Les réflexions suivantes sont basées sur des discussions avec des étudiants(es) de diverses universités et d’expériences personnelles. Elles sont produites pour attirer l’attention sur certaines pratiques dans les établissements d’enseignement supérieur
La nouvelle rentrée académique en marge de la pandémie du Covid-19 ressuscite de vieux démons des établissements scolaires, techniques, professionnelles et universitaires en Haïti. En proie à une crise multifacettes, ces institutions doivent payer les enseignants pendant la crise, boucler le programme et ne pas réclamer des frais supplémentaires aux étudiants. e. s.
Cette période montre à quel point certaines de ces institutions peuvent être avares, en réclamant des frais de scolarité, sans pour autant avoir le souci de fournir un service de qualité. C’est en repensant à cette situation que je me suis rendu compte que l’Université en Haïti cache maladroitement un côté obscur. Cette institution est le reflet d’un ensemble de mauvaises pratiques au sein des établissements, qui sont connues mais malheureusement jamais traitées, régulées ou sanctionnées par les autorités.
En parlant de pratiques, je ne fais pas particulièrement référence aux problèmes déjà connus (tels que l’inadéquation entre les types de formation et les besoins des marchés, la faible capacité d’absorption des établissements universitaires et bien d’autres encore). Il s’agit plutôt de comportements liés plus spécifiquement au fonctionnement interne des universités. Ces secrets de polichinelle, le plus souvent ignorés, ont un impact négatif sur la qualité de la formation dispensée et sur le type de citoyens qu’Haïti produit.
Les questions de manque à l’éthique, en passant par la sexualité, ainsi que le manque de professionnalisme, figurent parmi les principaux faits sociologiques dans la vie courante de l’Université en Haïti.
Prostitution « académique »
L’une des réalités connues, mais non souvent condamnées est la pratique de la prostitution par les étudiants(es). Cette dernière prend une forme particulière dans certains établissements, où les étudiants(es) décident de s’adonner à des flirts ou d’autres actes sexuels avec les professeurs dans l’espoir d’obtenir de meilleures notes.
En général, il s’agit de s’assurer que le professeur offre la garantie de la note de passage pour la matière en question. L’objectif final de cette démarche est d’échapper aux fameuses « reprises » qui coûtent parfois excessivement cher, ou d’éviter qu’on soit mis à la porte pour ne pas avoir obtenu la moyenne générale pour l’année. De plus, ces comportements peuvent aussi pousser les professeurs à accorder de mauvaises notes afin de pousser ces étudiants. e. s à se porter volontaires pour des actes sexuels. La note devient à ce moment la monnaie et sa valeur, le prix.
Il n’existe parfois aucun moyen, voire parfois aucune volonté, de détecter et/ou de punir ces pratiques de « Sex for Grades » dans ces établissements. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela.
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D’abord, il n’existe pas de contrôle et de vérification stricts sur le système de notation pour les élèves. Un professeur peut donc attribuer la note qu’il veut à un(e) étudiant(e) sans que celle-ci soit évaluée par un Comité ou l’Administration de l’établissement.
Ensuite, pour les matières assez subjectives, il devient beaucoup plus facile pour l’étudiant(e) de « négocier[i] » une note, car les professeurs ont l’alibi de la subjectivité. Enfin, les coûts pour un contrôle sur les notes de centaines d’étudiant(es) sont parfois assez importants : ce qui ne permet pas aux responsables de l’établissement de s’assurer de la justesse des notes.
Pour mettre un frein à cette pratique, la meilleure méthode serait d’exiger que les établissements aient un système de notation bien bâti, où les professeurs sont dans l’obligation de fournir les copies d’examens de chaque étudiant(e), avec un système de pointage très clair. Dans ce système de notation, les copies seraient archivées, permettant ainsi de faire des vérifications futures, si des litiges venaient à émerger. Cela limiterait l’envie d’un(e) étudiant(e) de s’adonner à la prostitution académique. Enfin, il serait envisageable de mettre en place un dispositif d’assistance académique pour les étudiants(es) en difficulté, qui prendrait en compte une documentation supplémentaire, des cours et séances de rattrapage, etc.
Harcèlement sexuel
Au sein des établissements d’études supérieures, les jeunes femmes sont souvent victimes d’harcèlement sexuel. En effet, elles sont parfois les cibles de propos rabaissant, de propositions indécentes, venant des professeurs, et voire des agressions. Ces jeunes femmes sont encore plus exposées lorsqu’elles tentent de repousser ces avances et/ou de réprimander celui qui les fait. Au risque de se faire « couler », elles préfèrent feindre la naïveté parfois ou tout simplement sourire bêtement. Les notes deviennent dans ces cas-là des moyens de chantage ou même de menaces implicites. En d’autres termes, ces jeunes femmes sont doublement victimes psychologiquement. Non seulement elles sont obligées de supporter pendant longtemps les harcèlements verbaux, mais elles vivent parfois dans la crainte d’un enseignant capricieux.
Le plus grand problème face au harcèlement dans les universités est sans aucun doute l’absence de structure pour déposer des plaintes. Ici, je dis absence, mais en fait, ces structures existent la plupart du temps, mais ne prennent pas souvent au sérieux ces genres de comportements. Même si l’agression est bien réelle, les chances de voir l’Administration d’un établissement sanctionner l’enseignant sont minces. Les Professeurs ont toujours raison : c’est un dicton qui s’applique presque scrupuleusement en Haïti. Alors, les victimes se taisent. Pourquoi se faire remarquer alors que personne n’est prêt à entendre ce qu’on a subi ?
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L’obligation de la mise en place d’un Comité d’éthique dans chaque établissement d’étude supérieure pourrait constituer une solution pour aborder le problème de harcèlement, celui de la prostitution académique, mais bien d’autres encore en même temps.
En outre, à travers le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP) et/ou le ministère à la Condition féminine et aux Droits des Femmes (MCFDF), l’État pourrait mettre en place une structure chargée de recueillir et traiter ces plaintes, tout en cherchant à protéger les victimes de possibles formes de stigmatisations, de représailles et/ou de menaces. Ces structures pourraient constituer un contre-incitatif aux pratiques de harcèlement et offrir des moyens de punir ceux qui les adoptent.
Manque de professionnalisme
Le manque de professionnalisme des professeurs est parfois flagrant dans les Universités. Il est caractérisé le plus souvent par des absences répétées, des cours bâclés, des copies d’examen égarées, l’usage excessif de « tchala », etc.
Dans les premiers cas, la plupart des étudiants. e. s n’arrivent pas à compléter le programme d’études établi et sont contraints de suivre des séances intensives, dispensées par ces mêmes professeurs absentéistes. Le nombre d’heures de cours étant considérablement réduit, il est de plus en plus difficile pour ces étudiants de maîtriser les matières en question ou même d’être en contact avec les professeurs pour discuter, questionner et combler certaines lacunes.
Dans les deuxièmes cas, les professeurs sont réguliers, mais dispensent des cours de mauvaise qualité. Les méthodes pédagogiques utilisées sont parfois inappropriées et les notions enseignées sont souvent désuètes. À titre d’illustration, la géographie économique des années 1970 ne peut être la même que celle des années 2010. Les exemples de professeur qui utilisent des cahiers de leur jeunesse pour dispenser des cours vingt ans après sont bels et bien réels.
Dans les troisièmes cas, les professeurs négligents peuvent parfois égarer les copies d’examens de leur étudiant. Dans la plupart des cas, ces étudiants. e. s sont obligés de repasser ces évaluations ou préparer un devoir. En d’autres termes, ils sont pénalisés à cause de la légèreté et l’insouciance d’un enseignant. Dans le pire des cas, ils sont accusés ne pas avoir participé à la session d’examen et perdent tout simplement la note.
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Enfin, dans les quatrièmes cas, il est impossible de ne pas mentionner les très célèbres « tchala ». Ces derniers sont les textes des examens des périodes précédentes et/ou des classes précédentes. En effet, des professeurs paresseux font souvent un usage « excessif » de ces anciennes copies d’examens en les reproposant plusieurs périodes de suite. Le résultat est négatif : les étudiants deviennent aussi paresseux. Il suffit de préparer les fameux « tchala » pour passer l’évaluation, sans être obligé de maitriser la matière en question.
La meilleure façon de changer ces pratiques est d’exiger qu’un système d’évaluation soit mis en place par les institutions d’enseignement. Ces évaluations devront prendre en compte non seulement les outils pédagogiques utilisés, tester le niveau de maitrise des sujets enseignés par les professeurs, mais aussi déterminer si les connaissances et notions de ces derniers sont mises à jour régulièrement à travers une formation continue.
Parallèlement, l’établissement doit permettre aux étudiants de signaler les cas de manque de professionnalisme et ainsi porter plainte. La mise en place de structure de recours pour ces derniers peut pousser les professeurs à respecter leurs engagements et à dispenser une formation de qualité.
Abus des professeurs
Les étudiants. e. s sont aussi victimes de plusieurs formes d’abus de la part des professeurs. Ces abus ne sont généralement pas punis par la plupart des institutions, qui tendent souvent à accorder leur confiance à ceux-là, malgré leurs mauvaises performances.
L’une des formes d’abus les plus fréquentes est le fait pour un professeur ou un établissement d’exiger que les étudiants. e. s subissent une évaluation alors que le professeur n’a jamais dispensé son cours ou n’a jamais pu compléter son programme. Dans certains cas, il s’agit aussi d’évaluer les étudiants. e. s sur des notions qui n’ont jamais été abordées pendant la période de cours. Évaluer la performance d’une personne sur la base de notion qu’elle n’a jamais traitée est le moyen le plus sûr de la voir échouer. C’est souvent le cas dans les Universités en Haïti. Encore une fois, dans ces cas-là, les possibilités de recours sont quasi-inexistantes.
Les abus des professeurs peuvent aussi apparaître sous la forme de chantage ou de vengeance pour des raisons personnelles. Dans ces cas-là, la note que reçoit l’étudiant. e n’a aucun rapport avec sa performance réelle, mais est donnée plutôt sur la base des ressentiments personnels du professeur. Tout comme les premiers cas présentés ci-dessus, l’évaluation régulière des professeurs peut limiter considérablement ces pratiques.
Abus des établissements d’enseignement
La première forme d’abus exercée par les établissements d’enseignement, en particulier des établissements privés, est l’augmentation substantielle et brusque des frais de scolarité.
Depuis la rentrée académique après la vague substantielle d’infections dues au Covid-19, beaucoup d’étudiants ont vu ces frais parfois doubler entre la période d’avant Coronavirus et la période de la reprise. Qui pis est, ces frais sont parfois réclamés en dollars américains, aux taux du jour : ce qui constituait à l’époque une double augmentation. Le plus grave, c’est que ces étudiants, qui sont censés être des consommateurs de ces services, ne sont pas protégés par l’État. Ils n’ont aucune possibilité de recours et les familles sont parfois obligées de s’appauvrir encore plus pour financer la suite des études.
L’autre forme d’abus des établissements d’enseignement supérieur réside dans la question de la reconnaissance légale. Beaucoup d’institutions collectent des frais de scolarité pendant plusieurs années alors que le diplôme qu’elles délivrent n’est pas reconnu par l’État. En réalité, cette pratique s’apparente à une arnaque. L’étudiant ne se rend compte de la situation qu’à la fin de son cycle d’études dans la plupart des cas et ne peut faire marche arrière ou même porter plainte auprès d’autres instances. L’inaction de l’État dans ces cas-là rend vulnérables ces jeunes, dans la mesure où ils ne sont pas protégés de ces types de fourberies.
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Une loi pour réguler les frais de scolarité pour les institutions d’enseignement supérieur, comme la loi portant régularisation des frais scolaires de 2009 (proposée par le Sénateur Kély C. Bastien), pourrait aider à résoudre le problème d’augmentation abusive des coûts de la formation, dans la mesure où cette loi est effectivement appliquée. En effet, près d’une décennie après, l’on ne peut pas conclure que la loi de Kély C. Bastien a été respectée à la lettre. D’un autre côté, l’élaboration de normes et la mise en place des dispositifs d’inspections régulières pour ces types d’établissements pourraient empêcher qu’ils fonctionnent sans une reconnaissance légale. Cela éviterait l’enregistrement de nouvelles victimes.
Les réflexions sur les pratiques abusives au sein de l’Université en Haïti peuvent même pousser à s’interroger sur la question de l’indépendance de celle-ci. En effet, sera-t-il possible de corriger ces déviances si certaines autorités ne peuvent pas intervenir dans les affaires de l’Université ? Comment protéger les citoyens si les établissements d’enseignement supérieur se cachent derrière le rideau de l’indépendance, sans pour autant chercher à résoudre ces problèmes. Cette question est d’une importance majeure dans les réflexions à poursuivre sur les meilleurs moyens de rendre efficace l’Enseignement supérieur dans le pays.
[i] Le mot est employé ici dans un sens péjoratif.
Valery Ralph Valière
La maquette utilisée par Ayibopost pour illustrer une première version de cet article pouvait donner l’impression que la Faculté des Sciences est plus concernée par les problèmes décrits que les autres institutions d’enseignement supérieur du pays. Ce sont des problèmes qui touchent virtuellement toutes les universités en Haïti. L’illustration a été mise à jour. 29.09.2020 18.00
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