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Facebook s’enrichit un petit peu plus grâce aux Haïtiens. Ces jeunes entrent en résistance.

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La protection des données personnelles n’est pas toujours leur motivation

Jude Beauvoir, habite aux Cayes. Il a téléchargé Telegram puisque certains de ses amis ont pris la décision d’utiliser uniquement cette application.

Luc Dufresne fait usage de Telegram et de Signal par simple curiosité.

L’ancien journaliste Romaric Fils-Aimé, lui, pianote sur Telegram parce que son travail l’exige. Contrairement à WhatsApp, les groupes sur l’app la plus téléchargée mondialement en janvier acceptent jusqu’à 200 000 personnes.

L’abandon massif de WhatsApp, ainsi que le téléchargement des applications de messages instantanées rivales, a sérieusement commencé au début du mois dernier.

Les informations personnelles des utilisateurs ont une valeur inestimable pour WhatsApp Business. L’argent reversé par les clients de l’app permettra à Facebook d’engranger des retours sur son investissement

Le 6 janvier, WhatsApp annonce de nouvelles Conditions générales d’utilisation. Ces conditions offrent sur un plateau d’argent les données personnelles des utilisateurs de WhatsApp à Facebook et à ses clients.

Le changement a secoué l’univers de la protection des données personnelles dans un contexte où Facebook est régulièrement accusé d’abus.

Les modifications apportées dans le contrat d’utilisation de WhatsApp devaient être effectives dès 8 février. Mais vu la mauvaise réception de l’annonce, la compagnie a décidé de les renvoyer pour le 15 mai.

L’exode vers les applications comme Telegram ou Signal n’a cependant pas cessé.

Compagnie gloutonne

Ducloford Colin est venu sur Telegram par curiosité. Le jeune professionnel dit ne pas être surpris par la décision de Facebook parce qu’il suivait de près l’évolution de la plateforme avec la monétisation des vidéos, les publicités, etc.

« C’est la façon dont WhatsApp a pris la décision qui me dérange, explique Ducloford Colin. C’est un simulacre en matière de consentement, parce que si tu refuses les nouvelles politiques d’utilisation, tu perds l’accès à ton compte. »

L’approbation des conditions à l’ouverture des comptes n’est pas sans conséquence. « Il est toujours bon de prendre le temps de lire les conditions d’utilisation avant de cliquer sur J’accepte », avertit de son côté Andy Feidjie Joseph, un développeur d’application.

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Facebook assure que les données collectées aideront à développer de nouvelles fonctionnalités pour WhatsApp Business, afin que les entreprises puissent mieux communiquer avec leurs clients.

La compagnie de Zuckerberg a fait l’acquisition de WhatsApp pour plus de vingt milliards de dollars américains.

Les informations personnelles des utilisateurs ont une valeur inestimable pour WhatsApp Business. L’argent reversé par les clients de l’app permettra à Facebook d’engranger des retours sur son investissement astronomique. Les comptes n’ayant pas accepté les nouvelles conditions d’utilisations seront mis de côté.

« Quand le service que vous recevez est gratuit, vous êtes le produit », rappelle Paul Junior Jean-Marie, spécialiste en Cyber sécurité.

Bénéfices potentiellement importants

Les utilisateurs des applications de Facebook comme WhatsApp et Instagram en Haïti sont déjà bombardés par la publicité. La firme ne rend pas public le pourcentage de son chiffre d’affaire qui concerne le pays. Mais un nombre important d’Haïtiens achète des produits sur internet, et parfois, les font délivrer par des services de transports entre les États-Unis et Haïti.

« Même s’il y a une dégradation continue du pouvoir d’achat, il y a quand même la présence d’une certaine élite économique », analyse Wisner Celucus, un professionnel des données.

Plus de la moitié de ce qui est consommé en Haïti provient de l’étranger. Les informations mises sur les réseaux sociaux disent beaucoup sur la façon de consommer des Haïtiens, et ces données peuvent être utiles pour la programmation des algorithmes de vente de publicité.

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La diaspora haïtienne revêt un intérêt particulier. De nombreuses familles en Haïti ont de la famille à l’étranger. « Ils peuvent être de potentiels clients du marché publicitaire sur les services de Facebook », rapporte le développeur Andy Feidjie Joseph.

« Il n’y a pas que l’intérêt économique des données, renchérit Wisner Celucus. Il y a aussi le contrôle de l’information dans une perspective de contrôle géopolitique. » Lors des dernières élections, les réseaux sociaux ont fait partie intégrante de la stratégie de communication des candidats.

Pas de loi

La protection des données personnelles, et le refus des publicités intrusives ne font pas partie de la liste des priorités de tous. Romaric Fils-Aimé utilise WhatsApp et Telegram en même temps. Il se considère comme un citoyen lambda qui n’a aucun poids économique, social ou politique. Il n’a donc rien à cacher. En plus, dit-il, « c’est impossible » d’échapper au contrôle des chasseurs de données personnelles vu le monde hyper connecté dans lequel on vit.

Cette conception est très populaire parmi les jeunes questionnés par AyiboPost. Pourtant, ils ne publieront pas leur mot de passe dans les forums publics sur internet. Certains craignent aussi que le contenu de leur conversation privée sur WhatsApp soit diffusé sur la toile.

En Haïti, il n’existe pas de loi sur la protection des informations personnelles des citoyens.

« Je me sens mal à l’aise que mes données personnelles soient utilisées dans des contextes qui échappent totalement à mon contrôle, avance Max Larson Henry, ingénieur réseau. Je considère que cette utilisation sans mon consentement ou avec un consentement forcé est une atteinte à ma vie privée. »

Pour cet ingénieur réseau, les enjeux à la protection des données des utilisateurs dépassent le choix ou la perception d’un utilisateur. Il s’agit avant tout de la responsabilité des États de protéger leurs citoyens.

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En Europe, le règlement général sur la protection des données (RGPD) interdit l’utilisation des données personnelles des utilisateurs pour le ciblage publicitaire. Des pays comme la Chine censurent ou développent leurs propres réseaux sociaux pour contrôler les informations qui entrent et sortent de leurs territoires.

En Haïti, il n’existe pas de loi sur la protection des informations personnelles des citoyens. « Les compagnies de téléphonie mobile font une utilisation abusive des données personnelles de leurs clients, par exemple, avec l’envoi non sollicité de publicités par SMS », estime Max Larson Henry.

Légiférer ne suffit pas. La loi sur la signature électronique et les échanges électroniques n’a pas été suivie d’effet par exemple. « Au-delà du cadre légal, il faudrait aussi voir des mécanismes (…) pour rendre opérationnel les dispositions prévues par cette loi », prévient Max Larson Henry.

Responsabilité personnelle

En attendant des décisions règlementaires, les utilisateurs haïtiens doivent prendre personnellement les choses en main, s’ils veulent protéger leurs informations sur internet. Migrer vers des applications qui offrent des garanties de non-utilisation claires est l’une des options.

Les internautes doivent aussi faire attention aux cookies sur les sites internet. Ce sont de petits fichiers qui permettent la collecte d’informations au profit du site visité. Les spécialistes en langage numérique recommandent la navigation en mode incognito sur Google Chrome, par exemple, malgré ses nombreuses limites.

Il faut porter une attention particulière aux autorisations accordées aux différentes applications installées sur les smartphones. « Une application de radio ne devrait pas demander l’accès à des données de géolocalisation », prévient Max Larson. Certaines applications vont quand même collecter ces données à l’insu des utilisateurs.

Finalement, le bon sens doit l’emporter. « Il est toujours conseillé de ne pas mettre ce qu’on ne souhaite pas partager sur Internet », déclare Wisner Celucus.

Hervia Dorsinville

Une première version de cet article affirmait que Facebook avait fait l’acquisition de WhatsApp pour 3 milliards de dollars. C’était une erreur. La transaction est évaluée à environ un vingt milliards de dollars. 6.2.2021 18.33

Journaliste résolument féministe, Hervia Dorsinville est étudiante en communication sociale à la Faculté des Sciences humaines. Passionnée de mangas, de comics, de films et des séries science-fiction, elle travaille sur son premier livre.

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