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Révélations sur les pochettes de sang en provenance de la République Dominicaine

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La saisie de ces pochettes de sang met en lumière un dangereux trafic de sang entre la République Dominicaine et Haïti

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Des agents douaniers à Ouanaminthe ont intercepté une cargaison de 27 pochettes de sang, dont certaines sont probablement contaminées par l’hépatite, en provenance de la République Dominicaine le 13 octobre 2023, confirment à AyiboPost des responsables au ministère de la Santé publique et de la population (MSPP), ainsi que des autorités dans le département du Nord-Est.

«Les résultats préliminaires montrent qu’il existe des soupçons de contaminations à l’hépatite C sur quelques spécimens, mais rien pour le VIH du SIDA», révèle à AyiboPost le directeur départemental du MSPP pour le Nord-est, le Dr Jean Denis Pierre. Selon le médecin, les résultats définitifs seront communiqués à la population.

Les médicaments peuvent guérir plus de 95 % des personnes infectées par l’hépatite C. Mais, la saisie met en lumière un dangereux trafic de sang entre la République Dominicaine et Haïti.

Les résultats préliminaires montrent qu’il existe des soupçons de contaminations à l’hépatite C sur quelques spécimens, mais rien pour le VIH du SIDA. […] les résultats définitifs seront communiqués à la population.

Ce trafic effectué hors du contrôle de l’État reste illégal. Il prospère cependant sur un besoin urgent de pochettes de sang dans les centres hospitaliers du département du Nord-Est. Un besoin que la Croix-Rouge régionale, presque dysfonctionnelle, n’arrive pas à satisfaire, selon Anderson Latortue, un responsable au sein de l’institution.

«Une pochette de sang achetée en RD peut se vendre entre 4 000 à 5 000 pesos», révèle à AyiboPost Anderson Latortue.

Dans un communiqué sorti le 17 novembre, la Croix-Rouge soutient que le CNTS utilise ses locaux gratuitement dans plusieurs régions du pays, mais elle n’a aucune responsabilité technique ni administrative dans la gestion des produits sanguins depuis octobre 2020. Selon la Croix-Rouge, le CNTS continue d’utiliser abusivement le logo de l’institution dans certains supports. Cet usage a été dénoncé, dit l’institution.

Près de 400 000 personnes vivent dans le Nord’Est, un département limitrophe de la République dominicaine. Selon les données de 2015 du MSPP, 42 institutions sanitaires, dont près de 70 %  publiques, sont recensées dans la zone.

Un décret du 13 octobre 2020 portant la création et l’organisation de l’organisme du sang et des produits sanguins (ONASAPS) remet la distribution de sang sur le territoire haïtien au Centre national de transfusion sanguine (CNTS) ou Programme national de sécurité transfusionnelle. Toute importation de sang humain doit passer par cette structure chargée de tester le produit avant distribution, selon la loi.

Mais l’institution, sous équipée avec un budget inadéquat, n’arrive pas à jouer son rôle, d’après son directeur, le Dr Ernst Noël. «L’année dernière, nous avons pu collecter uniquement 22 000 pochettes de sang, alors que le pays demande entre 60 000 à 80 000 pochettes de sang par année», argumente le médecin.

Lire aussi : Transfusion sanguine : à court de ressources et de donneurs, le CNTS appelle à l’aide

Le CNTS détient quinze postes de transfusions sanguines et une vingtaine de dépôts pour stocker le sang collecté à travers le pays. «La grande majorité des dépôts dans les villes de province — dont les deux structures du Nord’Est — ne fonctionnent pas», déclare Dr Ernst Noël.

Dans ce contexte, les médecins dans les villes sur la frontière conseillent aux familles dans le besoin d’aller acheter du sang en République Dominicaine, selon deux responsables d’hôpitaux de la zone interviewés par AyiboPost.

Une pochette de sang achetée en RD peut se vendre entre 4 000 à 5 000 pesos.

«Quand j’envoie un patient aller chercher du sang à la Croix-Rouge haïtienne, il n’en trouve jamais», déclare le Dr Leslie Manigat, responsable du Medical Center de Ouanaminthe.

Aussi, l’hôpital donne une prescription à ses patients qui eux souvent traversent la frontière. «Quand un patient vient avec une pochette de sang, la première chose que nous faisons c’est de vérifier dans notre laboratoire si le liquide est en bon état avant de l’utiliser», poursuit à AyiboPost Dr Leslie Manigat.

L et M Centre Médical, une autre institution sanitaire du département confirme la pratique. «Si nous avons un patient qui souffre d’anémie sévère, nous lui donnons la prescription pour qu’il puisse aller acheter le sang ailleurs, mais nous ne le faisons pas à sa place», dit un responsable de L e M qui n’a pas décliné son nom au standard téléphonique de l’hôpital.

Quand j’envoie un patient aller chercher du sang à la Croix-Rouge haïtienne, il n’en trouve jamais.

Le MSPP connait l’existence de la pratique. «Je suis informé de la circulation de ces pochettes [importées] dans le département, mais la saisie des 27 pochettes est pour la première fois que nous avons réussi à stopper ce genre d’opérations», soutient à AyiboPost le Dr Jean Denis Pierre, directeur départemental du MSPP.

Lire aussi : Pourquoi est-ce si difficile d’obtenir du sang en Haïti ?

L’interception de la cargaison illégale survient à partir de deux heures de l’après-midi lors d’une inspection de migrants haïtiens qui quittent volontairement la République Dominicaine, selon des témoins.

En marge des tensions entre les deux pays sur la construction par Haïti d’un canal sur la rivière Massacre, 34 000 migrants haïtiens sont rentrés volontairement chez eux, selon un rapport du Groupe d’Appui aux rapatriés et réfugiés (GARR) publié le 16 octobre dernier.

«Nous avons repéré un jeune homme qui sortait de la République Dominicaine et qui portait une boîte», détaille à AyiboPost le vice-délégué de l’arrondissement de Ouanaminthe, Harold Joseph.

Le transporteur n’était pas autorisé à transporter la cargaison de sang, selon l’autorité régionale. «Un médecin connu dans la zone est ensuite venu réclamer les pochettes de sang, expliquant qu’il s’agissait d’une commande pour ses patients qui sont dans le besoin», poursuit à AyiboPost le vice délégué.

Harold Joseph n’a pas voulu révéler l’identité du médecin en question. Il dit avoir transmis les informations aux autorités concernées pour les suites nécessaires.

Le directeur du cabinet du ministre de la Santé publique et de la population, Dr Jean Hugues Henrys, confirme pour AyiboPost qu’une enquête est en cours sur cette affaire.

Cet article a été mis à jour avec un communiqué de presse de la Croix-Rouge. 12.47 20.11.2023

Par Fenel Pélisier

Image de couverture : Une pochette de sang en phase finale de collecte lors de l’activité  à la Faculté de médecine de l’Université Notre Dame d’Haïti, à Pacot, le 11 août 2023. | © David Lorens Mentor/AyiboPost


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Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

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