La douleur défigurait tous ceux qui assistaient aux funérailles du jeune Grégory. Cet adolescent de seize ans, chéri par ses parents et apprécié de tous, a vu s’arrêter le cours de sa belle existence de façon brutale et inattendue. Les cris s’élevaient de plus en plus aigus dans le parloir funèbre. Qui l’aurait dit ? Qui l’aurait cru ? Un mois plus tôt, premier de sa classe, comme à l’accoutumée, le défunt s’était targué d’être immortel. Il avait attiré les rires de ses camarades et professeurs. Président de sa classe de terminale et surdoué, Grégory comptait entreprendre des études en Sciences Politiques.
Shella se tenait à l’écart. Paisible et sereine, son regard se promenait sur l’immense foule venue partager la peine des parents de Grégory, enfant unique. Les yeux secs, le regarde vide, inexpressif, elle semblait indifférente. Ses yeux se posèrent un instant sur le long cercueil. Des souvenirs pleins la tête, elle cherchait désespérément une échappatoire. Il lui fallait fuir la réalité. Pendant plus de trois ans, ils avaient été inséparables et puis, tout avait basculé en un instant. La dernière personne l’ayant vu et parlé avant sa mort, perdue dans ses pensées, elle ne prêtait pas attention au majestueux panégyrique lu pour un ami.
Ce dimanche-là, Grégory, après une longue visite à Shella, s’apprêtait à rentrer chez lui. Sur un dernier salut, il avait hélé un taxi sur le trottoir d’en face. Au même moment, un remue-ménage inhabituel s’était déclenché. Malheureusement, le jeune homme, dans le champ de tirs d’une bande de voyous s’amusant à semer la pagaille, a été grièvement atteint par les projectiles meurtriers. La surprise s’était peinte sur ses traits et il s’était s’effondré dans une mare de sang et de boue. Saine et sauve, Shella, spectatrice horrifiée de la cruelle scène, avait accouru vers son ami. Ce dernier n’était pas la seule victime de cet acte lâche, mais il comptait tant pour la jeune fille que celle-ci s’était noyée dans un monde où eux deux seuls avaient droit. Tout lui était égal. Elle sentait l’ombre de la mort couvrir progressivement le blessé. Dépitée, exaspérée, elle avait compris qu’une ambulance ne serait jamais là à temps.
Penchée sur le mourant qui se vidait de son sang et accablée, elle lui parlait tout bas. Grégory maudissait le destin de lui avoir réservé une mort si injuste. Ses paumes glacées serraient faiblement celles fiévreuses de Shella. Son visage fit place tour à tour au regret, à la colère, à la passivité et enfin à une paix extrême. Il s’était résigné à sa fin. On s’était attroupé autour d’eux. Des morts gisaient sur la chaussée défoncée. Plus personne ne vaquait à ses occupations. Chacun accourait offrant son aide ou opinait sur les derniers évènements ayant coûté la vie à plus d’une dizaine de personnes, sans compter les blessés graves.
La jeune fille, plongée dans les yeux ouverts du défunt, était imperméable à l’agitation qui régnait. Elle lisait un dernier message de Grégory. Le regard de ce dernier, expressif jusqu’au bout, voilé par une tempête de sentiments mitigés lui coupait le souffle. Jamais rien ne lui avait paru plus beau, plus pur, plus vrai. Elle se rendit compte que son ami était parti vers l’au-delà et qu’il ne l’avait pas oublié, même à un moment si pénible. Il lui avait offert ce qu’il y avait de plus précieux à l’instant même, il lui avait dédié un ultime regard.
Djeanane Monfort
*Cette histoire est une pure fiction. Toute ressemblance de près ou de loin avec un cas similaire n’est que coïncidence.
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