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Haïti était une destination de choix pour les touristes sexuels dans les années 1970

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Des hommes gays venaient de partout, à la recherche de partenaires haïtiens

Pendant une dizaine d’années, Haïti était une destination prisée des touristes homosexuels qui cherchaient du sexe facile. Le pays recevait chaque année bon nombre d’étrangers en quête de sensations fortes.

Cette industrie touristique a fait la renommée d’Haïti au niveau international. Des guides de voyage mentionnaient le pays, pour celles et surtout ceux qui cherchaient un endroit où aller en vacances.

Ce tourisme de masse a décliné entre autres à cause de l’apparition du VIH, car les premiers cas de la maladie enregistrés aux États-Unis étaient très liés aux migrants haïtiens. En Haïti, les premiers cas cliniques commençaient aussi à être décrits. Cela aura de graves conséquences sur l’industrie touristique, surtout le tourisme sexuel.

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Les années 1940-1950 sont d’après les spécialistes la période d’or du tourisme en Haïti. C’est la présidence de Léon Dumarsais Estimé qui mettra le plus l’accent sur ce secteur, qui du coup est devenu plus important pour l’économie du pays. Ainsi, lors de l’exposition internationale du bicentenaire, en 1949, près de 300 000 visiteurs rentrent en Haïti.

Les années qui suivent ne sont pas toutes aussi fastes, mais un flot continu d’étrangers ne cesse de visiter l’île. Selon le spécialiste du tourisme haïtien, Hugues Séraphin, dans son article « Les jeux d’influences dans le tourisme : Cas d’Haïti », les particularités haïtiennes qui expliquent cet essor étaient le climat, la qualité de l’accueil et le vaudou. C’est aussi l’époque de la construction de grands hôtels comme Olofsson, El Rancho, Kinam, le Manoir Alexandra à Jacmel et l’hôtel Mont-Joli au Cap-Haïtien.

Mais, les années de la dictature de François Duvalier sont venues ralentir les activités touristiques. Vingt ans après l’âge d’or, dans les années 1970, le tourisme a repris timidement, sous la présidence à vie de Jean Claude Duvalier.

L’ile du sexe

Au cours de ces années 1970, l’objectif des vacanciers qui rejoignent Haïti est légèrement différent de celui des années 1950. Ce sont désormais des hommes et des femmes en quête de sensations fortes, de luxure et de sexualité débridée.

Archives du docteur Bernard Liautaud

Le journal français Libération, en décembre 1982, publie un article dans lequel il vante les qualités des hommes haïtiens, reprenant les termes du journal Spartacus, spécialisé dans le tourisme gay. « Les Haïtiens sont très beaux, bien montés, et très intéressés par le sexe, tout en étant sans inhibitions et très affectueux » ou encore « [Haïti est] une oasis noire unique, lit-on. La culture locale ignore l’âge »…

Hommes et femmes qui cherchaient du plaisir à bon marché marquaient Haïti d’une croix sur leur carte. Les Canadiennes, toujours selon Libération, étaient nombreuses à voyager en Haïti. « Elles venaient pour les grosses [bites] ». Une Italienne, rapporte ce journal, possédait son propre centimètre, pour mesurer la longueur du pénis des partenaires qu’on lui présentait.

Une affaire d’hommes

Mais la plupart des visiteurs étaient des hommes. Haïti était à l’époque l’el Dorado des touristes gays, à la recherche d’intermèdes sexuels. Des bars et des hôtels étaient accessibles à cette communauté et d’autres établissements se sont développés à cette époque. La pension familiale, « dont la publicité paraît dans la presse spécialisée du monde entier », chez Denise, etc. étaient tous des endroits qui acceptaient les touristes gays.

Le docteur Bernard Liautaud est l’un des fondateurs des centres Gheskio (Groupe haïtien d’étude du sarcome de Kaposi et des infections opportunistes).

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Bernard Liautaud était à l’époque à la pointe de la recherche sur le virus du VIH/SIDA, dans le pays, avec d’autres chercheurs. C’est lui qui avait décrit le premier cas de SIDA dans le pays, une femme originaire des Gonaïves. Les symptômes qu’elle présentait ressemblaient à ceux d’une maladie déjà connue, le sarcome de Kaposi.

Il se rappelle ces années, 1983-1984. « À l’époque, l’homosexualité était encore plus taboue qu’aujourd’hui, dit le médecin. Mais dans certaines classes, surtout les plus aisées, il y avait des homosexuels qui s’affirmaient comme tels. Les étrangers avaient des endroits où aller. On est nous-mêmes [les médecins] allés dans ces endroits pour voir de nos propres yeux ce qui se passait dans le pays, mais dont nous n’étions pas au courant. En quelque sorte on les découvrait en même temps que les étrangers. »

Archives du docteur Bernard Liautaud

Le VIH en trouble-fête

Cette industrie touristique florissante prend un coup sur la tête vers le milieu des années 1980. La nouvelle maladie, inconnue jusque-là, apparentée au sarcome de Kaposi, commence à faire des ravages. Elle frappe hommes et femmes. Cette maladie qui sera plus tard reconnue comme le virus du SIDA semblait être sexuellement transmissible. « Le SIDA était déjà présent en Haïti, mais nous ne le savions pas, dit Liautaud. Je suis tombé par hasard sur le premier cas, sans vraiment savoir ce à quoi j’avais affaire. »

Quoiqu’il en soit, le nombre de visiteurs dans le pays connaît une chute drastique. De 75 000 visiteurs en 1982-1983, il ne restait plus que 10 000 en 1984. La mauvaise réputation du pays à cause du virus en était l’une des causes.

Aux États-Unis, les premiers cas de SIDA étaient déjà enregistrés, sans qu’on sache non plus de quelle maladie il s’agissait. Mais la proportion de migrants haïtiens qui débarquaient au pays de l’oncle Sam, dont certains étaient infectés par le virus, a sonné l’alerte. C’est le début d’actes de discrimination contre la communauté haïtienne, notamment avec l’expression des 4 H (Haïtiens, Homosexuels, Hémophiles, héroïnomanes). Pendant un moment, l’administration américaine a même interdit aux Haïtiens de donner du sang.

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La polémique était d’autant plus forte que l’origine de la maladie n’était pas vraiment connue non plus. « Le virus est arrivé dans le pays entre 1967 et 1970, dit Liautaud. Mais les symptômes ont mis du temps avant d’apparaître. Il y a deux théories concurrentes sur les origines du virus. La première assure qu’il vient des États-Unis à cause notamment des homosexuels étrangers qui fréquentaient les bars et les hôtels du pays. La seconde théorie croit qu’il venait d’Haïti pour être introduit aux USA ».

La seconde explication des origines du virus met Haïti au centre. Le virus se serait développé au Cameroun et aurait infecté les Haïtiens qui migraient massivement vers l’Afrique à l’époque, surtout dans la ville de Kinshasa, au Congo. Ainsi, la maladie serait introduite en Haïti lors du retour de quelques-uns de ces migrants.

Aujourd’hui les origines du VIH sont bien connues ; le SIDA n’est plus associé aux Haïtiens, mais le tourisme du pays peine à se relever. La République dominicaine, il y a quelques années, reposait son économie sur l’industrie du sucre beaucoup plus que sur le tourisme. Les revenus générés par ce secteur étaient bien plus importants en Haïti. Mais de nos jours, la république voisine est devenue une destination essentielle pour les touristes, qu’ils soient sexuels ou pas.

Kimberly Coquillon a participé à ce reportage.

Jameson Francisque

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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