Je ne sais pas exactement ce qu’est le devoir de notre jeunesse en ces temps difficiles, mais je me dis que ce n’est surtout pas de se murer dans le silence en attendant que le calme revienne. Certes la maxime dit que le silence est d’or et que la parole est d’argent. Mais, je pense que dans de telles situations, garder le silence c’est aussi se rendre complice de cette dérive qui nous conduit tout droit à l’abîme. Cette dérive qui n’a que trop duré.
Après les récents événements que nous avons vécus, nous ne pouvons et ne devrions plus penser que notre Haïti est différente. Que les murs que nous avons élevés, les vitres teintées derrière lesquelles nous circulons, les blindées qui transportent nos familles, les visas, cartes de résidence et autres nationalités dont nous sommes pourvus, les avions ambulances qui nous attendent, les études que nous avons effectuées et tous les biens que nous avons acquis pour asseoir notre soi-disant dolce vita, suffisent à nous protéger. Désormais, Il faudra se rendre à l’évidence qu’un pays est global et que tout se rattache à l’essentiel d’un bien-être équitable revendiqué et justifié.
Tant que nous serons sur ce petit coin de terre, ce coin de terre miné, son sort devra être notre priorité. Parce que quand la poudrière sautera, elle nous emportera tous avec elle. Tous. Sans distinction de classe, de couleur, de sexe, d’âge, de religion. Au mépris de tous ces critères stupides, méprisables et hautains que nous avons établis pour ne pas considérer l’autre comme un frère, comme une soeur.
Aujourd’hui, il y a matière à indignation. Il y a matière à frustration. Et notre conscience longtemps atrophiée pour de multiples raisons devrait se réveiller pour que nous comprenions enfin qu’il nous faut changer de cap. Les causes profondes de cette crise dans laquelle nous pataugeons nous le commandent. Notre insouciance, notre mépris, notre arrogance, notre réserve, notre neutralité sont autant de gifles à la face de cette grande majorité prise en otage par les tentacules de la pauvreté la plus abjecte. Une pauvreté qui ne nous préoccupe presque plus parce qu’elle semble devenir normale, quotidienne, donc comiquement banale.
Ah oui, c’est vrai je me rappelle. On nous a dit de nous mêler de nos petites affaires. On nous a dit qu’il ne fallait pas faire de la politique. Qu’il fallait se contenter de se bâtir une « petite » vie. Tenter de pouvoir manger, boire, avoir une petite maison, peut-être voyager, mais surtout se tenir tranquille. Surtout ne pas s’impliquer. Surtout ne pas s’engager. Surtout ne pas s’indigner. Ne pas dénoncer. Il y va de notre sécurité. Ceci ce n’est pas pour les gens bien-pensants. Ceux qui veulent rester honnêtes. Ceux qui veulent être à l’abri.
Sauf que c’est la raison pour laquelle nous en sommes là. Nous avons construit une société où l’égalité des chances est un mirage. Nous ne nous indignons plus de voir que la moitié de la population ne puisse avoir accès aux services de base. Nous ne sommes pas effrayés de voir que l’écart entre les riches et les pauvres est si grand qu’il pourrait nous engloutir tout entier.
Nous ne nous préoccupons plus du sort de milliers d’enfants qui vivent dans les rues. Ni de ces pères et mères, de ces fils et filles, qui croupissent dans nos industries de sous-traitance, nos marchés, dans nos rues, dans nos maisons. Nous avons teinté nos vitres pour qu’ils ne nous voient pas. Comme si cela cachait la laideur de notre âme. Nous ne paniquons pas de voir des centres universitaires se fermer. Nous trouvons normal que notre jeunesse parte vers d’autres cieux. Parce que l’avenir ici est des plus sombres. Nous assistons désinvoltes aux exactions du système. Corruption, prostitution, exclusion sociale, manque d’éducation, tout cela ne nous dit pas grand chose. Justice, équité, développement économique, bonne gouvernance, accès aux services de base, tout cela on en rêve pas.
Mais sauf que je sens que cette spirale a assez duré. J’aurais aimé que pour une fois nous prenions la voie du dialogue. Du dialogue franc et sincère. Puissions-nous cesser de jouer à l’intelligent, au « marronage ». Puissions-nous comprendre que nous n’avions pas de patrie de rechange et commencer à travailler pour le bien commun.
J’aurais aimé que les penseurs, les leaders de ce pays, ces jeunes que l’on appelle à présent des influencers, se mettent ensemble pour nous trouver une solution haïtienne. Pas des solutions importées qui ne siéent aucunement à notre réalité. Pas une théorie étrangère qui encore ne nous mènera nulle part. Pour une fois soyons créatifs. Soyons courageux. Osons innover. Osons penser notre développement. Par nous, pour nous et avec nous.
L’heure est venue de tirer les leçons de notre échec. De faire notre mea cula. De mettre de côté notre arrogance pour admettre que chacun dans son petit camp n’a la recette magique. De reconnaître humblement que ce n’est qu’ensemble que nous pourrons y arriver.
L’heure est venue de dégager une vision commune et structurée, d’échafauder des plans sérieux, de mettre le bien-être collectif au coeur de toutes nos actions. Il y a autour de nous mille et un problèmes que nous devons résoudre. Mille et un droits que nous devons revendiquer. Mille et un devoirs à accomplir. Mille et une responsabilités à prendre. Mais surtout une et une seule Haïti à bâtir. À rebâtir. Pour nous autres mais surtout pour les générations futures. Mettons-nous à la tâche tandis qu’il est encore temps.
Ce sera justice !
Winnie Hugot GABRIEL DUVIL
Comments