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Les gangs piratent les radios de communication de la PNH

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«Ils ont des professionnels les aidant à configurer [leurs] appareils», témoigne à AyiboPost un policier au courant des efforts technologiques des criminels

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Pour communiquer entre eux, la plupart des gangs de Port-au-Prince font usage de radios de communications.

«Ils ont des professionnels les aidant à configurer ces appareils», témoigne à AyiboPost un policier au courant des efforts technologiques des criminels.

Selon l’agent d’une section départementale de la police judiciaire et un autre policier de Port-au-Prince, des gangs, ainsi que d’autres acteurs en possession de matériels adéquats, écoutent régulièrement les communications radio de la police — ce qui représente une menace grave pour l’intégrité des opérations.

Dans certains pays, les forces de l’ordre font usage d’appareils de communications «encryptés», dont le signal ne peut pas être capté facilement.

La police nationale d’Haïti ne dispose pas d’un tel système.

Et plus généralement, l’usage des nouvelles technologies de collectes, de stockage et d’analyse des informations, l’emploi stratégique de drones et de technologies anti-drone ainsi que des caméras de surveillance reste extrêmement limité, selon des policiers et des spécialistes contactés par AyiboPost.

«Nous pouvons lutter contre les gangs, mais nous avons besoin de moyens matériels, ainsi que de solides séances de formations», déclare un autre policier dont les gangs ont incendié la maison à Carrefour-Feuilles en 2023.

Dans certains pays, les forces de l’ordre font usage d’appareils de communications «encryptés», dont le signal ne peut pas être capté facilement.

La PNH fait face à un problème de personnel.

En 2022, l’institution disposait d’un effectif de 15 474 policiers et policières, mais des milliers d’entre eux ont quitté le pays depuis, fuyant l’insécurité, le manque d’équipements et le sous-paiement.

«C’est assez frustrant d’entendre qu’ils vont dépenser des centaines de millions de dollars pour une mission multinationale, alors que le policier haïtien touche quelques centaines de dollars », commente le policier de Port-au-Prince cité plus haut.

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Dans le cadre de cet article, les agents ont demandé l’anonymat pour se protéger et parce qu’ils ne sont pas autorisés à prendre la parole.

La police possède quelques drones, mais leur usage ne semble pas rentrer dans le cadre d’une stratégie globale et systématisée, selon des spécialistes. Ces appareils nécessitent également une formation adéquate pour une manipulation efficace, ainsi qu’un usage intelligent des informations recueillies.

La PNH avait par exemple fait usage de ces technologies lors d’une opération ratée menée à Village de Dieu le 12 mars 2021. Cinq agents de l’institution ont été lynchés dans ce qu’un organisme de défense des droits humains avait à l’époque qualifié de «boucherie».

C’est assez frustrant d’entendre qu’ils vont dépenser des centaines de millions de dollars pour une mission multinationale, alors que le policier haïtien touche quelques centaines de dollars.

Or, des images de drones prises au-dessus du centre-ville de Port-au-Prince sont régulièrement mises en ligne par le gang du village de Dieu dont le leader fait souvent la démonstration de ses équipements tactiques, certains hautement sophistiqués, dans le but de distiller la peur, selon un spécialiste.

«Bien qu’il s’agisse, visiblement, de drones ordinaires, il y a quand même lieu de s’inquiéter, car on ne sait pas jusqu’où [les bandits] peuvent aller », analyse à AyiboPost l’avocate et spécialiste en sécurité publique Youdeline Chérizard.

Au moins une entité au sein de la police se démarque par son entrainement intensif pour lutter contre les bandes armées : l’Unité Temporaire Antigang, introduite en 2023.

Il n’est pas clair combien de membres comprend l’UTAG, dont les membres peuvent, selon un expert international en sécurité, mener des opérations avec toute force internationale déployée en Haïti.

«Cette unité dispose des moyens et de la technologie nécessaires pour mener sa lutte contre les gangs, que ce soit en termes de fusils et d’autres matériels d’intervention», explique à AyiboPost Ricardo Germain, chef de service au Ministère de la Planification et de la Coopération externe et spécialiste en sécurité.

Bien qu’il s’agisse, visiblement, de drones ordinaires, il y a quand même lieu de s’inquiéter, car on ne sait pas jusqu’où [les bandits] peuvent aller .

Entre 2006 et 2021, au moins trois plans quinquennaux, dits plans stratégiques de développement de la PNH, ont été adoptés dans le but de développer l’institution policière.

«En dépit des millions dépensés [notamment par des partenaires internationaux], il est clair que rien de consistant n’émane de ces trois plans», estime Youdeline Chérizard.

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D’après Chérizard, que ce soit en termes de renseignements et de logistique — notamment en ce qui concerne la technologie —, la situation actuelle dépasse le niveau de compétence de la police.

«Il ne s’agit plus de simplement rétablir l’ordre public troublé, mais d’une situation de guerre face à des gangs de plus en plus bien équipés», tranche Chérizard. «Des matériels adaptés pour la PNH s’avèrent nécessairess», suggère-t-elle.

En février 2024, un rapport de l’Initiative mondiale contre le crime transnational organisé met en lumière l’autonomie croissante des gangs en Haïti.

Le contrôle exercé sur les côtes leur ouvre d’énormes possibilités pour amplifier leurs activités criminelles, selon ce rapport.

«Nous sommes face à une criminalité transnationale», explique Ricardo Germain, qui ne parle pas comme chef de service au Ministère de la Planification. Selon le spécialiste, cela a commencé depuis les années 1980 avec le trafic de la drogue et des armes dans la région.

Il ne s’agit plus de simplement rétablir l’ordre public troublé, mais d’une situation de guerre face à des gangs de plus en plus bien équipés. Des matériels adaptés pour la PNH s’avèrent nécessaires.

Une source confirme pour AyiboPost que le gang 5 Secondes du Village de Dieu ainsi que ses alliés pratiquent le trafic de drogues transnational, d’armes et de munitions.

«Cette interconnexion avec des individus d’autres pays comme la Colombie et la Jamaïque facilite l’échange de moyens comme des armes, des munitions, et d’autres matériels technologiques, mais aussi des transferts de connaissance », poursuit Germain.

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En 2021, un plan de renforcement des capacités de la police soutenu par le programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD) envisageait de doter la Direction des renseignements généraux (DRG) de la police d’équipements ISR (Intelligence, surveillance et reconnaissance) afin de mieux mener ses opérations sur le terrain.

Liées à un système de drone performant, ces technologies devraient permettre, entre autres, à travers des centres de commandements fixes et mobiles, de faire de la surveillance proactive, des collectes de renseignements en temps réel, l’identification et le suivi des criminels.

«Lorsqu’on analyse les communications de la police et les résultats obtenus, on n’a pas l’impression que ces mises en place ont été faites jusque-là », explique Germain à AyiboPost.

Les gangs utilisent agressivement les médias sociaux pour terroriser la population, recruter des membres et intimider les policiers.

Selon un spécialiste, la présence de la PNH sur internet est «déficitaire» et certains messages diffusés par l’institution «manquent de traitement».

«La Police devrait projeter la confiance et donner une impression d’infaillibilité, mais ce n’est pas le cas», constate Ralph Emmanuel François, analyste en leadership, influence politique et communication.

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En 2021, près de 1500 cas d’homicides ont été enregistrés dans le pays. Ces statistiques passent à plus de 2000 l’année suivante pour atteindre 4700 en 2023.

1663 agents de la police ont quitté l’institution en 2023. Ajoutés à plus d’une centaine d’autres tués dans l’exercice de leurs fonctions, selon le bureau intégré des Nations unies en Haïti (BINUH).

Par Wethzer Piercin

Image de couverture : Une personne manœuvre un drone.| © freepik


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Wethzer Piercin est passionné de journalisme et d'écriture. Il aime tout ce qui est communication numérique. Amoureux de la radio et photographe, il aime explorer les subtilités du monde qui l'entoure.

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