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À cause des gangs, des cultivateurs n’ont plus d’eau dans la vallée de l’Artibonite

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Des bandits ont pris le contrôle de cette ressource

Depuis près de trois ans, des milliers d’hectares de terre ne sont plus irrigués dans la vallée de l’Artibonite. Selon André Saint Louis, coordonnateur général du Réseau des organisations pour l’intégration des planteurs du Bas-Artibonite, plusieurs localités sont affectées. 

Pour survivre, les agriculteurs ne peuvent que compter sur la saison des pluies pour planter, au risque d’être pris au dépourvu par la sécheresse.

Deux canaux d’irrigation, le canal Dessalines et le canal Bidone, sont à sec. Cinq autres canaux, parmi les seize qui contribuaient à arroser les 32 000 hectares de la vallée, fonctionnent au compte-goutte, selon André Saint-Louis qui parle d’ensablement.

D’après Benestin Exantus, un cultivateur, cela dure depuis plus de deux ans. Mais ce n’est ni la sécheresse, ni la défectuosité des canaux qui sont en cause. Ce sont les gangs. 

Les seigneurs des canaux

Plusieurs groupes armés s’affrontent dans la vallée. Selon l’assistant CASEC de la première section communale de Marchand Dessalines, Robert Moïse, le gang de Savien, zone située non loin de la commune de Petite-Rivière, est le principal responsable. 

« Pour mieux asphyxier ses rivaux, le gang a décidé d’obstruer certains canaux d’irrigation. Ainsi, ils comptent  combattre le gang ennemi de Jean Denis, dans la commune de Marchand Dessalines, en bloquant le canal Dessalines. Des milliers de familles sont ainsi privées de l’eau nécessaire à la culture du riz » déplore-t-il.

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Aujourd’hui, sans eau, la zone de Charon où réside l’assistant CASEC ne produit rien. Riz, oignons, melons, tomates, patates douces et piments, presque rien ne pousse, regrette Molesse Fedestin, un sexagénaire qui déplore que les bandits règnent en maître dans les champs.

Ce sont environ 5000 hectares irrigables qui sont touchés par la sécheresse imposée par les gangs, affirme André Saint-Louis. Des communes comme Petite-Rivière, Dessalines, l’Ester et Desdunes sont concernées.

Pour mieux asphyxier ses rivaux, le gang a décidé d’obstruer certains canaux d’irrigation.

Le directeur général de l’Organisation pour le développement de la Vallée de l’Artibonite, Jocelyn Jean, confirme les faits. « Les bandits de Savien coupent l’eau qui devrait arroser les terres des paysans et la canalisent vers le système de drainage, la jetant directement dans la mer ». Jocelyn Jean confie que l’organisme travaille à évaluer les pertes mais n’y parvient pas encore. 

Incapable d’intervenir

A Beaufort, à quelques mètres de la route nationale numéro 1, et à  dix minutes de Pont-Sondé en partant de Port-au-Prince, les habitants indexent aussi les hommes de Savien dans la sécheresse qui sévit dans leurs terres.

Selon Astrel Dieujuste, un habitant de la Vallée, « les bandits ont bloqué le canal à partir de la zone de  Tassi,  sous les regards nonchalants des autorités de l’Etat qui n’interviennent pas pour désensabler le canal ».

Mais d’après Gabriel Lermont, un notable de la vallée, l’Organisation pour le développement de la Vallée de l’Artibonite ne parvient pas à nettoyer les canaux, par peur de représailles des bandits qui contrôlent la zone. 

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L’ODVA est impuissante. Pour que les techniciens puissent se rendre sur le terrain, les bandits leur sollicitent de l’argent. Selon le directeur Jocelyn Jean, l’ODVA a refusé de composer avec ces hors-la-loi.

A cause de cela, le directeur général de l’organisme créé pour assurer le développement du secteur agricole dans la région ne peut qu’espérer une intervention policière capable de déloger les bandits.

Pas la saison sèche

Entre novembre et mars, les canaux de l’Artibonite connaissent  une diminution du niveau de l’eau, rappelle le directeur de l’ODVA. Gabriel Lormont, un notable de la Vallée n’en disconvient pas, mais il rappelle que la baisse de niveau n’avait jamais provoqué pareille sécheresse sur autant d’hectares. 

Selon lui, à cause de l’ensablement du barrage de Péligre et la rareté des pluies qui ont réduit la quantité de l’eau stockée, il est normal que certaines zones ne soient pas arrosées pendant les campagnes d’hiver. «Mais à constater l’étendue des terres privées d’eau, on sait que le conflit entre des groupes de bandits pèse lourd sur l’eau dans la Vallée» croit-il.

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Le directeur de l’ODVA aussi admet cette réalité. «De novembre à mars, on parle de campagne d’hiver dans la vallée de l’Artibonite. Contrairement à la campagne de printemps, certaines zones ont l’habitude d’en souffrir à cause de la baisse du niveau de l’eau à Péligre», confie le directeur. 

Pour que les techniciens puissent se rendre sur le terrain, les bandits leur sollicitent de l’argent.

Cependant,  l’eau stockée à Péligre cette année a été bien gérée. Jocelyn Jean est en mesure de confirmer que « c’est la première saison sèche où il y a une si grande disponibilité de l’eau ». 

Le débordement du canal de « Villard » dans la zone de Bois-Georges est  une preuve que la sécheresse n’est pas due à un manque d’eau mais à la mauvaise gestion de cette ressource. 

Dans cette zone, située non-loin de « Kafou Pey », autre repaire de bandits, les plantations de riz regorgent d’eau, jusqu’à déborder sur la route. Aux dires de Gabriel Lormont, outre les actes de sabotage des bandits, cela est aussi dû à « l’absence de régulateurs » pour contrôler la distribution de l’eau « gaspillée dans certains points et en manque dans d’autres ».

Samuel Celiné

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

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