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1 an #PetroCaribeChallenge: les dates clés du mouvement

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Des milliers de jeunes haïtiens ont pris part aux différentes manifestations organisées depuis août 2018 pour dénoncer la dilapidation des fonds PetroCaribe et exiger l’organisation d’un procès. 14 août dernier marquait la première année de ce mouvement dénommée #PetrocaribeChallenge. Retour sur les dates clés

Petrocaribe est un accord initié en juin 2005 par le feu président Hugo Chavez et qui s’inscrit dans la stratégie d’intégration régionale du Venezuela. Concrètement, il permet à une vingtaine de pays d’Amérique centrale et des Caraïbes de bénéficier de la livraison de pétrole à des tarifs préférentiels, et avec des échéances de paiement s’étendant sur plusieurs décennies.

Haïti, signataire de cet accord, reçoit sa première livraison début 2008. Le Bureau de gestion des Programmes d’aide au développement (BMPAD) est alors créé, pour gérer le fonds Petrocaribe. Il s’agit d’une institution publique, sous la tutelle du Ministère de l’Économie et des Finances (MEF), et dont le Conseil d’administration est composé de six ministres et du gouverneur de la Banque de la République d’Haïti.

Le BMPAD achète le pétrole du Venezuela et le revend aux compagnies haïtiennes locales. Les bénéfices devaient servir pour financer des projets sociaux et de développement. En juin 2018, le Venezuela, en difficulté, a suspendu le programme avec certains pays, dont Haïti.

L’affaire Petrocaribe a traversé quatre présidents haïtiens (René Préval, Michel Joseph Martelly, Jocelerme Privert, et l’actuel président Jovenel Moise – à l’époque directeur de plusieurs entreprises impliqués dans le scandale) et cinq gouvernements (les anciens premiers ministres Michèle Duvivier Pierre-Louis, Jean Max Bellerive, Gary Conille, Laurent Lamothe et Evans Paul).

Le sénat haïtien a réalisé deux rapports en 2016 et en 2017, pour mettre en évidence les irrégularités dans la gestion du fonds.

Le 17 août 2016, un rapport d’enquête sur l’utilisation des fonds du programme PetroCaribe est soumis au Sénat par la Commission sénatoriale permanente « Éthique et anticorruption », présidée par Youri Latortue.  Le 10 novembre 2017, la commission spéciale d’enquête sur la gestion des fonds PetroCaribe, dirigée par le sénateur Evalière Beauplan, a présenté son rapport au secrétariat du Sénat de la République.

Ces deux documents ont mis en évidence des irrégularités dans la gestion du fonds et soulevé beaucoup de débats dans le pays. Le 12 décembre 2017, lors d’une rencontre à Paris avec des membres de la communauté haïtienne, le chef de l’État, Jovenel Moïse, a fixé sa position sur le rapport relatif à l’utilisation des fonds PetroCaribe. Pour Jovenel Moïse, évoquant le travail de la commission sénatoriale Éthique et anticorruption, tant qu’il est au pouvoir, il n’y aura pas de persécution politique contre quiconque dans le pays.

Le 1er février 2018, les sénateurs du PHTK, réunis à huis clos, ont discrètement décidé de transférer le rapport PetroCaribe à la Cour Supérieur des Comptes et du Contentieux administratif (CSCCA). L’article 1 de la résolution stipule : « L’assemblée des sénateurs demande à la Cour des comptes et du contentieux administratif d’effectuer une analyse, une vérification et un examen approfondis de la gestion des fonds PetroCaribe sur la période allant de septembre 2008 à septembre 2016, conformément à l’article 200 de la Constitution… »

Le hashtag Kot Kob petwokaribe est lancé

Un opposant à Jovenel Moïse, l’avocat André Michel, a rendu public, début 2018, son souhait de représenter tous ceux voulant se porter partie civile contre l’État en tant que victimes indirectes des malversations. Pas grand-chose ne s’est passé jusqu’au 14 août 2018, lorsqu’un tweet du scénariste Gilbert Mirambeau, a imposé le sujet sur la toile. Sur la photo postée, on peut voir le professionnel les yeux bandés avec un carton sur lequel est écrit en créole : « Kot Kòb Petwo Karibe a ?  ». (Où est l’argent de Petrocaribe ?)

Ce vaste mouvement  baptisé Petrochallenge sera repris par le très engagé rappeur Valckensy Dessin, K-libr, pour ensuite se propager comme une traînée de poudre sur les réseaux tels Facebook, Twitter, Instagram et WhatsApp.

Lire aussi : Vidéo: La belle histoire derrière le #PetrocaribeChallenge

Une grande première sur le macadam, un sit-in

10 jours plus tard, le 24 août 2019, des centaines de citoyens participent à un sit-in devant les locaux de la Cour Supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSC/CA). Diverses catégories sociales s’y sont présentées : étudiants, professeurs, chanteurs, etc. Cependant, des leaders politiques et figures publiques – comme l’ancien candidat à la présidence Eric Jean Baptiste, l’ancien Député Arnel Bélizaire et Pierre Espérance du RNDDH – désireux de participer à ce sit-in ont été chahutés dès leur arrivée à l’avenue Christophe.

Le sit-in s’est déroulé sans grands dérapages ni intervention des forces de l’ordre. La foule s’est servie de cloches pour crier en chœur sa frustration. Une équipe de bénévoles s’occupait au fur et à mesure du nettoyage des lieux en ramassant les sachets d’eau.

Des marches pacifiques chaque dimanche en septembre 2018

Dimanche 2 septembre 2018, plusieurs milliers de participants ont marché du Carrefour Aéroport à la Place de la Constitution au Champ de Mars. L’invitation avait été lancée seulement 4 jours plus tôt.

Durant le mois de septembre, chaque dimanche, les protestataires, exhibaient t-shirts, banderoles et pancartes réclamant l’argent PetroCaribe.

17 octobre 2018, une date symbolique

Une première grande manifestation contre la corruption et l’impunité a coïncidé au 212e anniversaire de la mort de Jean Jacques Dessalines. Des milliers de participants, éparpillés en plusieurs branches, ont sillonné les rues de Port-au-Prince pour exiger un procès contre les corrupteurs notamment ceux impliqués dans la gestion du fonds Petrocaribe.

Dans la capitale comme dans des villes de province (Cap-Haïtien, Gonaïves, Jérémie, Jacmel, Cayes…), des barricades ont obstrué les principales artères.

Des leaders politiques et des membres de la société civile, eux aussi, avaient invité la population à investir les rues ce 17 octobre 2018. Ils ont réussi leur pari même s’ils n’avaient pas les mêmes objectifs.

18 novembre 2018, encore une autre marche

La commémoration de la Bataille de Vertières a pris une allure spéciale le 18 novembre 2018. Les activités ont été suspendues ou ralenties à Port-au-Prince comme dans les principales villes de province. Des barricades enflammées étaient érigées sur les principaux axes. Pendant que les PetroChallengers, demandaient des comptes sur l’utilisation du fonds PetroCaribe, les opposants au pouvoir exigeaient le départ du chef de l’État.

De la colère et de la frustration étaient aussi au rendez-vous sur ce parcours où de nombreux protestataires partis du viaduc (Carrefour de l’aéroport) étaient encagoulés et visiblement disposés à tout renverser sur leur passage.

Lire aussi : le vide n’existe pas. Les PetroChallengers doivent se battre pour la rue! 

Et, “Nou Pap Dòmi” est lancé 

Le jeudi 20 décembre 2018, des Petrochallengers ont établi leur campement devant les locaux de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux (CSC/CA). À travers ce mouvement baptisé « Nou P ap Dòmi », ces jeunes ont voulu continuer à exiger la tenue du procès relatif à la dilapidation présumée des fonds du programme Petrocaribe.

Le premier rapport, enfin publié, a fait un scandale

Jeudi 31 janvier dans l’après-midi, le président de la Cour supérieure des Comptes et du Contentieux administratif (CSCCA) est venu remettre le Rapport (partiel) sur la Gestion des projets financés par le fonds PetroCaribe, au sénat de la République.

Sur les 409 projets recensés, la CSCCA n’en a examiné qu’une partie (moins d’un quart). La période couverte par l’audit s’étend sur huit années, de septembre 2008 à septembre 2016, et couvre trois présidences : celle de René Préval (mai 2006 à mai 2011), de Michel Martelly (mai 2011 à février 2016) et enfin de Jocelerme Privert (février 2016 à février 2017). Près de deux tiers des dépenses du fonds ont été décidés sous le gouvernement de Martelly. Et plus de la moitié de ces projets ont été mis en œuvre par seulement deux ministères : celui des travaux publics, transports et communications (MTPTC) et celui de la planification et de la coopération externe (MPCE).

Le total des ressources générées de 2008 à 2018 par PetroCaribe s’élève à 4 milliards 257 millions 598 mille 589 dollars américains et 12 centimes. Selon les données obtenues, 219 cargaisons totalisant 43,9 millions de barils de carburant ont été livrées et commercialisées en Haïti. Des fonds destinés à la construction des tronçons et des silos de stockage de sécurité alimentaire de route sont gaspillés. Par exemple, la firme EXACO a reçu la somme de 149 millions 969 mille 132 gourdes pour la construction des silos; la compagnie de supervision ARCHIVOLT a signé un contrat dont le montant s’élève à 9 millions de gourdes, 9 millions de gourdes ont été décaissées à MVF CONTRSTRUCTION pour la réalisation de travaux de clôture du centre de stockage de denrées et autres produits à Lafiteau et 2 millions au LABORATOIRE NATIONAL pour l’étude des projets.

Dans ce rapport, une entreprise dénommée Comphener S.A., appartenant à l’homme d’affaires Jovenel Moïse et le BMPAD, organisme public, alors dirigé par le nommé Michael Lecorps – figurent parmi les entreprises, entre autres, indexées par la Cour des comptes dans la mauvaise gestion de 13 millions 780 mille dollars américains des fonds PetroCaribe, pour les « lampadaires solaires ».

Sans oublier, la firme AGRITRANS, dirigée à l’époque par Jovenel Moïse, indexée dans le rapport pour le Projet de réhabilitation du tronçon de route Borgne/Petit-Bourg de Borgne.

7 février 2019: les petrochallengers changent  leurs revendications

Aucune cérémonie officielle n’a lieu, le 7 février 2019, jour marquant le début de la transition démocratique en Haïti avec le départ le 7 février 1986 du dictateur Jean Claude Duvalier.

Ce jour-là, une situation tendue a régné  sur le territoire de la République d’Haïti. Les petrochallengers et les politiciens de l’opposition ont exigé le départ du président Jovenel Moïse. Ils ont exigé la comparution du président de la République devant la Justice vu que son nom a été mentionné parmi les dilapidateurs du fonds petrocaribe.

Ce qui ne devait être qu’une manifestation d’un jour s’est transformé en un mouvement de paralysie générale de toutes les activités socio-économiques du pays durant 10 jours caractérisés par des manifestations spontanées et sporadiques, des barricades enflammées sur la voie publique, des pillages et/ou l’incendie d’entreprises commerciales et surtout l’alimentation d’une psychose de peur, par l’envoi de messages incitant à la violence et menaçant la population qui s’aventurerait dans les rues…

Jean Henry Ceant défend le procès

Après 9 jours de silence sur la crise, Jean-Henry Céant qui était à l’époque le Premier ministre s’est exprimé sur la volonté de l’Exécutif à réaliser le procès Petrocaribe. Dans une adresse à la Nation, il a aussi présenté 9 mesures d’urgence, qui selon lui, vont permettre d’améliorer les conditions de vie de la population.

Pour accélérer et permettre au pays de récupérer l’argent perdu dans PetroCaribe, le chef de la Primature a annoncé que deux nouveaux directeurs vont être nommés à la tête de l’UCREF et de l’ULCC. Il a promis que le Commissaire du Gouvernement va prendre des actions plus rapides sur le dossier du rapport de la Cour Supérieur des comptes. Et aussi, que le Conseil Supérieur du Pouvoir judiciaire (CSPJ) va mettre plus de juges sur le dossier PetroCaribe.

Le deuxième rapport publié, l’étau se resserre autour du président Jovenel Moïse

La Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSC/CA) a soumis son rapport final tant attendu au Sénat, précisément au président du bureau du grand Corps, Carl Murat Cantave, le vendredi 31 mai 2019. Les travaux d’audit se sont articulés autour de quatre axes, soit la gestion de projet, le processus d’octroi des contrats, l’exécution des travaux et la fermeture du projet.

Le président haïtien Jovenel Moïse est accusé d’être au cœur d’un «stratagème de détournement de fonds» par la Cour supérieure des comptes.

Lire aussi : Jovenel Moïse, représentant de deux entreprises concurrentes

9 juin 2019, les petrochallengers ont encore frappé

La manifestation du dimanche 9 juin 2019 a réuni plusieurs milliers d’Haïtiens, à Port-au-Prince en réaction au rapport final d’audit sur la gestion du fonds petrocaribe remis au Sénat de la république.

Cette manifestation s’est transformée, encore, en un mouvement de paralysie générale de toutes les activités socioéconomiques du pays durant une semaine. Plus tard, les petrochallengers ont fait sept tours du Palais national, le jeudi 13 et vendredi 14 juin 2019. Cela rentrait dans le cadre du mouvement « Nou Pap Domi » visant à forcer le président Jovenel Moïse à se mettre à la disposition de la Justice.

Lire aussi : un an après, le Petrochallenge est encore en vie

Plus d’une année après son lancement, la mobilisation citoyenne contre la corruption ne faiblit pas. Fédérés par les réseaux sociaux, les participants au Petrochallenge ont créé différentes structures dont les revendications vont au-delà de la lutte contre la corruption : elles travaillent à l’avènement d’une société haïtienne plus juste et équitable.

Journaliste à Ayibopost. Je m'intéresse à la politique et à la culture.

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