Les Vaincus ont écrit l’histoire des vainqueurs. On te présente comme une personne brute, un sanguinaire, sombre gourou du « koupe tèt, boule kay » et un illettré. On commémore ta mort chaque année et on oublie ta date de naissance : le 20 septembre 1758 et la date de ton sacre comme empereur le 8 octobre 1804.
En 2014, Haïti est une terre quasiment sous tutelle où les dirigeants cherchent plus la bénédiction des capitales étrangères que l’assentiment de leur peuple. Pire encore, tes fils ont trahi ton idéal et souillé ta mémoire.
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Dès ton jeune âge, tu fus rebelle, tu refusas d’accepter que ta couleur de peau scelle ta vie du sceau de la servilité. Tu t’épris d’un amour fou pour cette terre qui t’a vu naitre. Tu n’as jamais compris les inégalités de la vie coloniale à Saint-Domingue. Comment un noir pouvait-il être considéré comme « la chose » d’un blanc ? Comme un « bien privé » ?
Ta « tante » Toya, Victoria Montou, esclave comme toi de l’habitation des cahos, femme forte et de tempérament réfractaire, t’apprit très jeune à te battre et manier le « couteau »… tout cela pour défendre ton humanité.
Tu n’as jamais compris les inégalités de la vie coloniale à Saint-Domingue.
On enseigne à tes fils que tu étais un illettré, un homme inculte. Une pure trahison, démentie par les historiens dont le baron de Vastey et Thomas Madiou. Tu appris de ton premier maitre, Jacques Duclos, le métier de charpentier qui exige nécessairement le calcul des charpentes et des traverses des toits.
En 1804, tu pris toi-même ta plume pour écrire au président américain Thomas Jefferson pour lui demander de reconnaitre l’indépendance d’Haïti, 2e nation libre du continent américain. Jefferson, vexé de se voir être le destinataire d’une lettre si bien écrite par un noir révolutionnaire, n’y a jamais donné réponse et la classa hors temps, c’est-à-dire que personne ne pourra jamais la déclassifier, ni en découvrir la teneur.
Quel bel acte de reconnaissance pour ces centaines de noirs de Saint-Domingue qui ont combattu en Géorgie et en Floride aux côtés des patriotes lors de la guerre de l’indépendance américaine !
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On te dit sanguinaire, anti-blanc et revanchard. Pourtant, tu promis la liberté « à tout homme ou femme » foulant cette terre. Pour toi, être noir ne fut pas une couleur de peau, mais un idéal, une philosophie. Idéal de liberté, idéal d’égalité, idéal de fraternité.
L’indépendance, la liberté ne furent pas pour toi des idées abstraites, des grands mots, mais plutôt des essences de toute vie. Hélas, tu ne pus profiter de ce pays que ton sang a porté sur les fonts baptismaux. Ceux-là même qui furent tes frères d’armes ont fomenté et planifié ton assassinat.
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Et depuis, la nation haïtienne ne s’est jamais réconciliée avec elle-même. Cette même nation que tu « voulais debout au premier coup de canon d’alarme » (art. 28 de la Constitution Impériale), il n’en reste que des lambeaux. Haïti n’est aujourd’hui, hélas il faut le dire, qu’un vague idéal désuet et désabusé qu’il y a urgence à ranimer et à remettre au goût du jour. Il n’y a plus d’Haïti. Il y a les moun anba et les moun anwo, les gens de la ville et les moun mòn… pire encore le diaspora gwosoulye de Miami et le diaspora frechè de New York.
Pour toi, être noir ne fut pas une couleur de peau, mais un idéal, une philosophie.
Aussitôt élus nos dirigeants vont prendre leur dictée à Washington. Pour eux, la présence des blancs sur le territoire est la garantie qu’ils pourront terminer leur mandat. Cette nation, jadis de fierté, est devenue un mendiant tenace et un tantinet arrogant.
Qui es-tu, Dessalines ? Qui es-tu pour nous ? Que commémorons-nous le 17 octobre : ta mort ou l’ensevelissement de notre indépendance et de notre identité de peuple ?
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