La démarche indépendantiste n’a pratiquement aucune chance d’aboutir, mais elle met en lumière les frustrations profondes des citoyens de l’arrondissement
L’île de la Gonâve est cloîtrée entre deux bras de mer qui se rejoignent dans la baie de Port-au-Prince. Ses 87 000 habitants vivent dans des conditions très précaires. En sus du manque d’énergie et d’eau potable, l’État est quasi-inexistant sur ce coin de terre.
« La Gonâve est entièrement dépendant du reste du pays qui l’approvisionne via le service des voiliers », se plaint Atherty Augaus journaliste et résident de la commune Anse-à-Galet de l’île.
Sur ce morceau de terre noyé dans l’océan, les infrastructures sanitaires et routières sont déficientes, rendant pénible la vie des citoyens. La Gonâve ne compte que deux policiers. « L’île n’a qu’un seul établissement professionnel, un seul hôpital, un seul lycée », regrette l’infirmière Cherlie Jean, une résidante exténuée des problèmes structurels auxquels fait face La Gonâve depuis des lustres.
Forts de ce constat, des habitants de La Gonâve souhaitent que l’île se détache de la grande terre pour devenir indépendante. Périlleuse et illégale, la démarche prend racine dans des complaintes portées par l’ensemble de l’arrondissement. Elle a cependant peu de chances d’aboutir.
« Après moult réflexions, j’ai fini par constater que l’autodétermination est la seule issue pour sortir de cette spirale de pauvreté qui nous engloutit tous dans la misère sur l’île », pose Vladimir Castor Simon. Il est un des leaders de « Lagonav Endepandan (LAGE) ». Cette structure lancée en 2017 fait de la diplomatie son arme de combat principal.
Il y a deux ans, LAGE a rédigé une pétition pour réclamer le droit à l’autodétermination de l’île au regard des droits internationaux. À date, le document adressé au président Jovenel Moïse, aux Nations Unies, à l’OEA et à la Caricom a recueilli à peine 200 des 500 signatures demandées. « L’autodétermination nous permettra de prendre le destin de l’île, de nous gouverner nous-mêmes et d’être souverains », dit Simon, un jeune vidéaste de l’île.
LAGE a tenté de rallier à sa cause des nations comme le Chili, l’Argentine ou les Bahamas. Dans l’attente de l’aboutissement de ces requêtes, la structure a rédigé l’acte de l’indépendance de l’île, préparé le drapeau et la carte d’identification de ce « nouveau pays ».
Un aboutissement incertain
Malgré les démarches entreprises, La Gonâve demeure un territoire haïtien, comme écrit dans la Constitution de 1987. « Nous avons fait l’objet de menaces de la part des résidents de La Gonâve qui ne voient pas d’un bon œil le projet d’autodétermination de l’île. Nous en avons aussi reçu de la part d’inconnus qu’on n’arrive pas à identifier jusqu’à date », se plaint Vladimir Castor Simon.
En effet, l’indépendantisme ne parcourt pas l’ensemble des rues de l’ile. Certains comme Atherty Augaus de la commune d’Anse-à-Galet voient le projet avec suspicion et scepticisme. « La réalisation d’un tel projet demande qu’on soit un peuple fort. La Gonâve est dépourvue de tout », fait-il remarquer.
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Pour Augaus, le projet d’indépendance devrait s’accompagner d’une ambition pour rendre La Gonâve autosuffisante. « L’île doit pouvoir être en mesure de réduire sa dépendance vis-à-vis de la grande terre. Une fois l’autosuffisance acquise, on pourrait commencer à penser à l’indépendance », suggère ce citoyen.
En lieu et place de l’indépendance, certains proposent une démarche citoyenne. « Je pense qu’on peut refuser de participer aux élections du pays en signe de protestation pour forcer l’État à prendre ses responsabilités et agir pour le développement de l’île », dit Augaus.
Un combat juridico-légal
Tout a commencé en 1997 avec une association du nom de La Gonâve en Action. « Il s’agissait avant tout de réunir l’intelligentsia Gonaïvien pour penser le projet d’indépendance », fait savoir le Gonaïvien, Kely Bocicot, l’un des initiateurs de cette démarche.
Ancien membre de l’Unité de sécurité générale du palais national (USGPN) pendant sept années, Bocicot réside à Orlando depuis 2003. II a rejoint la lutte indépendantiste sous l’invitation de Emmanuel Maccéus, ex-coordonnateur de La Gonâve en action. Ce dernier a abandonné l’initiative après avoir intégré l’armée américaine.
Selon les tenants de ce projet, la structure regroupe et conscientise les Gonaïviens vivant dans l’international et ceux du terroir. L’objectif est de traduire l’État haïtien en justice devant les tribunaux du pays. En cas de non-aboutissement, le groupe s’adressera aux tribunaux internationaux afin que l’État haïtien puisse répondre de la violation flagrante des droits des habitants de La Gonâve.
Mais des années après, ces idées restent au stade de plans non exécutés. LAGE et La Gonâve en Action sont très affaiblis. Selon les dires de Simon, la plupart des 89 membres de LAGE ont abandonné la lutte à cause des multiples menaces que subissent leurs familles.
Il convient de noter que les habitants de La Gonâve ne sont pas les seuls à entretenir l’idée de voir leur région indépendante. La Catalogne par exemple mène depuis plus de 80 ans un combat pour son indépendance de l’Espagne, ce qui plonge la région dans une crise quasi permanente.
Atherty Augaus pense que La Gonâve doit, comme la Catalogne, atteindre un stade d’autosuffisance économique avant de mener une lutte pour son indépendance.
AyiboPost a contacté sans succès le Ministère de l’Intérieur et de la Défense sur ce sujet.
Un acte de trahison ?
Haïti a déjà connu des scissions par le passé.
Après l’assassinat du fondateur de la patrie Jean Jacques Dessalines, le pays fut scindé en deux. Il y eut le Royaume du nord avec le général Henry Christophe et la République du Sud gouvernée par le président Alexandre Pétion. La première constitution d’Haïti, celle de 1807, avait approuvé cette scission.
Des années se sont passées et la loi mère n’est plus la même. Selon les prescrits de l’article premier de la Constitution de 1987, Haïti est une République indivisible, souveraine, indépendante, libre, démocratique et solidaire. Aussi, les séparatistes vont au-devant de graves accusations de trahisons.
Questionnés sur la violation de la constitution, les indépendantistes comme Castor Vladimir Simon et Kely Bocicot bottent en touche : « On ne peut parler du nombre de fois que l’État haïtien viole nos droits à l’éducation, à la sécurité, au bien-être en tant que peuple », rétorquent-ils.
Les professionnels du droit jettent cependant une douche froide sur les velléités sécessionnistes. « Les indépendantistes durant cette époque contemporaine finiront toujours en prison », avertit Me Joseph Jacques Jasmin qui a des compétences en droit public. « Ils seront arrêtés et punis au regard de la loi et reconnus coupables avec un chef d’accusation de division du territoire. »
Emmanuel Moïse Yves
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