POLITIQUE

Paysans, chauffeurs et déplacés expriment leurs avis sur le conseil présidentiel

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« Je n’ai aucun espoir dans ce conseil. Chacun cherche à prendre sa part du gâteau. Et vu leur agenda personnel, ils ne penseront même pas à la situation du pays », tranche à AyiboPost Camilus Flaubert, un cultivateur à Dessalines

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Les controverses autour du Conseil présidentiel préoccupent peu Beauzile Yvenat.

À Delmas 83, la « madan Sara » vend ce mercredi 1er mai des légumes verts, quelques bananes trop mûres et d’autres tubercules rangés sous un parapluie usé.

« Si l’État voulait nous aider, nous ne serions pas à ce stade aujourd’hui », déclare Yvenat qui affirme, avec un regard dédaigneux, ne pas être au courant de l’installation du Conseil présidentiel jeudi dernier.

La mère de quatre enfants chassée de son logis par les gangs de Canaan en 2022 justifie son désintérêt par « un constat » : « les politiques, dit-elle, se contentent de remplir leur poche et celle de leur famille. »

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Le fondateur de l’hôpital Fontaine de Cité Soleil, Jose Ulysse, « n’attend rien du Conseil présidentiel » non plus.

Moins d’une semaine après sa prestation de serment, le regroupement de neuf blocs politiques se retrouve déjà au cœur d’une tempête.

Quatre de ses sept membres avec droits de vote ont annoncé avoir choisi son président et le prochain Premier ministre, après la signature d’un accord « indissoluble ».

Au moins deux autres camps dans le Conseil également avec droits de vote protestent ces décisions « en violation », selon leur analyse, d’un Accord politique signé par les parties prenantes le 3 avril 2024.

« Ils commencent dans la ruse », charge Ulysse, dont l’hôpital Fontaine a été fermé pendant une semaine en novembre 2023 lors d’un affrontement entre deux gangs à Cité Soleil.

«Ce sont les mêmes personnes qui, depuis 25 à 30 ans, ont causé tous les problèmes qu’on a : comment peuvent-elles maintenant apporter des solutions ? », se demande Ulysse, ancien conseiller des ex-présidents Jean Bertrand Aristide et Michel Joseph Martelly.

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Cette question traverse l’ensemble du pays. Car les urgences ne manquent pas.

La moitié de la population se retrouve en insécurité alimentaire. Les gangs isolent Port-au-Prince, empêchent le fonctionnement régulier de l’aéroport principal, attaquent les ports et interdisent la livraison du carburant.

Soldat protège Aéroport international Toussaint Louverture Haiti

Un soldat de la FADH surveillant l’entrée de l’aéroport en prélude à la rumeur concernant la venue potentielle du PM Ariel. Mars 2024 |© Jean Feguens Regala/AyiboPost

L’eau commence à manquer. Des dizaines d’hôpitaux ont fermé leurs portes, et le stock dans les pharmacies s’amenuise.

« Je n’ai aucun espoir dans ce conseil » tranche à AyiboPost Camilus Flaubert, un cultivateur à Dessalines, une localité du Bas-Artibonite terrassée par le gang « Gran grif » de Savien.

« Chacun cherche à prendre sa part du gâteau, poursuit l’agriculteur. Et vu leur agenda personnel, ils ne penseront même pas à la situation du pays ».

Flaubert, ainsi que des centaines de travailleurs de la zone, traversent pourtant une période difficile.

La route nationale numéro un demeure presque impraticable. Les marchés publics de sa localité fonctionnent inadéquatement. La sécheresse rend la production rizicole d’environ neuf hectares de l’agriculteur très déficitaire.

« Cette année est la plus terrible », déclare Flaubert. « Je n’évalue pas encore les pertes. »

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Selon une source impliquée dans le processus, le Conseil doit se réunir ce jeudi.

Parmi les points en discussion se retrouve la nécessité de revenir au processus tracé par l’Accord du 3 avril pour le choix du Premier ministre.

« Ces gens qui ne respectent même pas le décret portant création du Conseil présidentiel ne respecteront rien, même lorsqu’ils signent d’autres papiers», analyse Me Samuel Madistin de la Fondation Je Klere. « Le partage de ministères et de directions générales va générer des corruptions », poursuit le défenseur des droits humains.

Selon l’entente trouvée début avril entre les regroupements aux alliances et intérêts souvent antagoniques, le chef du gouvernement devait être nommé en consultation, sur la base d’une liste comportant un seul nom soumis par chacun des secteurs, ne dépassant pas un total de quinze candidatures.

Après avoir choisi Edgard Leblanc comme président du Conseil, le groupe des quatre a également annoncé la sélection de l’ancien ministre, Fritz Bélizaire, comme prochain chef du gouvernement — sans passer par le processus de l’entente d’avril.

L’arrangement dit « indissoluble » trouvé entre les quatre conseillers-présidents et rendu public le 30 avril prévoit que trois d’entre eux peuvent décider pour le bloc de quatre.

Or, l’accord du 3 avril assigne une voix à chacun des sept membres ayant droit de vote. Il n’est pas clair si un membre dissident du bloc dit « indissoluble » peut voter dans certains cas avec le reste du Conseil.

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En dehors de Port-au-Prince, ces intrigues ne mobilisent pas la population.

« Je ne m’intéresse plus aux nouvelles, je ne suis plus intéressé à savoir ce qui se passe », confie depuis Jacmel Peterson Prévost, un ancien chauffeur d’autobus ayant assuré le trajet Port-au-Prince-Jacmel pendant dix ans.

Le professionnel avait abandonné le secteur des transports en 2022, après s’être fait dépouiller par des bandits sur la route de Martissant.

Depuis lors, il s’est retiré dans sa ville natale, à Jacmel, où il travaille dans le transport local pour subvenir aux besoins de sa famille.

Des discours et promesses grandiloquents, Prévot n’en veut plus. Les politiciens, dit-il, auront besoin de « plus que de simples mots pour regagner ma confiance ».

L’accord du 3 avril annonce la venue d’un « Document portant organisation et fonctionnement du Conseil présidentiel ». Ce document n’a pas encore été rendu public.

Ainsi, rien ne dit si les partis et regroupements politiques peuvent remplacer pendant la transition leurs délégués.

Les tâches concrètes du président du conseil ne sont pas définies et des questions persistent quant à la nécessité pour les membres de soumettre les documents légaux exigés dans le décret de création du Conseil.

Les intérêts divergents sur des dossiers vitaux comme les inculpations dans l’assassinat de Jovenel Moïse, ainsi que les crimes financiers et de sang, suggèrent, selon des observateurs, une bataille acharnée à venir pour constituer le cabinet ministériel de la transition.

Les tâches concrètes du président du conseil ne sont pas définies et des questions persistent quant à la nécessité pour les membres de soumettre les documents légaux exigés dans le décret de création du Conseil

Une partie de la population observe avec prudence le déroulement des évènements.

« Je vais voir ce qu’ils vont réaliser. Ainsi je saurai si ça vaut la peine d’aller voter lorsqu’ils auront à réaliser les élections » déclare Althemany Clifford, un jeune homme expulsé de Carrefour-Feuilles par les gangs à la fin de l’année dernière.

À Carrefour-Feuilles, un père tente de fuir la zone avec ses enfants à bord d’une moto. Août 2023 | © David Lorens Mentor/AyiboPost

Depuis, l’ancien professeur de langues a trouvé refuge au lycée Fritz Pierre-Louis du centre-ville de Port-au-Prince, puis au ministère de la Communication à partir du 8 mars 2024.

Dans ce camp avec sa femme et son fils, Clifford ne dort plus la nuit à cause des conditions dans l’espace qu’il qualifie de « misérables ».

Sans ressource, la petite famille place son avenir dans le processus politique. « C’est une dernière chance pour nous de reprendre notre vie en main », déclare Clifford à AyiboPost.

L’illégitimité supposée du conseil demeure une préoccupation.

« Pour être sincère, je ne fais aucune confiance aux politiciens haïtiens, encore plus (lorsqu’ils) n’ont pas été élus à travers des élections », soutient Fredo Saint-Cyr, un technicien en électronique et professeur d’informatique à Tiburon, une commune dans le département du sud.

Le père de deux enfants, contraint de « faire des prêts pour payer son loyer », espère un dénouement de la situation pour faciliter une reprise économique.

D’autres, comme Faustin, désespèrent. Kidnappé à Croix-des-Bouquets en 2022 alors qu’il tentait de rentrer chez lui à Petite-Rivière de l’Artibonite, l’ancien étudiant en langues vivantes à l’École normale supérieure guette la prochaine occasion pour quitter Haïti.

« Ce sera difficile de raconter toutes ces tragédies à mes enfants au cas où j’aurais vécu assez longtemps pour en avoir », déclare Faustin.

Par Jérome Wendy Norestyl, Wethzer Piercin et Widlore Mérancourt

Image de couverture : Une femme et son enfant arrivant en provenance de Route 9. Mars 2024 | © Jean Feguens Regala/AyiboPost


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Journaliste-rédacteur à AyiboPost, Jérôme Wendy Norestyl fait des études en linguistique. Il est fasciné par l’univers multimédia, la photographie et le journalisme.

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