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Mariées, des Haïtiennes refusent le nom de leur mari. Elles expliquent pourquoi.

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Les hommes n’ont pas tous accepté les arguments avancés par ces femmes

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29 décembre 2012, Wiline Dieudonné convole en noces avec l’homme de sa vie, mais sous une seule condition : jamais elle ne portera son nom de famille.

La décision ne fait pas l’unanimité. Des membres de la famille de l’époux de Dieudonné en parlent comme d’une décision prenant origine dans un manque d’amour.

La mère d’une fille de dix ans a tenu tête. Politologue et féministe convaincue de 43 ans, elle estime que porter le nom de quelqu’un après le mariage, «c’est comme dire que vous n’êtes pas une personne à part entière».

Cette posture fait des adeptes. Aucune statistique n’existe, mais de plus en plus d’Haïtiennes décident de garder leurs noms après le mariage. Six d’entre elles ont été interrogées pour cet article. Toutes, presque, évoquent vouloir garder leurs identités comme citoyennes et professionnelles, sans avoir à se rattacher à un homme.

Aucune statistique n’existe, mais de plus en plus d’Haïtiennes décident de garder leurs noms après le mariage.

D’autres parlent de l’anxiété générée par la nécessité d’avoir à faire corriger leurs papiers, dans l’éventualité d’un divorce.

Wiline Dieudonné se trouve dans cette situation. Après sept ans de mariage, l’originaire de la ville de Saint Raphaël dans le Nord, se retrouve en instance de séparation. Elle s’estime heureuse d’avoir tenu la promesse qu’elle s’est faite à dix-neuf ans de ne pas porter le nom d’aucun mari éventuel. Sinon, analyse-t-elle, il serait nécessaire de demander la modification de son nom sur l’ensemble de ses papiers aujourd’hui.

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Porter le nom de son mari relève de la tradition. Rien dans les lois du pays n’en fait l’obligation, selon les experts. Il s’agit d’un héritage du système du droit français, retrouvé dans le Code civil haïtien qui date de 1825, selon l’avocat pénaliste Frantz Gabriel Nerette.

La proposition vient d’une époque où les femmes étaient interdites d’exercer certaines professions et se retrouvaient dans des tâches ménagères dans la sphère privée principalement.

Ce monde s’estompe progressivement.

Aujourd’hui, des femmes haïtiennes — bien que sous représentées dans certains corps de métiers importants — se retrouvent presque partout. Elles ne sont plus considérées comme des «mineures» depuis la publication du décret du 8 octobre 1982 statuant sur les femmes mariées.

Toutes, presque, évoquent vouloir garder leurs identités comme citoyennes et professionnelles, sans avoir à se rattacher à un homme.

Par exemple, certaines femmes ont pris du temps pour se forger un nom et bâtir, seules, une carrière professionnelle. Changer de nom après le mariage dans ce contexte peut leur porter préjudice.

«Une femme qui exerce comme médecin spécialisée de renommée par exemple peut tomber dans l’anonymat si elle se marie et prend le nom de quelqu’un qui n’a pas une grande notoriété», analyse l’avocat pénaliste Nerette.

Les conséquences peuvent être dévastatrices. Car, ce transfert de nom peut, sans marketing approprié, signifier perte de notoriété et de clientèle pour la femme.

Certaines femmes ont pris du temps pour se forger un nom et bâtir, seules, une carrière professionnelle. Changer de nom après le mariage dans ce contexte peut leur porter préjudice.

Tous les hommes n’acceptent pas ces arguments. Fedna David s’est mariée en 2017. Quand elle annonce à son mari qu’elle ne comptait pas porter son nom après le mariage, ce dernier était rouge de rage, dit-elle.

«C’est quelqu’un de traditionnel, mais ma décision était déjà prise et elle était irrévocable», explique Fedna David.

Cette décision a créé des tensions dans le couple. En 2021, la jeune femme arrête de partager le lit de son mari. Elle se retrouve aujourd’hui en instance de divorce.

Lire aussi : Comment va-t-on séparer les biens en cas de divorce ? La plupart des mariés ignorent cette question.

«Ma mère était connue comme madame untel et non comme une personne qui avait sa propre identité», explique David, sensible pour ses idées féministes. «Quand il a fallu acheter des biens ou remplir des formalités administratives, c’était le nom de mon père qu’il a fallu toujours mettre.»

Fedna David est catégorique : «Je ne veux pas disparaître sous l’identité de mon mari, dit-elle. Mon nom fait partie de mon identité, décider de l’abandonner pour prendre celui d’une autre personne c’est abusif.»

Selon le Code civil, la femme perd l’usage du nom de son mari par l’effet du divorce. Après cette décision, «le juge peut demander à la femme de reprendre son nom de jeune fille ou de garder le nom du mari», dit Me Frantz Gabriel Nerette.

Cependant, l’ex-mari peut au moment du divorce demander que la femme ne garde pas son nom.

L’inverse ne trouve application ni dans la coutume, ni dans la loi.

«Un homme ne peut donc pas porter le nom de sa femme et ceci vient d’une société à tendance patriarcale », continue Me Nerette.

Selon le Code civil, la femme perd l’usage du nom de son mari par l’effet du divorce.

Aliuskha Shelda Éliassaint est une juriste et entrepreneure engagée dans la lutte pour l’autonomisation des femmes.

La jeune femme compte se marier au début du mois de janvier 2024. Mais elle décide aussi de rompre avec la tradition du patronyme masculin.

«Mon patronyme fait partie de mon identité même après mon mariage», dit-elle. «Je ne compte pas renoncer à cela», ajoute-t-elle.

Une décision partagée par Eneulla Chery, une jeune femme de 24 ans, étudiante en relations internationales et en sociologie à l’Universite d’État d’Haïti.

Lire aussi : Le concubinage ne donne pas aux femmes haitiennes le droit d’hériter de leur conjoint

Chery veut se marier dans les années à venir, mais elle ne veut pas porter le nom de son futur mari pour ne pas renier son appartenance avec sa famille d’origine.

Dans un couple marié, le père donne son nom à ses enfants, selon le Code civil. Cependant, une femme qui n’est pas mariée peut donner son nom de jeune fille à son enfant.

La grande majorité des femmes cependant continuent avec la tradition qui consiste à porter le nom de leur époux.

Sophia Exama, juriste et formatrice en décoration événementielle, envisage de se marier en 2026. Elle compte porter le nom de son mari après le mariage pour «que les gens m’appellent Mme suivie du nom de mon époux».

C’est une affaire sérieuse pour la femme de 31 ans. «Si un homme n’a pas un joli nom patronymique, il ne faut pas m’approcher», dit-elle.

Cet article a été mis à jour pour préciser la provenance d’une citation. 20.15 31.07.2023

Par Fenel Pélissier

© Image de couverture : freepik


Visionnez cette présentation sur les restrictions de la justice haïtienne face à la bigamie :


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Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

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