettent aussi en avant une certaine idée de qui devrait, d’après elles, avoir accès à leur intimité.

La réalité du métier ne facilite pas toujours les choix.

Un univers masculin

Dre Rodrine Janvier est une gynécologue-obstétricienne qui a sa propre clinique depuis trois ans. Selon elle, il faut remonter l’histoire de la médecine en Haïti pour comprendre pourquoi y a-t-il moins de femmes gynécologue-obstétriciennes comparativement aux hommes dans le pays.

La première femme médecin, gynécologue et obstétricienne, connue en Haïti se dénomme Yvonne Sylvain. Elle a été la première femme tout court à mettre les pieds à la Faculté de Médecine et de Pharmacie de l’Université d’État d’Haïti (UEH). Elle n’a d’ailleurs pas fait ses études de gynécologie et d’obstétrique dans son pays, mais aux États-Unis. Elle obtiendra son diplôme en 1940, il n’y a que 80 années de cela.

Lire aussi: Un bon gynécologue ne devrait pas faire ces choses !

Doyenne des facultés de l’UEH, avec la Faculté de Droit et des Sciences économiques, la Faculté de Médecine et de Pharmacie prend naissance en 1861 sous l’appellation d’École de Médecine et de Pharmacie. Selon le site de l’UEH, elle porte la dénomination actuelle depuis 1949. Pendant longtemps, elle a été le seul établissement en Haïti à former des médecins.

De plus, des clichés sur les femmes et ce qu’elles peuvent accomplir continuent de traverser les universités. Pour Dre Janvier, faire une spécialité en gynécologie-obstétrique demande beaucoup, et cela peut décourager certaines femmes.

« C’est une branche médicale et chirurgicale, dit Janvier. Cela demande beaucoup de disponibilité et d’énergie. Parfois, tu passes plusieurs nuits blanches debout à opérer des patientes, et à gérer des cas urgents et graves. Et je pense que beaucoup de femmes s’orientent vers la pédiatrie en fonction des sacrifices et des difficultés qu’elles peuvent rencontrer dans la pratique de la gynécologie-obstétrique. »

Une complicité féminine et une figure maternelle

Quoi qu’il en soit, certaines femmes cherchent l’accompagnement d’un professionnel de même sexe.

« Pour moi, c’est une femme qui doit examiner mon vagin, parce qu’elle en possède un également, argumente Louisa. Avec ses années d’études et son expérience de femme, elle est la mieux placée pour comprendre ce qui se passe dans mon intimité. En ce sens, je crois qu’une femme pourra mieux [me] comprendre qu’un homme. »

La Dre Céphora Anglade, gynécologue-obstétricienne depuis près de 11 ans maintenant, explique que la plupart de ses patientes partagent la même opinion que Louisa. « Il y a une bonne partie de ma clientèle qui vient me voir juste parce que je suis une femme. Elles se disent qu’une femme comprend mieux certains problèmes ou pathologies. Mais aussi certaines douleurs ou certains vécus. »

Les patientes du Dre Céphora Anglade croient également qu’en tant que femme, il y a beaucoup de chance qu’elle ait déjà fait l’expérience du mal pour lequel elles sont venues chercher de l’aide. Néanmoins, certaines d’entre elles viennent consulter Anglade parce qu’elles savent que « je suis un médecin compétent et qui donne des résultats ».

Toute nue devant un inconnu

En réalité le plus gros des soucis de certaines patientes revient à parler et montrer leur intimité à un homme. Durant le déroulement de l’examen, il faut souvent que la patiente soit toute nue sous sa blouse médicale, dès sa première visite chez le médecin, a fait savoir la Dre Anglade. Elle ajoute que pour mettre à l’aise la patiente, elle se déshabille à l’écart et les parties du corps sont examinées séparément.

La Dre Rodrine Janvier assure qu’il est obligatoire d’être toute nue sous la blouse médicale. Le gynécologue-obstétricien étant avant tout un médecin généraliste, l’examen physique médical doit se faire des cheveux jusqu’aux orteils. « Il y a des problèmes de santé qui peuvent avoir des conséquences sur l’appareil reproducteur d’une personne. »

Hormis l’inconfort de la nudité, il y a celui du toucher vaginal. Pour la Dre Anglade, ce n’est pas obligatoire de répéter les touchers vaginaux. Aussi, éventuellement, après un premier toucher vaginal, si la patiente a le même médecin gynécologue-obstétricien, il n’y a pas lieu de le répéter indéfiniment, sauf dans les cas d’urgence ou lors d’un accouchement.

« [Le toucher vaginal] est plus sûr ainsi pour se constater l’absence de lésions ou des plaies, argumente la Dre Janvier qui préconise cette pratique médicale. De plus, en observant les sécrétions vaginales sur ses doigts, on peut rapidement voir s’il y a du sang et en examiner la couleur. En les reniflant, l’odeur dira s’il y a une infection et quel type d’infection éventuellement. »

Tout dire à la patiente

À part la nudité, le toucher vaginal, il y a l’inconfort et l’austérité des appareils ou les outils de consultations gynécologiques. En tant que femmes, les Dres Janvier et Anglade utilisent l’empathie pour bien expliquer la procédure au départ. Aussi, avec professionnalisme, durant le processus, elles dialoguent, racontent des anecdotes et des blagues pour détendre un peu les patientes.

« Précisément, dans la consultation gynécologique, il y a notamment le speculum — instrument destiné à écarter les bords de certains orifices du corps humain — qui peut se révéler gênant, expose la Dre Anglade. Il est important que la patiente sache exactement ce qu’on va faire, quand et pourquoi. Car si elle est stressée ou crispée, cela peut rendre l’examen encore plus difficile. »

Certaines patientes n’ont pas nécessairement besoin d’une femme pour les rassurer. Flora, une jeune mère de deux enfants, affirme que durant sa première visite chez un gynécologue-obstétricien à ses 18 ans, elle était terrorisée. Elle ne pouvait même pas ouvrir les jambes et lui parler de ce qui n’allait pas.

Le médecin de Flora lui a rassuré en blaguant ainsi : « En ce moment, ton vagin ne t’appartient plus, il est à moi. En plus de cela, que peux-tu faire avec un vagin malade ? Je suis là pour te soigner, parce que tu ne peux pas le faire toi-même, toute seule. »

Un médecin est asexué

La Dre Anglade dit ne pas voir pourquoi il faudrait prendre en compte le sexe d’un médecin dans le cas de la gynécologie et de l’obstétrique. C’est un métier qui a son éthique et ses principes à respecter. Donc, indifféremment de l’orientation sexuelle du médecin gynécologue-obstétricien, il est crucial qu’il reste professionnel.

Quant à Dre Janvier, elle ne se considère pas comme une femme lorsqu’elle porte sa blouse blanche. Vu que le médecin se doit d’être asexué, même si c’est une femme qui en examine une autre, dans ces conditions, il n’y a pas moyen d’affirmer sa féminité, dit-elle. « C’est à la patiente de s’inquiéter du genre de son médecin et de se comporter avec lui en fonction de cela, mais pas le professionnel de la santé. »

De plus, d’après la Dre Janvier, le débat pour décider entre une femme et un homme, lequel des deux est préférable pour être un gynécologue-obstétricien ne tient pas la route du fait qu’il sera également nécessaire de le faire pour les urologues femmes, si l’on continue dans cette logique. L’on peut même aller encore plus loin pour questionner l’orientation sexuelle du médecin, vu qu’il y a bien des femmes qui ne sont pas attirées par l’autre sexe.

Ce qui compte, selon la spécialiste, c’est que la patiente puisse choisir, librement, entre une femme et un homme qui sera son gynécologue-obstétricien. Ce n’est pas toujours facile en Haïti, parce qu’en réalité, il n’y a pas beaucoup de femmes gynécologues-obstétriciennes comparativement aux hommes.

Et la domination masculine amplifie certains dérapages. Louisa raconte : « Je n’ai jamais été maltraité, ou abusé par mon gynécologue [masculin]. Mais cela est déjà arrivé où de jeunes médecins m’ont courtisé en me demandant s’ils pouvaient m’écrire sur mon numéro personnel ou m’inviter à sortir. »

Hervia Dorsinville

Les prénoms des patientes ont été modifiés.

Journaliste résolument féministe, Hervia Dorsinville est étudiante en communication sociale à la Faculté des Sciences humaines. Passionnée de mangas, de comics, de films et des séries science-fiction, elle travaille sur son premier livre.

    Comments