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Saint-Marc : Balade dans un rêve éveillé

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Des heures passent et se rétrécissent sous nos pieds. Elles nous donnent lourdement l’impression d’être absent à travers tout ce qu’on dit et surtout ce qu’on fait. Puis vient par moment le sentiment où tout semble nous tomber dessus. On joue contre tous, et encore plus contre soi-même. On s’apitoie facilement face à une responsabilité manquée… un devoir oublié… une dernière note à accorder…. l’ultime chose qu’on oublie… et l’autre que l’on attend, qui se fait toujours espérer en chemin.

Finalement apparait le retentissement de ce refrain. Il est ponctué de nostalgie à chaque fois qu’on se rappelle ce qu’on aurait dû faire,  et qu’on n’a plus de temps. On n’en a jamais assez d’ailleurs.

Bon, je dois admettre et avouer que cela dépend bien des personnes. On sait bien qu’il existe bon nombre de gens qui ne font que papillonner dans les rues en usant l’espace-temps pour ainsi tuer leur existence. Parallèlement, on compte ceux et celles qui fument leur temps dans un milieu formel où ils se confinent dans des institutions publiques de l’État. Ces gens, ils sont là, assis tout près de leur impatience en écoutant le battement de leur cœur s’harmoniser au tic-tac des horloges. Question pratique, il est déjà l’heure. C’est justement l’heure de partir !

Moi, je ne pars pas. Il ne m’est aucunement permis le droit de rater ce rendez-vous. Celui avec l’écriture pour témoigner de mes instants perdus, mes heures de satisfaction et de récupération. Plus encore, je ne vais pas manquer à l’obligation d’écrire à mon amie.

Ma chère amie, je sais que tu gardes encore ta tête sur tes épaules. Mais, je te rappelle qu’il y a  quelques jours de cela on était bien au mois d’avril. Là, tu dois surement te demander pourquoi donc ce rappel ? Ben ! Pratiquement, il n’y avait pas vraiment grand-chose. Pas de jours de congé national ou autre. Par contre, pour un Saint-Marcois, ce mois n’est pas ordinaire. Pas extraordinaire non plus. Mais tu comprendras aisément que cette ville, construite sur un ancien site d’une bourgade indienne taïno, appelée « Amany-i » a été créée le 25 avril 1695. Donc le 25 avril dernier, la cité de Nissage Saget comptait ses 321 ans d’existence. Cet espace de terre, jadis, au temps de l’histoire coloniale, servait de lieu où se tenaient les rencontres hautement symboliques à travers l’Assemblée de Saint-Marc pour asseoir les revendications des blancs représentant l’ensemble des propriétés bourgeoises de l’île de Saint-Domingue.

Je sais que tu n’es pas au pays. Sinon, je me ferais l’honneur de t’emmener chez moi. Il serait intéressant de voir comment ça se passe, la fête. Tout compte fait, entre nous, ces derniers temps nos relations restent uniquement épistolaires. Alors, je me suis fait l’obligation de te conduire, sous l’élan de ma plume plutôt verbale, vers cette singulière cité : destination Saint-Marc.

Allons donc ma chère, tu es sous bonne escorte. On n’a pas de temps à perdre. Je sais que tu fais bon commerce avec ton sourire, mais là où l’on est, à la station Gonaïves, tu vas devoir soudainement emprunter une mine assez coriace pour ne pas te faire agresser par des jeunes. Vite fait, nous devons prendre un petit bus, connu sous le nom de « Pap Padap ». Ce dernier, parcourant la route à 70 km/h, ne passe pas plus d’une heure et quart sur la route pour arriver à Saint-Marc.

Bienvenue à Saint-Marc !

C’est ce qu’on remarque sans effort à l’entrée sud de la ville. Déjà, comme il existe dans presque toutes les villes de province, ta venue est saluée par des marchands ambulants approvisionnant en toutes sortes de produits de consommation. De l’eau, oui. Il y en a  plus de cinq qui te font la même offre. Sérieusement, il n’y a pas là une possibilité de juger sur la qualité. C’est le même produit. La même marque. Le même emballage. Donc ton choix va dépendre de ta proximité avec l’un des marchands, selon qu’il se fixe auprès de ta fenêtre.

Nous voici arpentant les différentes rues de la cité de Nissage Saget. Nous sommes maintenant partie intégrante de la ville. Hey ! Attention, hein ! Tu dois surtout te surveiller. Tu risques de te faire piétiner par un de tes semblables ou encore faire obstacle à un objet quelconque. Car dans ce coin du monde, les gens, les motos taxis, les voitures, tout se mélange au crépuscule de la vie. Mais, on ne s’en plaint pas. C’est la fête.

Pour paraphraser Frank Étienne dans Melovivi, tout bouge autour de nous. Alors là, il est temps de se positionner pour savoir où se donner la tête. Qu’est-ce que les autorités, la société civile et les organisateurs de festivités de la ville comptent livrer cette année ?

Viens donc.

Faisons un coup de pied près de la Place Philippe Guerrier. Là, on va surement voir toutes les affiches de spectacles et les annonces de bals. C’est un rendez-vous incontournable. Presque tous les groupes musicaux du pays sont à l’affiche.

De là étant, on est très confus. Trop d’envies resteront inassouvies. Encore une fois, on n’aura pas le temps. Pas assez. Quand même, il faut que je t’explique un peu ce qui nous attendra aujourd’hui. Déjà, l’idée d’installer une programmation arrêtée dans nos têtes est la dernière page à ignorer de notre histoire. Comme l’aurait dit mon ami Osman qui vit en République Dominicaine, « la détente est un droit sacré ». Et on doit la vivre pleinement.

Ici, l’aventure s’annonce assez excitante. La ville se trouve bien enclavée entre deux plages et partage la côte des Arcadins. Je ne te parle pas de simple littoral ou d’espace côtièr, là où il y a forcément une mer. Là, je t’emmènerai voir Amani-y. Cette plage, fille unique de la mer des Caraïbes. Espace de définition du bleu d’azur. Signature scellée de la pureté. Amani-y est aussi une autre façon de dire beauté. Une interprétation de ce que peut offrir la nature. De son sable blanc qui offre sa nudité à sa mer cristalline, ce coin ludique de la ville restera un lieu sacré de bonheur et de séduction pittoresque. 

Le terrain de ville est segmenté en plusieurs branches de plaisirs. Il y en aura pour ta tête, ton corps et tes sens. Dans l’après-midi, vers les trois heures, un mouvement culturel composé de jeunes de la cité a fait l’annonce d’un spectacle de théâtre de rue. Cet événement va surement être greffé d’activités festives de tout genre. Si l’envie te prend de te déhancher un peu, je t’y emmènerai. Mais je ne sais pas vraiment où. Car, pour ce type de plaisir, le choix va être difficile à faire. Les boites de nuit les plus branchées de la ville telles que : Club 2000, Kay Grégoire et La Brise te rendront prompte satisfaction.

Dans les rues, les couleurs se mêlent. Le décor est planté. Des gens de tout âge, des personnes justes hallucinantes qui ne te laisseront guère de marbre. Leurs habillements et leurs maquillages. Leurs regards et leurs mouvements. Leurs façons d’occuper l’espace. Leurs sourires dressés à la cadence de vie. Tout s’harmonise.

Ne cherche pas trop à comprendre.

Viens !

Il est maintenant temps de peindre les rues de notre présence. Oups ! J’ai dû oublier que la fête a déjà eu lieu.

Quand même, ne t‘en fais pas, on rattrapera surement ce temps perdu l’année prochaine.

Carlo Germain

Carlo Germain est Avocat et militant des Droits Humains

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