L’ordonnance rendue en Juillet par le juge Jean Wilner Morin fait espérer des victimes et leurs avocats, mais ils disent rester prudents compte tenu du système judiciaire défaillant du pays
Une ordonnance de la justice haïtienne rendue en juillet par le juge Jean-Wilner Morin a renvoyé devant le tribunal criminel une trentaine de personnes – dont deux anciens officiels de l’État – inculpées dans le sinistre massacre de La Saline.
Deux des victimes, ainsi que l’un de leurs avocats contactés par AyiboPost, disent garder espoir d’obtenir justice mais restent toutefois sceptiques compte tenu des déficiences de l’institution judiciaire en Haïti.
Par suite du sinistre, le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) avait dénombré plus de 70 personnes tuées, une dizaine d’agressions sexuelles, des maisons criblées de balles et incendiées par les bandits.
Une des personnes victimes témoigne à AyiboPost avoir été battue à sang et violée par les bandits.
Les malfrats n’en sont pas arrêtés là. Ils ont assassiné son père, son conjoint avec qui elle avait deux enfants, ainsi que son petit frère de seize ans cette nuit du douze au treize novembre 2018.
À 28 ans, elle dit attendre que justice lui soit rendue pour pouvoir faire le deuil de ses proches assassinés.
L’ancien policier devenu chef de gang, Jimmy « Barbecue » Cherizier, Fednel Monchery, ex-directeur du ministère de l’Intérieur et des collectivités territoriales (MICT) et Joseph Pierre Richard Duplan, ex-délégué départemental de l’Ouest, sont renvoyés devant le tribunal criminel dans cette affaire.
Plusieurs personnes interrogées par le juge affirment avoir vu Fednel Monchery, Joseph Pierre Richard Duplan et Jimmy Cherizier, accompagnés d’hommes armés distribuer des boîtes dont elles ignorent le contenu, le 3 octobre 2018, dans les parages du Wharf Jérémie.
Selon les conclusions du juge, il s’agit d’un acte planifié par des individus armés avec pour objectif de perpétrer ce massacre pour des motifs politiques pendant la présidence du feu Jovenel Moïse.
Lire aussi : Qui sont ces officiels de l’administration de Jovenel Moïse accusés dans les massacres de la Saline?
Ces atrocités se sont produites dans un cadre marqué par les affrontements entre gangs rivaux pour pour le contrôle du marché de la Croix des Bossales, tout en ayant pour objectif la répression des manifestations anti-gouvernementales.
Détention illégale d’armes à feu, assassinat, tentative d’assassinat, vols à mains armées, incendies criminelles, enlèvement, séquestration et association de malfaiteurs sont les principaux chefs d’inculpation.
Parfois, la dame interrogée par AyiboPost reconnaît certains de ses agresseurs dans la rue. « Je ressens une folle rage de me venger à ces moments-là. Mais, c’est impossible. J’attends la justice », confie-t-elle lors d’une rencontre dans les locaux du RNDDH.
L’avocat Sonel Jean-François, à travers son cabinet François et associés, accompagne une vingtaine de personnes victimes de ce massacre devant la justice.
Je ressens une folle rage de me venger à ces moments-là. Mais, c’est impossible. J’attends la justice.
Des dizaines d’autres ont porté plaintes devant le cabinet d’instruction et au parquet.
« La route a été longue», mais l’ordonnance représente «un pas dans la bonne direction», fait savoir Jean-François à AyiboPost.
Jean-François dénonce la lenteur habituelle qui caractérise la justice haïtienne tout en souhaitant cette fois que cette dernière soit impartiale afin que tous les coupables puissent être punis pour leurs forfaits.
Arrivé à terme en 2021, le mandat du juge Chavannes Etienne, premier juge chargé de l’instruction du dossier, n’a pas été renouvelé par l’exécutif.
L’association professionnelle des magistrats ( APM ) avait assimilé ce refus – qui concernait deux autres juges qui travaillaient sur des dossiers impliquant des proches du pouvoir – à une violation du principe de la séparation des trois pouvoirs établis par la Constitution haïtienne.
Au renouvellement de son mandat en 2022, le juge d’instruction Jean-Wilner Morin prend en charge le dossier La Saline.
La voiture du juge en charge de plusieurs autres dossiers importants liés à la corruption a été attaquée par des individus armés sur la Route de Frères en mai 2023.
Plusieurs personnes interrogées par le juge affirment avoir vu Fednel Monchery, Joseph Pierre Richard Dupland et Jimmy Cherizier, accompagnés d’hommes armés distribuer des boîtes dont elles ignorent le contenu, le 3 octobre 2018, dans les parages du Wharf Jérémie.
En 2020, Jimmy Chérizier, Joseph Pierre Richard Duplan et Fednel Monchéry sont sanctionnés par le département du trésor des Etats-Unis pour leur implication présumée dans le massacre.
Faisant l’objet d’un mandat d’arrêt émis par la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), Monchéry a été arrêté puis libéré en février 2021.
Deux des policiers qui l’avaient arrêté ont déclaré à AyiboPost avoir fui le pays sous la menace, craignant pour leur sécurité.
Lire aussi : Témoignages, enquêtes… comprendre les massacres survenus à La Saline
La route vers un procès dans cette affaire sera longue.
Le juge d’instruction a ordonné que toutes les pièces du dossier préparatoire, ainsi que l’ordonnance soient transmises au commissaire du gouvernement pour les suites légales.
Une fois signifiée au ministère public par le juge d’instruction, le commissaire du gouvernement dispose d’un jour pour interjeter appel de l’ordonnance.
Ce délai est de dix jours en ce qui concerne les inculpés et la partie civile.
« Pour l’instant, nous ne savons pas encore s’il y a eu des appels », explique Sonel Jean-François à AyiboPost.
Les accusés, selon le juge, devraient être « pris de corps et incarcérés à la maison d’arrêt s’ils ne s’y trouvent déjà ».
***
Lors du massacre, les criminels ont violé une jeune femme de 26 ans.
Depuis, la mère d’un garçon de neuf ans a du mal à joindre les deux bouts, faisant face à des difficultés socio-économiques et à la stigmatisation.
Elle et son fils ont connu des jours sombres, mais la jeune femme maintient avoir une soif ardente de justice.
« J’ai très mal lorsque les gens me rappellent, pour m’injurier, le fait que j’ai été violée », se plaint-elle, le regard fixé dans le vide et la gorge nouée lors d’une interview avec AyiboPost.
Bien que sceptique quant à la volonté de la justice haïtienne de punir les coupables, elle affirme sa ferme volonté de continuer à se battre.
« Si la justice des hommes n’agit pas, je m’en remettrai à celle de Dieu. Celle-là n’est jamais défaillante », conclut-elle.
Par Wethzer Piercin
Image de couverture : En 2015, le gang de La Saline avait été démantelé lors d’une opération menée par la MINUSTAH et la PNH. | Antoine Adoum Goulgué- UN/MINUSTAH
Gardez contact avec AyiboPost via :
► Notre canal Telegram : cliquez ici
► Notre Channel WhatsApp : cliquez ici
► Notre Communauté WhatsApp : cliquez ici
Comments