POLITIQUE

La sélection d’un président de conseil et d’un premier ministre divise

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L’accord fragile trouvé pour mener la transition traverse un moment de tumulte majeur

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Le 25 avril 2024, neuf personnalités politiques, certaines arborant des regards sévères, se tiennent devant les objectifs des caméras des journalistes, à la Villa d’Accueil de Bourdon.

Après avoir triomphalement prêté serment au Palais présidentiel, malgré l’opposition des gangs, les membres du nouveau Conseil présidentiel se sont montrés au monde, en collectif, prêts à affronter les défis majeurs de la transition.

Des membres du Conseil présidentiel participent à une séance photo lors de la cérémonie de leur installation le 25 avril 2024 à la Villa d’Accueil, à Musseau. | © Pedro Anza pour AyiboPost

L’apparence de cohésion avait créé la surprise. Mais ce n’était que cela, une apparence… probablement.

Car cinq jours plus tard, le front uni s’est explosé, laissant place à ce que certains au sein du processus appellent «un coup» de quatre regroupements, s’emparant «sans vote» de la présidence du Conseil, et du choix d’un Premier ministre.

L’affaire avait quelque chose de solennel quand, ce mardi, à la Villa d’Accueil, un membre du Conseil, Frinel Joseph, annonce qu’Edgard Leblanc Fils, cofondateur du parti «Oganizasyon Pèp K ap Lite» (OPL), doit prendre la présidence de la structure suite à une entente trouvée entre quatre des sept membres ayant droit de vote.

Et à la surprise générale, Joseph annonce également le choix de Fritz Bélizaire, un ancien ministre, comme prochain chef du gouvernement, également soutenu par le bloc des quatre.

L’apparence de cohésion avait créé la surprise. Mais ce n’était que cela, une apparence… probablement.

Ces choix procèdent d’une entente entre le collectif des partis politiques du 30 janvier, proches de l’ancien président Michel Martelly, le Bloc EDE-RED & Compromis composé notamment d’anciens cadres du gouvernement de Jovenel Moïse, le parti Pitit Dessalines ayant fait choix du Premier ministre selon une source, ainsi que l’Accord du 21 décembre, porté par les partisans du gouvernement démissionnaire d’Ariel Henry.

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Contrairement aux annonces, «il n’y avait pas de vote, c’est inacceptable pour nous», insiste à AyiboPost une source impliquée dans le processus. «C’est un partage de gâteau opéré par quatre secteurs et leurs conseillers, ce qui contrevient à l’accord politique signé entre nous.»

Selon une source, tout s’est déroulé dans les premières heures de ce mardi 30 avril. Un accord pour une présidence tournante avait été conclu. Leslie Voltaire de Fanmi Lavalas ainsi que Fritz Alphonse Jean de Montana auraient retiré leur candidature dans ce scénario. Et Edgard Leblanc Fils devait être le premier à assumer la position. Mais tôt dans la matinée, ce dernier, selon la source, a fait volte-face.

Edgard Leblanc Fils n’a pas pu être contacté avant la publication. Cet article sera mis à jour en cas de réaction de sa part.

Dans une note publiée dans l’après-midi de ce mardi, le Bureau de suivi de l’Accord Montana dénonce le groupe de quatre qui, selon Montana, «continue de faire de la politique sans éthique, en trahissant les engagements pris publiquement dans l’Accord du 3 avril.»

C’est un partage de gâteau opéré par quatre secteurs et leurs conseillers, ce qui contrevient à l’accord politique signé entre nous.

Selon Montana, les forces politiques et économiques «mafieuses» ont décidé de «prendre le contrôle du Conseil présidentiel et du gouvernement afin de continuer à contrôler l’État extractif (…).»

Au moins depuis l’assassinat de l’ancien président Jovenel Moïse en juillet 2021, Haïti navigue juridiquement en eaux troubles.

Ariel Henry, choisi comme Premier ministre par le défunt chef d’État n’avait pas rempli les formalités pour rentrer en fonction à l’époque de l’assassinat. Il sera propulsé aux rênes du pays par le CORE group, une coalition informelle de diplomates accrédités en Haïti sous le leadership des États-Unis.

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Les supporteurs internationaux du Premier ministre le lâchent en février, en marge d’une attaque majeure de gangs à Port-au-Prince, contre des infrastructures de l’État.

Au début du mois suivant, un accord politique a été trouvé pour créer un Conseil présidentiel de neuf membres, dont sept avec droit de vote. Ces membres sont choisis par des groupes politiques aux intérêts, idéologies, et alliances souvent antagoniques.

L’accord dit du 3 avril, trouvé en marge de négociations menées par la Communauté caribéenne, veut que le Premier ministre soit nommé en consultation, sur la base d’une liste comportant un seul nom soumis par chacun des secteurs, ne dépassant pas un total de quinze candidatures.

L’annonce du choix de Fritz Belizaire semble contrevenir aux exigences de l’Accord. «Il y avait un effort pour trouver un consensus entre les parties prenantes, mais la coalition autour d’Edgard Leblanc s’est engagée dans un coup politique», indique à AyiboPost une autre source directement impliquée dans le processus.

L’accord dit du 3 avril […] veut que le Premier ministre soit nommé en consultation, sur la base d’une liste comportant un seul nom soumis par chacun des secteurs, ne dépassant pas un total de quinze candidatures.

Le consensus déjà fragile vacille. La coalition majoritaire réunit des proches de l’ancien président Michel Martelly, sous sanction du Canada pour financement de gangs, des partisans ainsi que d’anciens opposants au gouvernement d’Ariel Henry.

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Un membre d’un des regroupements contacté par AyiboPost demande la reprise totale du processus, «dans le respect de l’Accord». Un autre estime prématurée et «inadmissible» la communication du nom du Premier ministre. Il n’est pas clair si un accord sera trouvé, ou si les trois membres avec droit de vote s’estimant exclus vont remettre leur démission — mettant en péril la survie même de l’initiative.

«Le conseil vient de faire son premier faux pas», estime Pierre Esperance. Le directeur exécutif du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) critique les annonces faites en dehors d’une modification officielle de l’Accord du 3 avril. «C’est comme si vous aviez un Conseil avec quatre membres», déclare le défenseur des droits humains.

La nouvelle majorité promet de remettre le pouvoir aux élus des prochaines élections le 7 février 2026. «Nous croyons au conseil. La première importante chose pour nous, c’est la cohésion entre nous», a déclaré Edgard Leblanc Fils, dans un discours improvisé ce mardi, à la Villa d’Accueil.

La coalition majoritaire réunit des proches de l’ancien président Michel Martelly, sous sanction du Canada pour financement de gangs, des partisans ainsi que d’anciens opposants au gouvernement d’Ariel Henry.

AyiboPost a obtenu un document intitulé «Constitution d’un Bloc Majoritaire Indissoluble (BMI) au sein du Conseil présidentiel» signé hier 29 avril par les représentants du groupe des quatre.

D’après ce document, la nouvelle majorité prend ses décisions par consensus «ou à défaut à la majorité de trois sur quatre» concernant l’élection du Président du Conseil, la nomination du Premier ministre, la constitution d’un gouvernement d’unité nationale, la mise en place du Conseil électoral provisoire et l’assurance de la réussite de la mission de la transition. Une charte sur le fonctionnement du bloc sera élaborée dans le futur, selon les signataires.

Il n’est pas clair si un membre dissident du bloc «indissoluble» peut voter dans certains cas avec le reste du Conseil.

La dynamique du pouvoir dans le conseil reste à établir. L’accord du 3 avril prévoit un «Document portant organisation et fonctionnement du Conseil présidentiel». Ce document n’a pas encore été rendu public.

Ainsi, rien n’indique si les partis et regroupements politiques peuvent remplacer pendant la transition leurs délégués. Les tâches concrètes du président du conseil ne sont pas définies et des questions persistent quant à la nécessité pour les membres de soumettre les documents légaux éxigés dans le décret de création du Conseil.

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«Les défis sont énormes», avait estimé jeudi Jean Eddy Saint Paul, le premier directeur du Haitian Studies Institute de l’Université de la ville de New York.

Selon l’universitaire, «nombreux acteurs ont bénéficié de la situation chaotique dans le pays» et «les terroristes-gangsters ont leurs maîtres qui continueront à tout faire pour empêcher des changements positifs».

Le Conseil chargé de pacifier le pays et d’organiser des élections doit aussi gérer une urgence humanitaire, dans un pays où la moitié des habitants sont en insécurité alimentaire. «Bâtir la confiance est possible, mais cela dépendra de leur capacité à faire de la politique avec une éthique de responsabilité», analyse Eddy Saint Paul.

Par Widlore Mérancourt, Wethzer Piercin et Jérome Wendy Norestyl

Image de couverture : Edgard Leblanc Fils, président du Conseil présidentiel de transition d’Haïti, lors de l’organisation de l’«élection» aboutissant à sa sélection par une majorité de quatre membres du conseil, ce 29 avril, à la Villa d’Accueil, à Musseau. | © Clarens Siffroy/AFP


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Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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