Le choix d’un régime matrimonial qui convient aux deux partenaires s’avère pourtant important
Rares sont les Haïtiens qui se marient sous le régime de la séparation des biens. Dans ce type de contrat, chaque partenaire construit son patrimoine en toute indépendance avec les biens qu’il acquiert avant et pendant le mariage. En cas de divorce, chaque partenaire s’en va avec ses propres ressources.
La société haïtienne voit très mal ce type de contrat. Le professionnel en communication, Mike Joseph, en a fait l’expérience pour son mariage réalisé en 2012. « La femme ou l’homme et parfois leurs parents voient cela d’un mauvais œil et pensent que vous mettez des balises pour ne rien partager avec l’autre partenaire », explique ce professionnel de la communication.
Le mariage de Mike Joseph tourne au fiasco en 2015. Après le divorce, Joseph dit avoir abandonné tout ce que le couple avait réalisé durant leur union de trois ans.
Communauté des biens
Quand les futurs mariés ne précisent pas qu’ils veulent convoler sous l’hospice de la séparation des biens, ils sont automatiquement liés dans la communauté des biens. Aussi, tous les ressources et matériels acquis avant et pendant le mariage tombent dans la communauté. En cas de séparation, une évaluation sera réalisée et les notaires auront à séparer les biens en parts égales entre les divorcés.
Ce type d’union demeure le plus populaire en Haïti, et fort souvent, les partenaires ignorent son implication.
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Norlie Thémelus et Ronard Généus se sont mariés en décembre 2016. Le couple a aujourd’hui deux enfants et n’avait pas dressé un contrat de mariage définissant les modalités du partage des biens. « J’ai entendu parler du contrat de mariage, mais je n’ai jamais effectué des recherches pour savoir ce que c’est », raconte Norlie Thémelus. Si l’enseignante de 26 ans relate qu’elle n’a aucune idée du régime qui définit la séparation des biens de sa famille en cas de désunion, elle est assurément liée par la communauté des biens.
Ertnso Montour ignore aussi les détails des contrats de mariage. Ce professeur d’art au Nouveau Collège Bird a eu une courte expérience dans la vie de couple en 2018. « On n’avait pas réalisé de contrat de mariage, fait savoir Montour qui a eu un enfant avant sa séparation d’avec sa femme. L’essentiel c’était de nous unir, c’est ce qui était important durant la période. »
Régime matrimonial
Le contrat de mariage permet aux futurs mariés de déterminer le régime matrimonial applicable à leur union. Il met par écrit un ensemble de dispositions légales qui règlent les rapports patrimoniaux entre époux. Ce sont les notaires qui sont chargés de rédiger les clauses du contrat selon les dispositions du régime matrimonial défini dans le Code civil haïtien.
« Généralement, les conjoints ne signent pas de contrat, souligne le notaire Jean Clergé Durand. Lorsqu’ils n’ont pas fait de choix particulier, ils tombent dans le régime “par défaut” de la communauté légale. »
Dans ce type de mariage, tous ce que les conjoints créent, achètent — biens meubles ou immeubles et même si l’un des époux monte seul son entreprise —, doivent être partagés de moitié en cas de divorce. En cas de décès, la famille du conjoint hérite sa part s’il n’avait pas eu d’enfant.
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Autrefois, ce régime mettait en péril les actifs professionnels de l’un des conjoints. Par exemple, si l’un des mariés est médecin, il risquait de perdre sa clinique qu’il serait obligé de liquider en cas de divorce afin de livrer les 50 %. Cependant, « l’administration actuelle a corrigé ce défaut avec le décret du 9 avril 2020 portant sur la réforme des régimes matrimoniaux », informe la notaire Danielle Giordani.
La communauté légale est ainsi remplacée par la communauté réduite aux acquêts. Dans cette dernière, poursuit Giordani, les biens matériels obtenus ensemble sont partageables, mais les biens servant à l’activité professionnelle sont protégés.
Dans le régime de la séparation des biens, chaque conjoint gère et dispose de son bien acquis pendant le mariage comme bon lui semble. Seuls les biens réalisés ensemble sont à partager en cas de divorce.
Contrats rares
Le nouveau décret réformant les régimes matrimoniaux offre la possibilité aux époux de changer de régime après avoir contracté mariage. Mais la plupart des futurs mariés ne se soucient pas de cette option.
Jean Clergé Durand est notaire public dans la ville des Cayes dans le sud du pays. Durant ses neuf ans d’expérience comme notaire, il relate avoir rédigé seulement cinq contrats de mariage concernant le régime de la séparation des biens. « Ce sont surtout des Haïtiens vivants en France et qui veulent se marier avec leur partenaire en Haïti. Ils préfèrent le régime de la séparation des biens », explique le notaire.
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Jacques Vincent, de son côté, relate qu’il n’a pas encore rédigé ce type de contrat de mariage. « Je me rappelle avoir déjà commencé à travailler sur deux contrats de mariage. Les conjoints ont abandonné le processus à cause des critiques portées par leurs parents », dit Vincent. Ce notaire de la commune de Milot dans le département du Nord traîne derrière lui dix ans d’expérience.
Pour Mike Joseph, la plupart des parents haïtiens comprennent mal le contrat de mariage. « Ils croient que c’est un mauvais début pour une relation conjugale et que le contrat prouve en quelque sorte que le mariage ne va pas perdurer. »
Le notaire Durand partage le même avis. Le professionnel du notariat ajoute que beaucoup de parents haïtiens estiment individualiste le conjoint qui souhaite se marier sous le régime de la séparation des biens.
Biens à ne pas réclamer
Bien que la plupart des mariés ignorent le régime qui les lie, ils réclament généralement en cas de divorce leur part des biens acquis pendant le mariage. « Ils savent pertinemment qu’une partie des biens réalisés leur appartient en cas de désunion », fait savoir Jacques Vincent.
Toutefois, certains patrimoines sont exclus des partages après séparation. Ce sont les « biens propres », possédés avant le mariage ou reçus par succession ou donation après le mariage, qui constituent le patrimoine personnel de chacun des époux.
Emmanuel Moïse Yves
Le masculin est ici utilisé de façon générique pour désigner les deux conjoints.
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