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Où est passé le projet e-gouvernance ?

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La plateforme d’intégration gouvernementale d’Haïti financée par la BID ambitionnait de moderniser le service public en Haïti. Des années après, l’objectif de départ fixé n’a pas été atteint

Le 8 novembre 2011, l’administration Martelly/Lamothe a lancé à travers la Plateforme d’intégration gouvernementale d’Haïti (PGIH), l’unité e-gouvernance afin de moderniser le service public en Haïti.

Jusqu’en 2016, l’initiative était financée à hauteur de 3 500 000 dollars par la Banque interaméricaine de développement (BID).

Aujourd’hui, le projet ainsi que la structure PGIH ont disparu alors que l’administration publique haïtienne fonctionne principalement de façon archaïque.

C’est quoi l’e-gouvernance ?

Techniquement, la gouvernance électronique, ou e-gouvernance, cherche à tirer avantage des technologies de l’information et de la communication (TIC) afin de transformer les processus internes des organisations publiques et rendre leur offre de services publics plus efficace et performante.

En exemple, depuis le lancement du projet e-Gouv, les contribuables haïtiens peuvent remplir leur obligation fiscale et obtenir tous les renseignements relatifs à la Direction générale des impôts (DGI) sur internet. Les clients de l’OAVCT également peuvent jouir de ces nouveautés.

Des objectifs grandioses

Ce projet s’ajoutait aux principaux objectifs de l’administration, lit-on encore aujourd’hui sur le site de la Primature.

À grand renfort de publicités, l’administration Martelly/Lamothe expliquait qu’elle comptait « beaucoup sur l’utilisation des nouvelles technologies pour faire un pas de géant sur l’échiquier international et rattraper le temps perdu. »

La PGIH a été créée pour passer de la parole aux actes. Elle a bénéficié de « l’assistance technique et [d] es ressources financières de la Banque Interaméricaine de Développement, et [d’] une donation généreuse de Microsoft Corporation. »

Les objectifs de la jeune plateforme étaient grandioses : « moderniser l’Etat, institutionnaliser la transparence et promouvoir la reddition des comptes […], rationaliser l’utilisation des TIC dans l’administration publique, développer le secteur technologique comme domaine d’activité économique, notamment par la création d’emplois en faveur de nos jeunes, se rapprocher du citoyen. »

Selon Stéphane Vincent, ancien coordonnateur de l’Unité e-gouvernance de la Primature et conseiller du Premier ministre en technologie, la structure a demeuré au sein du Palais national sous la coordination de Klaus Eberwein avant d’être placée définitivement au sein de la Primature.

L’e-gouvernance, une initiative louable

Parmi ses premiers projets, la PIGH devait procéder à l’enregistrement des entreprises haïtiennes sur internet avec le Ministère du Commerce et de l’Industrie, moderniser le système d’identification et de registre civil, développer le système de ressources humaines de l’administration publique.

Il était aussi confié à cette plateforme le développement avec le Ministère de la Planification et de la Coopération externe d’une base de données géo-référencée des écoles du pays, en collaboration avec le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle.

L’intention était louable puisque la PGIH avait pour objectif d’améliorer le mode opératoire du service public haïtien commente Ludwy René Jean-Paul, membre de l’Observatoire du numérique en Haïti (OBNH). Cependant, l’absence d’un cadre légal régissant le statut de l’administration électronique posait problème d’emblée, affirme l’ingénieur en informatique.

Alors que beaucoup d’argent a été dépensé, « sauf quelques services de quelques institutions comme la DGI et l’OAVCT sont accessibles depuis le site de ces institutions, mais cet accès n’est jamais permanent, remarque Ludwy René JeanPaul. De temps à autre ils sont indisponibles. »

Les résistances au sein de l’administration publique

Max Guibert Lyron était très jeune quand il a collaboré avec la PIGH. « J’ai été nommé directeur de technologie au sein du ministère de la Communication et j’étais prêt à me donner à fond pour ce projet, explique Lyron, aujourd’hui secrétaire générale de l’OBNH. Cependant, continue-t-il, « la réalité qui existe au sein de notre administration publique m’a progressivement rattrapé. »

Max G. Lyron a constaté que le projet e-gouvernance concernait « une volonté politique dépourvue de dynamisme. » Il explique avoir dû affronter de hauts fonctionnaires récalcitrants.

« Des ministres refusaient d’utiliser les emails administratifs sous prétexte qu’ils ne voulaient pas que leurs informations soient piratées par [l’entreprise américaine] Microsoft. Ils préféraient se promener avec les données de l’administration en poche dans une clé USB », déclare Max G Lyron. Aujourd’hui, moins de 10 % des emails de l’administration publique sont utilisés par les fonctionnaires alors ce que l’État haïtien continue de payer pour le domaine informatique, révèle M. Lyron.

Mauvaise coordination ?

Stéphane Vincent va plus loin. Lorsqu’il a été nommé coordonnateur au sein de l’unité e-gouvernance à la primature en mai 2015, le PIGH avec qui il devait collaborer était « dysfonctionnel ».

« Les 3 500 000 dollars de la BID avaient été entièrement dépensés par les coordinations antérieures. Les employés de la plateforme n’avaient pas été payés depuis plusieurs mois », rapporte Stéphane Vincent.

Les relations entre le fournisseur de service informatique Microsoft et l’État haïtien n’ont pas été en de bons termes. À un certain moment, le gouvernement haïtien « n’a pas réglé ses comptes » avec le géant américain qui a suspendu tous les droits d’hébergement sur son site se rappelle M. Vincent.

L’ancien coordonnateur dénonce l’incompétence des plus hauts fonctionnaires de l’État qui n’ont pas compris l’utilité de ladite structure.

Jean-Marie Altéma a été coordonnateur de la Plateforme entre avril 2013 à octobre 2014. Il estime que ses successeurs « n’ont pas forcément compris l’objectif de l’unité e-gouvernance. » Si le projet n’a pas abouti aux objectifs fixés, selon lui, c’est à cause « du manque de suivi, d’incapacités et des changements de cadres dus à l’instabilité politique. »

Quid de la plateforme aujourd’hui ?

Aujourd’hui, la PIGH n’existe plus. L’unité e-gouvernance fonctionne encore à la Primature et est actuellement gérée par le Secrétariat général de l’institution.

Selon les informations partagées par un employé non autorisé à prendre la parole, c’est l’unité qui est responsable de gérer les emails administratifs.

Entre temps, le bilan du PIGH divise ses anciens membres. Jean Marie Altéma estime que son passage a contribué à faire gagner 11 places à Haïti dans le sondage e-gouvernance publié par les Nations-unies en 2014. « Beaucoup plus de gens ont compris l’utilité du service numérique dans les institutions grâce à ce programme », ajoute-t-il.

Tout en se disant fier de sa contribution au sein de la structure, Max G. Lyron explique que « 3 500 000 dollars n’aurait jamais suffi pour implémenter une politique de gouvernance électronique en Haïti. » Selon lui, cette somme aurait mieux servi à programme d’éducation populaire dans ce domaine plutôt que d’avoir été dépensé dans l’acquisition d’équipements sophistiqués.

Les équipements reposent aujourd’hui dans un centre de données (lieu regroupant des équipements constituants du système d’information d’une ou plusieurs entreprise) à la Banque de la République d’Haïti (BRH), selon Jean Marie Altéma.

Plus pessimiste, Stéphane Vincent croit que la structure a échoué dans les objectifs qu’elle s’est fixée. « Les 3 500 000 dollars ont été dépensés uniquement dans l’achat d’équipements et [l’élaboration] de projets à court terme », conclut-il. Peu de services ont été modernisés au sein de l’administration publique. Les corvées restent et demeurent pour le citoyen.

Ayibopost a contacté la BID par e-mail une semaine avant la publication de cet article. La correspondance est restée sans réponse. Cet article sera mis à jour si l’institution réagit.

Dates clés :

2009 : La BID développe le projet à la fin du dernier mandat de René Préval. Mais, le séisme de 12 janvier 2010 a freiné les négociations. Microsoft s’engage à accompagner l’État haïtien dans le projet.

2011 : L’administration Martelly/Lamothe lance la Plateforme d’intégration gouvernementale d’Haïti (PGIH) financée par la BID.

2014 : L’État haïtien ne paie plus les services de Microsoft pour « non-respect des termes de références. »

2016 : Fin du financement de la PGIH par la BID

Cet article a été mis à jour. 20/10/2019 8:03 | 21/10/2019 12:42

Journaliste et communicateur

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