La législation haïtienne ne fait mention nulle part du concubinage. “Cette absence dans les textes de loi met la femme dans une position fragile à l’intérieur du plaçage”
Sandra Jasmin est esthéticienne. Elle vit et travaille à Pétion-Ville, où elle est installée depuis la mort de son conjoint. Il travaillait à la douane de Saint-Marc. Après la mort de son compagnon, la mère de celui-ci a essayé de s’accaparer de la maison qu’il lui avait construite à la Plaine du Cul-de-sac. Sandra a dû prendre un avocat afin de garder son bien. “ La procédure a duré 2 ans, explique-t-elle. Mais j’ai eu gain de cause, car la maison est à mon nom. Alors, sa mère a commencé à me menacer.”
Face à ces menaces, et craignant pour sa vie, Sandra Jasmin a préféré abandonner la maison. “Mon conjoint et moi n’avions pas d’enfants, et je suis la fille unique de ma mère. Elle vit aux Etats-Unis et entreprend des démarches pour me faire rentrer. J’ai préféré partir et louer un deux-pièces à Pétion-Ville, en attendant mon départ”, raconte-t-elle.
La situation dans laquelle s’est retrouvée Sandra Jasmin est courante en Haïti. Les questions d’héritage sont souvent sujettes à litiges, en particulier en cas de concubinage, ou plaçage. Cette forme d’union libre est le type d’union le plus répandu sur le territoire, d’après l’Institut haïtien de statistiques et d’informatique. Pourtant, même si un pourcentage non négligeable des couples vit en concubinage, le Code civil haïtien ne reconnait que le mariage comme forme d’union.
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La législation haïtienne ne fait mention nulle part du concubinage. “Cette absence dans les textes de loi, met la femme dans une position fragile à l’intérieur du placage”, explique Surin Jimmy, avocat au barreau de Port-au-Prince. En effet, si le conjoint meurt, ses biens ne reviennent pas automatiquement à sa concubine.
Pas de protection pour la femme
Comme pour le mariage, le concubinage est une décision généralement consentie entre deux personnes majeures. Il arrive cependant que cette décision soit prise par les parents quand il s’agit de mineurs, en particulier lorsqu’il y a une grossesse.
Cependant, quel que soit la manière dont le couple s’est formé, le vide juridique sur le statut de concubins ne protège en aucun cas la femme, lors du décès du partenaire. Il en est de même en cas de litiges dans le couple, si par exemple le conjoint décide de mettre sa compagne à la porte. Selon Me Surin, c’est encore plus évident quand “la maison est la propriété de l’homme, quand bien même la femme aurait contribué à l’acquisition ou la construction du bien”.
Aujourd’hui encore, d’après l’avocat, la plupart des biens dans un couple, surtout s’il s’agit d’un concubinage, sont au nom de l’homme. “C’est un véritable problème pour les questions d’héritage”, continue-t-il.
Cette absence dans les textes de loi, met la femme dans une position fragile à l’intérieur du placage
Toutefois, si les conjoints sont tous deux propriétaires du bien, la personne qui reste en vie garde sa moitié du bien. C’est seulement l’autre moitié, appartenant au défunt, qui fait l’objet de la succession. Comme les conjoints sont considérés copropriétaires, la femme n’est plus héritière. En effet, on peut hériter d’un bien qu’on nous lègue, pas d’un bien qui est déjà à notre nom.
Quel recours juridique?
D’après Surin Jimmy, dans les affaires de succession en Haïti, il n’arrive pas souvent que la femme soit légalement propriétaire des biens qui restent. C’est l’homme qui est le plus souvent le propriétaire légal des biens acquis durant la période de concubinage. A sa mort, s’il n’a pas d’enfant avec sa concubine, sa famille peut s’entendre avec la veuve sur le partage des biens.
Mais, même si on parle dans ce cas de partage à l’amiable, il ne profite pas du tout, ou très peu à la concubine. De plus, cela dépend du bon vouloir de la famille du défunt. “Dans certains cas la famille du mort reste intraitable sur le partage des biens, en particulier si le défunt compte parmi ses héritiers, des enfants d’une autre femme. Ou pire, s’il y a une femme avec laquelle il s’était marié et dont il n’a jamais officiellement divorcé”, assure Me Surin.
L’avocat précise cependant que “dans le cas où le conjoint avait contracté une assurance-vie, et que la femme peut justifier au moins 5 ans de vie commune avec lui, elle peut toucher l’assurance du défunt. Elle peut présenter un certificat de concubinage octroyé par un tribunal de paix. ” Les démarches n’en restent pas moins compliquées, et très peu de personnes pensent à contracter une assurance-vie.
Les enfants nés dans le concubinage sont aussi concernés par l’héritage de leur père, en général.
En 2007, un avant-projet de loi sur le plaçage a été déposé au Parlement par la ministre à la Condition féminine et aux Droits de la femme, Marie Laurence Jocelyn Lassègue. Cet avant-projet n’a pas encore été voté. Cependant, selon le Nouvelliste, plus de 7 articles de cet avant-projet de loi consacrent des avantages à la femme placée, et aux enfants des concubins.
Quid des enfants?
Les enfants nés dans le concubinage sont aussi concernés par l’héritage de leur père, en général. Si le défunt avait une femme dont il n’avait pas divorcé, les enfants nés en dehors de ce mariage sont appelés des enfants naturels. Ils sont ouverts à la succession de leur père, au même titre que les enfants légitimes (issus du mariage), grâce à la loi sur la filiation de 2013.
En effet, la législation haïtienne ne fait plus de différence entre les enfants légitimes et les enfants naturels. Cependant, si le défunt n’a pas laissé de testament, lors de la séparation des biens, qui là encore se fait à l’amiable, les enfants naturels se retrouvent souvent avec ce que les aînées, ou les héritiers légitimes leur lèguent.
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Cette disposition du Code civil haïtien qui élève les enfants naturels au même rang que les enfants légitimes, est souvent la seule alternative des femmes en situation de concubinage. Elles ne peuvent pas prétendre au bien à titre d’héritière, mais leurs enfants, oui. Et parfois, ce qu’elles obtiennent au nom de leur progéniture est supérieur à ce qu’elles obtiendraient lors un accord à l’amiable.
Mélissa Beralus
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