Le compte à rebours vient de commencer : tic, tac, tic et soudain les deux aiguilles de l’horloge s’alignent sur le chiffre 12, il est minuit boule, comme on dit chez nous ! Les premières secondes de l’année 2019 viennent à peine de s’écouler, les feux d’artifice résonnent de partout, l’assemblée exulte de joie ! Tout le monde est content, les gens s’embrassent, ils viennent de franchir le cap vers une nouvelle année. Comme à l’accoutumée, je suis à l’église, mon endroit de prédilection pour fêter la Saint-Sylvestre. Les gens s’embrassent, échangent des vœux, prennent de nouvelles résolutions et espèrent une année 2019 bien meilleure que la précédente.
Soudain, je décide de prendre un peu de recul par rapport à l’assemblée, pour mieux l’observer. J’examine alors le Pasteur heureux de formuler des vœux et des directives à l’endroit de ses fidèles. Je contemple des pères de famille fiers et résolus de travailler plus fort pour le bien-être familial, des mères prêtes à se battre pour offrir ce qu’il y a de mieux à leurs enfants dans cette société en pleine de déliquescence ; je regarde des enfants pleins d’espoir et des jeunes en quête d’opportunités ! Une onde positive envahit la salle entière ; armés de bonnes résolutions, de directives, d’amour, mais surtout de foi, les fidèles sont prêts à croquer cette nouvelle année à pleine dents.
Dans cette euphorie contagieuse et ce déferlement d’amour, étrangement une vague d’angoisse me traverse et me donne froid dans le dos. Haïti, Mère Patrie, y-a-t-il quelqu’un qui pense à toi en cette minute même ? Quelles sont les résolutions qui sont prises pour toi à l’occasion de cette nouvelle année ? Quelles sont les directives qu’on veut te donner pour arrêter ta descente aux enfers ? J’ai l’impression que tu es laissée-pour-compte.
Il y a longtemps que tu ne fais plus notre fierté ! Si tu es présente dans nos conversations c’est souvent en des termes négatifs et ce, à juste titre. Les émotions que tu nous inspires n’ont rien à envier, pour certains c’est l’amertume, pour d’autres la peur, le dégout, le mépris, l’indifférence…
Haïti, Mère Patrie, on ne choisit pas son pays tout comme on ne choisit pas ses parents. Quoiqu’on fasse nous serons unis à tout jamais ! Alors Haïti, Mère Patrie je choisis de t’aimer malgré toi, je n’ai pas le choix, tu as choisi en premier et tu m’as choisi. Je n’y peux rien, le lien qui nous unit est puissant.
Haïti, certainement j’ai une montagne de choses à te reprocher… moi, cette fille dont la mère l’a mis au monde dans la crainte d’avoir osé avoir des contractions lors d’un couvre-feu. La pauvre femme, elle a dû prendre son courage à deux mains pour violer ce couvre-feu, au risque de perdre sa vie et celle de son bébé en restant à la maison ! Cette fille qui porte en elle les séquelles des manifestations et qui subit jusqu’aujourd’hui le fardeau de l’instabilité politique ; Celle qui a vécu une grande partie de son adolescence dans la peur de voir des bandits prendre d’assaut sa maison, n’ayant que pour tout recours : Dieu. Heureusement, Il est vivant !!!
Haïti, laisse-moi te confier que malgré tout j’éprouve pour toi un profond respect. ET, même si tu m’inspires souvent des sentiments négatifs, je n’aurais de cesse de valoriser tes acquis de 1804 !!! J’aimerais aussi que ma génération accomplisse des exploits dont on se souviendra 200 ans plus tard, pourquoi pas ? J’aimerais que ta réputation change au cours des 25 prochaines années, j’aimerais te voir changer de direction…Haïti. J’aimerais te voir tendre la main à tes enfants égarés au Chili, au Brésil, ou ailleurs.
Au début de cette année 2019, loin de vouloir me perdre dans d’interminables reproches, je choisis de te formuler 10 vœux, qui, s’ils se réalisent, insuffleront pleins d’espoir à tes filles et fils épuisés, sans repères et zombifiés. Haïti, tes problèmes sont nombreux et profonds mais je me contenterai de ces dix vœux :
- Je souhaite que chaque Haïtien prenne conscience de sa citoyenneté et agisse en tant que citoyen responsable en 2019.
- En 2019, je souhaite que les rues de Port-au-Prince deviennent propres, et qu’on puisse enfin s’y offrir une ballade !
- Je souhaite que des mesures soient prises pour restructurer notre transport en commun en 2019 ?
- Je souhaite qu’Haïti signe son acte de divorce avec l’impunité et l’insécurité généralisée en 2019.
- Je souhaite qu’Haïti se réconcilie avec la moralité et que plus jamais sur son territoire un homme intègre soit taxé « d’égaré ».
- Haïti, je souhaite te voir emprunter lentement, mais surement le sentier de la croissance économique.
- Haïti, je souhaite qu’en 2019 une place centrale soit accordée à l’éducation sa place centrale et qu’elle soit dûment valorisée.
- En 2019, lorsqu’un parent de l’étranger me demande : « Koman pwoblèm black-out lan ye kounye a ? m ta renmen reponn yo : ki black-out ? »
- Haïti, je souhaite qu’en 2019 une meilleure prise en charge de la santé de la population soit une priorité.
- Je souhaite vivre une expérience inédite dans les rues de Port-au-Prince en 2019. Je rêve de voir tomber les défenses mortelles des véhicules. Je rêve d’une ville où traverser une rue ne relève pas d’un véritable parcours du combattant et enfin je me vois en 2019 m’installer confortablement derrière mon volant espérant enfin pouvoir conduire en pratiquant un code de la route universelle.
Haïti, Mère Patrie, mes vœux sont peut-être trop optimistes, mais je refuse d’être astreinte à la négativité tout le temps. Et, consciente du fait que chaque Haïtien doit apporter sa quote-part dans l’accomplissement de ces vœux, je te promets au moins de prendre considération les vœux 1 et 10 et j’invite mes concitoyens à assumer leur part de responsabilité.
Haiti, je t’aime malgré toi, malgré tout, mais j’espère que demain, je t’aimerai pour ce que tu es : Ma patrie, ma perle.
Fabiola Benoit
Email : fabiola.benoit@outlook.fr
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