SOCIÉTÉ

87 000 citoyens pratiquement emprisonnés sur l’île de La Gonâve

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La crise politique que connait le pays a de grandes répercussions sur l’île de la Gonâve. Mais les problèmes de ce bout de terre viennent de beaucoup plus loin.

La Gonâve est l’une des îles adjacentes de la République d’Haïti. Elle est divisée en deux communes, Anse-à-Galets et Pointe-à-Raquette.

Selon les dernières estimations de l’Institut haïtien de statistiques et d’informatique, plus de 87 000 personnes y vivent. Pour rejoindre le reste du pays qu’ils appellent la Grande terre, les habitants utilisent les services de voiliers, yachts et bateaux.

Des citoyens immobilisés

Depuis plusieurs jours, les deux bateaux qui assurent le transport de l’île de la Gonâve vers le reste du pays sont immobiles. En cause, la crise politique et sociale que traverse Haïti. Ils ne voyagent pas vers la Grande terre.

Les deux bateaux qui assurent le transport de l’île de la Gonâve vers le reste du pays sont immobiles.

En temps normal, les marchands de l’île embarquent à destination de Saint Marc ou de Carriès, dans la commune de l’Arcahaie. De là, ils achètent le nécessaire qu’ils viennent revendre.

En situation de crise, comme celle que connait le pays, cet approvisionnement est compliqué. La route de l’Arcahaie est coupée. Les marchands qui s’y aventurent quand même se font attaquer et piller. Comme les boutiques et dépôts de provisions alimentaires sur l’île épuisent leurs stocks rapidement, la rareté s’installe.

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À Anse-à-Galets, la ville principale de l’île, les produits de première nécessité deviennent un luxe. « Au début du mois de septembre, dit Ajasse Michel, journaliste et entrepreneur à La Gonâve, un sac de riz se vendait à 1850 gourdes. Maintenant le prix est passé à environ 2200 gourdes. Le pétrole, principalement la gazoline n’a pas de prix fixe. Le gallon peut se vendre de 120 à 1000 gourdes. »

Une île résignée

Dans les sections les plus reculées, la situation est pire. Mikerson Eliassaint est un jeune Anselois qui vit dans la troisième section communale d’Anse-à-Galets, Grande Source, dans une petite localité appelée Nan Kafe.

« Nous manquons d’eau. Certains ont construit des réservoirs pour capter l’eau de pluie, mais nous n’en avons pas tous. Quant à l’électricité, cela n’existe pas. »

Le jeune homme se plaint que la vie devient de plus en plus difficile, surtout à cause de la faible récolte. « La saison dernière il n’a pas beaucoup plus, se plaint-il. Nous n’avons pas pu produire assez de pois, de maïs ou de petit mil. Nous n’avons pas de réserves. Ici, à Grande Source, les boutiques ne vendent plus de produits alimentaires en gros, parce qu’ils commencent à en manquer. »

« Nous manquons d’eau, surtout quand il ne pleut pas. Certains ont construit des réservoirs pour capter l’eau de pluie, mais nous n’en avons pas tous. Quant à l’électricité, cela n’existe pas. Nous utilisons des panneaux solaires pour recharger nos téléphones, et avoir de la lumière. »

Pourtant, pendant que les autres villes du pays s’embrasent, la Gonâve est restée calme. Michel Ajasse et Mikerson Eliassaint expliquent ce manque d’effervescence par un constat réaliste : ils n’ont pas de routes à bloquer, puisqu’ils vivent sur une île. Cela n’aurait aucun effet sur l’État central. Ils n’ont aucun moyen de pression, alors ils se résignent à leur sort.

L’État est inexistant

La Gonâve est un arrondissement oublié du département de l’Ouest. Selon Ernso Louissaint, maire d’Anse-à-Galets, l’État n’a presque pas de représentation sur l’île.

« Nous sommes traités en parents pauvres, dénonce-t-il. Il n’y a pas de routes, pas d’électricité, pas de matériels pour permettre à la mairie de remplir son rôle. Nous dépendons d’une allocation du ministère de l’Intérieur, qui s’élève à 509 000 gourdes. Après le payroll de la mairie, il ne reste que 57 000 gourdes sur le compte de la municipalité. Pourtant, cela fait six mois que nous n’avons rien reçu du ministère. Nous sommes démunis. Nous n’arrivons même pas à payer le loyer de la mairie ; l’État a une dette vieille de cinq ans. »

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Atherty Augaus est journaliste et exerce son métier sur toute l’île. Il élève aussi la voix pour dénoncer l’état déplorable des deux communes. Le journaliste énumère un chapelet de problèmes. « Cela fait environ 33 ans que nous avons le statut de commune, dit-il, pourtant il y a à peine deux kilomètres de route en béton à Anse-à-Galets. À Pointe-à-Raquette il n’y a que quelques centaines de mètres bétonnés. Seul le tracé des routes est visible. »

« Nous n’avons pas d’hôpitaux de référence, poursuit-il. De plus la plupart des médecins sont généralistes. Cela pose problème dans certains cas. Quant à la Presse, elle existe avec beaucoup de difficultés. L’île compte sept stations de radio ; depuis quelques jours plusieurs d’entre elles n’émettent plus. »

La Police nationale n’est représentée que par quelques agents sur toute l’île

La Police nationale n’est représentée que par quelques agents sur toute l’île. « Nous n’avons que six à huit policiers, et ils ne sont pas là en permanence, dit le maire principal d’Anse-à-Galets. Ils travaillent par roulement. Toutes les deux semaines, un groupe de policiers arrive sur l’île. Parfois, nous n’avons qu’un seul agent dans la commune. Mais pour les fêtes patronales, il y a plus de policiers qui viennent nous aider. »

À part la mairie qui fonctionne tant bien que mal, le pouvoir législatif est également mal représenté. Deux juges de paix, l’un à Anse-à-Galets et l’autre à Pointe-à-Raquette, sont les seuls fonctionnaires de justice depuis environ trois ans. D’après le maire, ils étaient censés être six.

Entre indépendance et projets de développement

L’absence de l’État sur l’île a conduit des habitants de la Gonâve à exprimer leur désir de se séparer du reste du pays.

Ernso Louissaint confirme que ces velléités sont présentes depuis belle lurette et que des discussions ont eu lieu autour du sujet. L’élu croit toutefois que c’est une mauvaise idée. « Au regard de la Constitution, cela n’est pas possible. Et ce ne serait pas dans notre intérêt. Je crois de préférence qu’il faudrait obtenir de l’État central qu’il transforme l’île en département. Ce serait mieux ».

L’absence de l’État sur l’île a conduit des habitants de la Gonâve à exprimer leur désir de se séparer du reste du pays.

Le potentiel touristique de la Gonâve a toujours été sous-exploité, selon le maire. « Aucun autre pays au monde, qui posséderait une telle île ne la laisserait ainsi, affirme l’élu. Nous sommes un bijou. »

Des initiatives ont été annoncées ces dernières années, à grand renfort de publicité, pour le développement de l’île.

Des volontés non implémentées

Ainsi, en 2009, des entrepreneurs haïtiens ainsi que des partenaires américains ont créé La Gonâve Economic Development Group. Ce projet de 48 milliards de dollars, sur vingt ans, visait à faire de l’île le plus grand port touristique de la Caraïbe.

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Plus récemment, sous la présidence de Michel Martelly, un décret présidentiel a créé le Centre financier international de La Gonâve. Ce projet devrait entre autres intégrer le pays sur le marché financier international. Ce décret a soulevé le mécontentement d’une partie de la population qui l’assimilait à une vente de l’île. Le secteur bancaire a aussi montré son désaccord, face à ce qui selon lui, était la création d’un paradis fiscal.

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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