Les protagonistes de la crise qui paralyse l’administration publique et la société haïtienne depuis des mois sont nombreux et ont parfois des intérêts différents
L’Opposition et le pouvoir en place ont installé chacun une commission ayant des objectifs carrément opposés. La commission installée par l’opposition défend la passation de pouvoir, celle formée par le pouvoir se prononce en faveur d’un dialogue.
Entre-temps, des acteurs politiques ont rejeté la main tendue par le président Moïse en lui refusant tous pourparlers. Selon eux, Jovenel Moïse lui-même avait provoqué l’échec des dialogues entamés dans le passé.
Voici quelques-uns des principaux acteurs impliqués dans la crise actuelle et les éléments qui les ont propulsés au-devant de la scène.
Des personnalités
Jovenel Moïse : Chef d’État et garant de la bonne marche des institutions, Jovenel Moïse est la personnalité la plus décriée actuellement en Haïti. Ses promesses non tenues, notamment l’électrification du pays en 24 mois ont soulevé le mécontentement populaire à son égard.
Sa caravane lancée à Bocozelle en mai 2017 n’a pas apporté les changements souhaités. À présent, l’avenir de ce programme — qui visait entre autres, le drainage, la réparation des routes et la relance agricole — est simplement hypothétique. Des millions de gourdes ont été dépensés dans ce projet, mais les résultats sont peu probants.
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En mars puis en avril 2019, la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSC-CA) publie un rapport sur la gestion des fonds PetroCarible qui met Jovenel Moïse au cœur d’un « stratagème de détournement de fonds ».
Sans gouvernement régulièrement constitué depuis la démission en mars 2019, du Premier ministre Jean Henry Céant, le président est devenu le seul maître à bord. Il exercera le plein pouvoir par décret à partir du deuxième lundi du mois de janvier, car il n’y aura pas de rentrée parlementaire en janvier 2020.
André Michel : Avocat et militant politique, André Michel est le chef de file du secteur démocratique et populaire. Le malheureux candidat à la présidence dans les joutes électorales de 2015 s’est fait porte-parole de cette plateforme qui dénonce les dérives de l’administration en place.
En 2016, André Michel n’a pas pu trouver le mandat pour représenter le peuple au Sénat de la République. Du coup, il se réfugie à nouveau dans la militance politique et dans des prises de position remarquées contre l’administration Jovenel Moïse.
Youri Latortue : Défenseur du « Parti Haïtien tèt kale » tout au long du mandat de l’ancien président Joseph Michel Martelly, Youri Latortue a fait un revirement spectaculaire en février dernier contre le président Jovenel Moise, élu sous la bannière du PHTK.
Le sénateur de l’Artibonite a transformé son mandat en un parcours de militant pour obtenir le départ du chef de l’État. Étant à la tête de la commission « Éthique et anticorruption » du Sénat, il a pu réaliser un travail partiel sur la dilapidation des milliards de dollars US des fonds PetroCaribe.
Il a ensuite dénoncé l’affaire Dermalog, et révélé des actes frauduleux produits l’exécutif pour la réalisation de ce projet sans l’aval de la CSC-CA. Il était aussi celui qui a révélé la présence de la première dame, Martine Moïse, en France avec le président de l’ONI lors de la signature de ce contrat.
Des institutions
La CSC-CA : La Cour supérieure des comptes et du contentieux administratifs (CSC-CA) en tant qu’instance de contrôle a produit deux rapports d’audit sur la gestion des fonds Petrocaribe. Des révélations ont été faites et divers noms, dont celui du Chef de l’État actuel, Jovenel Moïse, ont été cités dans ces documents qui résultent des travaux de plusieurs experts nationaux et internationaux. Pour l’instant, la Justice n’a pas encore été saisie de ce dossier.
La CSC-CA n’a pas encore émis des arrêts de débet ou de quitus pour les noms cités dans le rapport. L’arrêt de débet est une décision de justice prise par la CSC-CA pour approuver la bonne gestion des fonds publics d’un responsable d’État. L’arrêt de débet en fait le contraire.
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Cependant, tous les accusés cités dans le rapport ne relèvent pas de la juridiction du CSC-CA. Les ministres par exemple doivent être entendus par le Parlement qui délivre les décharges à tout fonctionnaire public reconnu pour ses travaux satisfaisants au sein de l’État. « La décharge est devenue un outil politique aux mains des parlementaires », reconnaît une de nos sources.
Par ailleurs, la CSC-CA n’a pas encore émis des arrêts pour les noms cités dans le rapport parce que le travail est encore inachevé. « 21 % des travaux n’ont pas encore été réalisés. L’enquête pour compléter les deux premiers rapports allait commencer, mais la conjoncture a ralenti le processus », dévoile notre source faisant savoir que certaines autorités du pays aussi ont fait obstacle à la réalisation de l’enquête.
Le Parlement : Après le président de la République, le Parlement est aussi une entité très décriée par la nation.
De l’avis de plus d’un, l’institution n’a pas joué son rôle de contre-pouvoir pour forcer l’Exécutif à œuvrer pour le bien du peuple. Il est devenu un haut lieu de corruption et de partage des postes administratifs au sein des gouvernements ratifiés.
Selon le sénateur Willot Joseph, la plupart des institutions publiques sont entre les mains des parlementaires. Dans une interview accordée à Magic 9 en février 2019, le sénateur s’était montré contre le départ de Jovenel Moïse. Il a aussi révélé une liste d’institutions étatiques sous l’emprise de parlementaires dont il a cité les noms.
La 50e législature a voté ou modifié très peu de lois. Pourtant les parlementaires sont connus comme des individus qui acceptent des pots-de-vin pour la ratification d’un Premier ministre. Ils ont de grands privilèges qui alourdissent le budget de la République.
Aussi, la Chambre des députés est en vacances. Le mandat du tiers du Sénat marche vers sa fin. À partir du deuxième lundi du mois de janvier 2020, le Parlement sera caduc.
Le forum économique : Regroupement d’associations, de grandes entreprises et des chambres de commerce, le forum économique n’a pas joué de rôle prépondérant dans la stimulation du secteur.
Le secteur économique haïtien a toujours privilégié le monopole au lieu d’une économie de marché, selon plusieurs économistes. Se cantonnant à une mission politique, le forum économique se prononce sur les crises et partage ses positions sur la scène politique. L’entité échoue à partager une vision commune sur la chose publique à cause de profonds déchirements au sein de ses membres pro et contre l’administration en place. Comme conséquence, le président de cette structure, Jean Bernard Craan a démissionné.
Les Nations Unies : L’appui offert par l’ONU depuis 1990 notamment à travers plusieurs missions de paix a toujours été inefficace.
Cependant, les Nations Unies interviennent souvent dans les affaires internes du pays. Conscients de cet état de fait, les protestataires, en marge d’une manifestation organisée le 4 octobre dernier, s’étaient rendus devant les locaux des Nations Unies en Haïti à Clercine.
En cette occasion, une lettre réclamant la démission du chef de l’État a été remise à l’un des responsables. « Les Nations Unies veulent soutenir des solutions pacifiques conçues par les Haïtiens pour résoudre la crise actuelle », telle a été la réponse à travers un communiqué rendu public le 6 octobre 2019.
La société civile : Les organismes dont des organisations de défense des droits humains sont parmi les premiers à discréditer l’administration en place dans ses actions malintentionnées.
Ils ont toujours publié des rapports d’enquêtes révélateurs de faits ou d’actions qui violent les droits humains.
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L’un des rapports marquants produits par la société civile est celui du Réseau national de la défense des droits humains (RNDDH) sur le massacre survenu à La Saline les 1er et 13 novembre 2018. Ce drame est qualifié de massacre d’État. Ces éléments jusque-là non réfutés par l’administration du président Moïse alimentent la crise actuelle.
Le bureau de la première dame : À l’instar du chef de l’État, le bureau de la première dame, Martine Moïse aurait menti à la population. La première dame a nié sa présence en France, lors de la signature du contrat avec la firme allemande Dermalog jusqu’à ce que des photos publiées sur internet ont prouvé le contraire.
Des regroupements
Le Core group : Sans statut légal, le Core group s’érige en une institution éminemment politique. En réalité, c’est un rassemblement d’ambassadeurs et de diplomates accrédités en Haïti. Il se montre beaucoup plus actif dans la politique du pays que les Nations Unies.
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Les prises de position du groupe sont claires. À l’instar du président de la République, le Core groupe voit dans le dialogue, l’issue nécessaire pour apaiser la crise actuelle et un moyen essentiel pour déboucher sur des solutions consensuelles pour l’avancement du pays.
Les petrochallengers : regroupés autour de différentes structures dont Nou Pap Dòmi et Ayiti Nou vle a, les petrochallengers ont introduit la campagne qui mobilise les gens contre les diverses formes de corruption qui gangrènent le pays. Des centaines de milliers de citoyens, notamment des jeunes, y prennent part.
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L’organisation du procès PetroCaribe demeure leur première revendication. Ils ont réussi à forcer la CSC-CA à produire un rapport concret sur le dossier PetroCaribe. Ils se sont impliqués dans la politique en dénonçant les cas de corruption, réclamant la démission immédiate de Jovenel Moise, indexé dans le rapport PetroCaribe.
Les universitaires : Contrairement à 2004, les étudiants sont peu remarqués dans la lutte politique. Néanmoins, un groupe de 15 étudiants de la faculté de Droit et des Sciences économiques ont lancé une grève de faim entamée depuis le 13 octobre 2019. Ils se sont impliqués à fond bien que deux d’entre eux ont été contraints par leurs parents d’abandonner cette lutte. Les 13 autres refusent de se nourrir en vue d’obtenir la démission du chef de l’État.
La diaspora : La diaspora haïtienne reste attachée à l’actualité politique en Haïti. En France et aux États-Unis, elle élève la voix contre la dégradante situation que connaît le pays.
Aux États-Unis par exemple, des citoyens de la diaspora haïtienne ont brandi leur pancarte devant le consulat haïtien à New York pour faire passer leurs revendications. La plupart d’entre eux ont été contraints de laisser Haïti en quête d’une vie meilleure.
Les artistes : Après avoir été vivement critiqués sur les réseaux sociaux notamment sur Twitter, les artistes se réveillent enfin de leur sommeil en créant un regroupement baptisé « Kowalisyon atis ayisyen ».
Ces derniers ont rédigé fin septembre, un communiqué qui salue le courage de la population dans sa quête d’un mieux-être. Ils ont aussi dénoncé le système et plaidé pour la tabula rasa.
Une marche à succès a été organisée le 13 octobre dernier. Certains artistes restent pourtant très discordants par rapport à l’objet de la lutte qu’ont entamé leurs confrères dans la bataille politique.
Photo couverture: REUTERS/Andres Martinez Casares
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