SOCIÉTÉ

Finir des études à l’UEH relève d’un parcours du combattant

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Des jeunes, autrefois enthousiastes, racontent leurs désillusions

« Je viens d’entamer mon doctorat en licence ». Telle est la réponse de Tatiana Louis en référence à ses sept années d’études à la Faculté des sciences humaines (FASCH). Après trois années en plus des quatre nécessaires pour l’obtention d’une licence, la jeune femme reconnaît s’être trompée sur toute la ligne. « Lorsque j’ai eu mon bac, confie-t-elle, je suis entrée à la faculté en pensant que j’y passerais seulement quatre années. J’envisageais de faire une maitrise en psychologie sociale tout de suite après, pour enfin trouver du travail. »

Un schéma plutôt similaire à celui de Lorenz Cedne qui continue de caresser le rêve de devenir psychologue. L’actuel étudiant à la Faculté d’ethnologie devait avoir fini avec ses études l’année dernière. Et pourtant, il est encore en troisième année et dit ignorer quand exactement il pourra boucler son cycle d’étude. « Je sais seulement que je le terminerai un jour », affirme-t-il.

Asheley Thernelan, un autre étudiant, avait échafaudé son plan dès le départ. Il se voyait décrocher un doctorat en sociologie. Mais, comme pour Cedne, cinq années ont passé. Thernelan est encore en niveau deux et les priorités changent. « Je ne compte pas passer ma vie entière à étudier », dit l’étudiant de la FASCH. Raison pour laquelle, il tempère ses ambitions : un master semble désormais plus réaliste que le doctorat visé au départ.

Pris entre les filets de l’incertitude, des cours dispensés au rabais, l’impossibilité de prévoir quoique ce soit, des étudiants de l’Université d’État d’Haïti s’obstinent à avancer tant bien que mal, malgré tout. Le rectorat de l’institution n’a pas donné suite aux demandes d’interview d’AyiboPost.

En dents de scie

Au-delà des crises sociopolitiques, la réalité de l’espace universitaire constitue une entrave pour les étudiants. Lorsque ce ne sont pas des revendications non satisfaites qui y paralysent toute activité, ce sont des professeurs absentéistes qui posent problème. Durant ses cinq ans, Thernelan assure qu’il lui arrive d’aller à la fac deux jours d’affilée sans pouvoir suivre de cours à cause de formateurs qui choisissent de ne pas honorer leur chaire.

Selon Lorenz Cedne, les absences peuvent s’étendre sur plusieurs semaines. « Parfois, dit-il, on peut avoir un ou deux cours dans la semaine, et d’autres fois aucun pendant plus de quinze jours ».

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Mais le véritable record d’arrêt de travail auquel Cedne a eu droit a duré plus d’une année. En effet, le 12 juin 2017 l’ancien doyen de ladite faculté a carrément roulé sa voiture sur Jean John Rock Gourgueder, un étudiant alors expulsé par le Conseil de l’Université d’État d’Haïti avec dix-huit autres de ses camarades. Les portes de la faculté sont alors restées fermées longtemps après le 12 juin de l’année suivante.

Malgré tout cela, Thernelan et Cedne n’entendent pas lâcher prise. Au contraire, ils décident de faire de l’obtention de leur licence un impératif. Quoiqu’ils reconnaissent que tout ne dépend de leur simple volonté.

Des irrégularités considérables

Depuis la première année, Lorenz Cedne, accessoirement amateur de guitare et de piano, affirme avoir toujours mis un point d’honneur en ce qui a trait au choix de ses cours. « Je m’inscrivais toujours à la totalité des cours, obligatoires ou pas. Ce, pour qu’au bout de quatre ans je n’aie pas de cours en retard à suivre. Mais cela n’a pas suffi ».

La publication des résultats des examens se fait fort souvent de façon aléatoire.

« Je suis extrêmement en retard parce que j’ai saisi trop tard le fonctionnement de l’espace, témoigne Thernelan. Si on s’entête à vouloir respecter les principes qui régissent la faculté, on en paie forcément les frais. Par exemple, certains cours nécessitent des prérequis. La règle veut que l’on suive le niveau 1 avant le 2. Pour savoir si l’on a réussi, ce sont les notes que l’on doit avoir. Mais, certains professeurs peuvent garder les notes jusqu’à deux ans avant de les publier. Les attendre revient donc à passer deux ans sans pouvoir avancer. »

Toujours en ce qui a trait aux difficultés rencontrées au niveau de la FASCH, Lovelie Metellus raconte avoir galéré 24 mois avant d’obtenir son stage. Octobre 2011, la désormais ancienne étudiante en travail social fait partie des rares à avoir mis quatre années à boucler ses études. « En octobre 2015, j’ai passé tous mes cours. L’ennui a été de faire mon stage et de remettre mon mémoire. J’ai dû effectuer toute seule des démarches avant de réussir à décrocher mon stage en 2017 ». Mais sans finaliser son travail de recherche, Metellus est partie aux États-Unis où elle réside encore.

Salomon Isaac Joseph pense également à partir à l’’étranger. Lui aussi compte sur une bourse qui lui permettrait de faire une maitrise. Et puisque le temps normalement réparti pour les études peine à être respecté, le boursier de l’État depuis bientôt six ans, envisage la fin de ce chapitre pour au moins deux ans.

Un sacrifice qui vaut le coup

Les études pour avoir une licence dure quatre ans. Mais quand on est étudiant-e à l’Université d’État d’Haïti, on ne sait jamais combien de temps on risque de passer avant d’y avoir droit. Par conséquent, « il importe que les jeunes bacheliers soient conscients des risques qui accompagnent le choix d’étudier à l’UEH, plaide Asheley Thernelan. Car cela leur servira d’atout ».

Et s’ils choisissent de s’y aventurer en dépit des risques, Cedne ajoute que ceux-ci doivent tout autant savoir qu’ils pourront être fiers d’avoir une licence signée UEH. Puisque pour lui, « la structure reste la meilleure de toutes les universités nationales et cela engendre nécessairement des avantages. »

D’ailleurs, même quand elle dit ne pas vouloir se permettre d’imposer à un jeune le choix d’une université, Lovelie Metellus reste convaincue de la valeur de l’UEH. Elle conseille aux potentiels candidats de non seulement bien se renseigner sur le terrain qu’ils s’apprêtent à fouler mais aussi de tenir compte de leurs moyens financiers ainsi que de leur orientation professionnelle.

Photo de Couverture : Stencer Saintelange/ Challenges
Rebecca Bruny est journaliste à AyiboPost. Passionnée d’écriture, elle a été première lauréate du concours littéraire national organisé par la Société Haïtienne d’Aide aux Aveugles (SHAA) en 2017. Diplômée en journalisme en 2020, Bruny a été première lauréate de sa promotion. Elle est étudiante en philosophie à l'Ecole normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti

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