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Opinion | Jacmel, une ville jadis lumineuse tombée dans la déchéance

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Avant son dernier retour au pays, René Depestre, interviewé par un journaliste canadien en 1997 expliquait qu’il n’est jamais retourné en Haïti parce que, selon lui, « Jacmel n’est plus Jacmel ». C’était comme pour montrer qu’il ne restait pas grand-chose du Jacmel de son enfance, celui de son Hadriana tant rêvée

Je n’ai pas accès au contenu intégral de cette entrevue, mais le poète voulait probablement parler de ce temps où la ville était hospitalière, où l’électricité ne se résumait pas à une promesse fallacieuse. Le bord de mer avait encore son sable gris qui accueillait les matchs de football. L’on pouvait apprivoiser la nuit très tard le soir dans des rues propres. Cette époque où le ciel ne s’était pas encore vidé de l’éclat de son azur.

En 2005, lors de son retour après 60 ans d’absence, il a prononcé une conférence sous le thème « Jacmel lève-toi et marche ! », comme une injonction faite à la ville de sortir dans cet état paralytique pour enfin regarder l’avenir avec confiance. La ville depuis semble faire la sourde oreille.

Enfant, j’étais fier de l’histoire rayonnante de cette ville. À l’adolescence, je prenais plaisir à déchiffrer les auteurs jacméliens dans les rayons de l’ancienne bibliothèque municipale, comme pour me lier définitivement à cette ville.

À Jacmel, on dirait que le processus historique, social et culturel a eu un tournant particulier. C’est peut-être ce qui était à la base de ce rapport à l’espace, à la vie, à la politique et au plaisir. Il me semble que cela participait à la construction du lien social. Parlant de lien social, on se demande bien ce qui lie fondamentalement encore les habitants de cette ville. Est-ce la religion, les traditions familiales, l’économie, la politique ou le chaos ?

Si les réponses tardent à venir, l’évidence reste que la ville est au bord du gouffre. Une demande grandissante exige d’accéder à une société où chaque individu se sent respecté dans sa dimension la plus fondamentale : sa dignité. L’Haïtien ne cherche pas seulement à mettre du pain dans son assiette et un toit sur sa tête comme beaucoup tendent à le penser. Même si la majorité de la population ne peuvent pas répondre à leur besoin d’autoconservation, le désir d’être reconnu comme un être humain est, comme l’affirme toute une tradition de pensée, ce qui constitue l’essence même de l’homme ou de la femme.

Manifestement, nous assistons actuellement à un jeu macabre mettant en scène le politique dans sa manifestation la plus visible. Le pouvoir et les opposants instrumentalisent les conditions d’existence sociale de la population. Pourtant, la misère n’avait jamais été aussi présente, l’insécurité aussi normalisée, la délinquance aussi légitime et la prostitution si insignifiante. Nombreuses sont les familles où s’alimenter devient de plus en plus difficile ; condamnées au silence elles meurent à petit feu. C’est devenu normal maintenant de compter les cadavres dans nos rues, de faire feu sur les gens qui ne font que s’indigner.

Dorénavant, l’on se soucie de ne pas se faire dépouiller à certains axes de la ville ou de ne pas se heurter aux barricades de pneus enflammés, de détritus, etc. bref, tout ce qui constitue l’expression quasi artistique de nos tourments. Au morne Sainte-Thérèse dernièrement, un ami s’est fait agresser au couteau par des jeunes de la ville qui canalisent leur énergie dans la violence de quartier. Maintenant, sur l’Avenue de la Liberté l’on trouve « à bon prix » de jeunes filles venues offrir leur « bien ultime » en échange de quelques billets.

Des constats, on pourrait en dresser davantage. Je n’ai même pas abordé les longues vacances imposées à nos élèves et étudiants. Il convient de se demander à quel prix. Qu’adviendra-t-il après cette situation si d’un côté, les opposants s’enorgueillissent du bien-fondé de cet état de choses et de l’autre, l’État haïtien — ou plus précisément le gouvernement actuel — se conforte dans l’obscurantisme absolu ?

Et l’espoir semble ne pas encore se dessiner à l’horizon, ce qui reste évident c’est le désespoir de tout un pays en panne de perspectives.

Peterson Antenor

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