Certains professeurs meurent, d’autres quittent le pays ou refusent de fréquenter les facultés dont l’environnement est connu pour être à haut risque de kidnapping
Faute de professeurs pour les dispenser, de plus en plus de «cours obligatoires» ne sont plus disponibles à l’Université d’État d’Haïti (UEH), témoignent à AyiboPost des étudiants et des responsables de l’institution.
Ce problème prolonge les études souvent de façon indéfinie et soulève des questions sur la qualité de l’éducation au sein de l’institution publique dans un contexte d’exode de professionnels haïtiens vers des pays comme les États-Unis ou le Canada.
Ces inquiétudes préoccupent l’esprit de Vincent Jonas. Depuis son admission en Histoire à l’institut d’études et de recherches africaines d’Haïti (IERAH/ ISRESS) en 2019, le jeune homme n’a jamais pu suivre des cours obligatoires comme l’historiographie haïtienne ou l’historiographie antique parce qu’il n’y a pas de professeurs pour les dispenser.
Ce problème prolonge les études souvent de façon indéfinie et soulève des questions sur la qualité de l’éducation au sein de l’institution publique…
En quatrième année, Vincent Jonas hésite à se considérer comme étudiant finissant lorsqu’il regarde ses aînés dans une situation similaire qui sont à leur cinquième, sixième et parfois la septième année au sein de cette entité de l’UEH.
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Il n’est pas clair combien de professeurs ont quitté l’université ces trois dernières années. Les responsables de l’institution ne communiquent pas sur l’ampleur du problème qui semble s’en aller grandissant, selon des étudiants.
La Faculté des sciences humaines (FASCH) n’est pas exemptée.
Woodley Solon est à la dernière session du niveau I en psychologie. Il a sans succès tenté de s’inscrire pour les cours obligatoires comme la Psychologie de l’apprentissage et l’Introduction à la psychanalyse en niveau I.
Le professeur titulaire du cours a laissé le pays au début de l’année. «Quand nous avons porté les doléances à l’administration, ils nous ont dit qu’ils sont à la recherche d’autres professeurs », explique Solon.
Il n’est pas clair combien de professeurs ont quitté l’université ces trois dernières années. Les responsables de l’institution ne communiquent pas sur l’ampleur du problème qui semble s’en aller grandissant.
De son côté, Pierre Wilson Chery, étudiant en sociologie niveau II, est à sa deuxième tentative avortée pour s’inscrire au cours Théorie de sociologie II.
Le professeur qui dispensait le cours n’est plus disponible. «L’assistant qui nous aide pour le choix des cours m’a dit qu’il ne sait pas encore quand [la faculté] va trouver un remplaçant», raconte Chery.
Interrogées par AyiboPost, les responsables de la FASCH reconnaissent l’existence du problème.
Mais, selon Jerôme Paul Eddy Lacoste, directeur académique de la FASCH, cette situation qui s’aggrave avec la conjoncture du pays n’y prend pas son origine : elle est structurelle.
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Selon le responsable, il faut une politique de formation permanente, de rétention et de réception des cadres au niveau du pays et à l’UEH qui fonctionne avec un budget insuffisant, reconduit depuis au moins cinq ans.
«La question de l’enseignement est une question de carrière», déclare Lacoste. «Il y a certes la situation sécuritaire, mais je pense qu’au niveau du rectorat de l’Université d’État d’Haïti, on doit avoir une politique pour non seulement retenir, mais aussi recevoir les cadres qui sont formés. Parler de rétention des cadres demande des programmes concrets», ajoute le professeur.
Il faut une politique de formation permanente, de rétention et de réception des cadres au niveau du pays et à l’UEH qui fonctionne avec un budget insuffisant, reconduit depuis au moins cinq ans.
À l’École Normale supérieure (ENS), l’indisponibilité de professeurs pour des cours importants inquiète.
Quatre étudiants témoignent à AyiboPost ne pas pouvoir suivre des cours comme la Méthodologie de l’enseignement, la Civilisation anglaise et espagnole, la Société et institution américaine, la Grammaire et la littérature espagnoles, la Culture hispanophone et la Philosophie du langage.
«Ces cours ont été suspendus en raison du manque de professeurs pour les dispenser», révèle à AyiboPost Abigaïl Delinois, une ancienne étudiante en Langues vivantes de la promotion 2017/2022.
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Schedline Eliassaint, 28 ans, étudiante en première année de langues vivantes à l’ENS se plaint que le décès de certains professeurs entraine la mort des cours qu’ils dispensaient.
Eliassaint en veut pour exemple le cas des professeurs Pierre-Jorès Merat et Roger Petit-Frère qui respectivement enseignaient la Civilisation anglaise et espagnole, les Relations internationales, la Société et Institution américaine d’un côté et l’Histoire des idées ainsi que plusieurs autres cours de l’autre.
Il y a certes la situation sécuritaire, mais je pense qu’au niveau du rectorat de l’Université d’État d’Haïti, on doit avoir une politique pour non seulement retenir, mais aussi recevoir les cadres qui sont formés.
Adlet Beaubrun, actuellement en troisième année Langues vivantes à l’ENS, pense que les actuels étudiants de l’institution ont droit à une formation au rabais.
Joint par AyiboPost, un membre de l’administration de l’ENS qui ne veut pas que son nom soit cité confirme qu’à cause de l’absence de ressources humaines, des cours sont radiés du cursus.
Certains professeurs meurent, d’autres quittent le pays ou refusent de fréquenter les facultés dont l’environnement est connu pour être à haut risque de kidnapping.
«Nous avons certes recouru à d’autres alternatives, comme offrir de nouveaux cours. Mais on ne sait pas encore si ces cours qui n’existent plus pourront à nouveau être rétablis», déclare le responsable.
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Les solutions tardent à se pointer à l’horizon.
Le professeur et directeur de recherche à l’ENS, Alvarez Louis, révèle que des professeurs étrangers ont rompu leur contrat avec la structure à cause de l’insécurité.
À la FASCH, on explore la possibilité de dispenser des cours en ligne, selon le directeur académique Paul Eddy Lacoste, mais les matériels informatiques demeurent hors de portée. Néanmoins, l’institution cherche des moyens pour équiper des étudiants, selon Lacoste. «On essaie par tous les moyens d’empêcher que ces cours meurent», affirme-t-il.
Par Tchika Joachim
© Image de couverture : pexels
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