La célèbre « sœur des pauvres » a implémenté sa congrégation en Haïti en 1979
Invitée par l’archevêque de Port-au-Prince François-Wolf Ligondé, Mère Teresa de Calcutta, de son vrai nom Anjezë Gonxhe Bojaxhiu, a déposé ses valises en Haïti pour la première fois en 1977. Ce séjour qui devait aboutir à l’implantation dans le pays des Missionnaires de la Charité, la congrégation qu’elle a créée, n’a pas manqué de susciter des polémiques.
Le président de la République de l’époque, Jean Claude Duvalier, a reçu la célèbre missionnaire, à qui il a décerné la Légion d’honneur – plus haute distinction nationale – et une bourse pour financer ses activités. Dans un discours prononcé aux côtés de Michèle Bennett Duvalier, mère Teresa a exprimé son admiration pour la première dame.
En présence du régime criminel, qui exécute ses opposants, affame sa population et pille les caisses de l’État, les déclarations de mère Teresa seront très critiquées. « J’ai rencontré beaucoup de gens, des rois, des présidents, des Premiers ministres, mais je n’ai jamais vu des pauvres aussi proches de leurs dirigeants, comme ils le sont avec [vous], disait la missionnaire. C’est une grande leçon pour moi. J’ai appris quelque chose de vous. Merci. »
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Ce n’est pas une grande première pour la sainte, confirme Serge Larivée, un chercheur au département de psychoéducation de l’Université de Montréal. A côté des dons reçus de l’ancien dictateur haïtien, « un homme lui a également offert un jet privé, et plus d’un million de dollars qui avaient été volés à des caisses de retraite de petits épargnants, aux États-Unis. Lorsque l’homme a été cité en procès, [mère Teresa] a même écrit une lettre à la cour, pour le défendre.»
Des oeuvres de charité
Paësie Claire Joëlle Philippe est une missionnaire française en Haïti. Pendant 30 ans, dont 20 en Haïti, elle a fait partie de la congrégation des missionnaires de la charité. Elle l’a finalement laissée il y a trois ans pour en créer une nouvelle.
La sœur confirme que les épisodes entre Mère Teresa et la dictature ont créé des polémiques, mais, d’après elle, Mère Teresa ignorait à qui elle avait affaire.
« Elle était souvent reçue par des chefs d’État. Par principe elle acceptait toujours ces invitations. Mais je ne pense pas qu’à l’époque elle était très au fait de toutes les atrocités de la dictature. À ma connaissance, à part les cérémonies officielles, elle n’a pas reçu de dons de l’État », affirme la responsable de Kizito.
« Les missionnaires de la Charité en Haïti s’occupent surtout de soins de santé, dit-elle. Moi, j’avais vu la situation dans laquelle se trouvaient les enfants des rues, et je voulais aider. J’ai alors dû quitter la congrégation pour créer la famille Kizito. C’est toujours le même esprit de Mère Teresa, elle s’occupe de l’éducation de ses enfants à Cité Soleil, à La Saline, au Village de Dieu. »
Implantation dans le pays
Aujourd’hui, après plus de 40 ans, les missionnaires de la Charité sont implantées dans 9 localités du pays. « La première maison a été ouverte par Mère Teresa elle-même, à Delmas 31. Lors des deux premiers voyages qu’elle a faits dans le pays, elle était venue seule, mais quand il fallait ouvrir la maison, elle était accompagnée de quatre autres sœurs. »
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« L’une de ces fois, poursuit Paësie Claire Philippe, il n’y avait personne pour la recevoir à l’aéroport. Probablement, on avait oublié la date de son arrivée, je ne sais pas. Par chance elle a rencontré un prêtre à l’aéroport, qui était responsable du foyer Sainte Marie à Canapé-Vert. De là elle a ouvert son premier dispensaire à la paroisse Saint-Joseph, à la Croix-des-Bossales. »
À l’UEH, à l’époque, des patients ne trouvaient aucun soin, selon la missionnaire. L’hôpital était surchargé. « Il y avait des malades en phase terminale, qu’ils mettaient dans la cour, parce que l’hôpital avait besoin des lits, raconte la religieuse. Quand elle a visité l’hôpital, mère Teresa a vu ces gens qu’on laissait mourir. C’est pour cela qu’elle a décidé d’ouvrir un centre, pour prendre soin d’eux. C’était en 1979. »
Une sainte controversée
Mère Teresa a été canonisée en 2016, c’est à dire, elle a été nommée sainte par le pape François. Cette canonisation a elle-même été critiquée. Morte en 1997, elle était déjà nommée bienheureuse environ cinq ans après. C’est la 1re étape avant la sainteté. C’est un fait rare, tant ce processus prend en général beaucoup de temps.
Pour justifier une canonisation, il faut des miracles, opérés par le futur saint ou en son nom. Dans le cas de Mère Teresa, deux faits ont été évoqués. Il y aurait d’abord eu la guérison de Monica Besra, une jeune Bangladaise atteinte d’un cancer. Un an après la mort de la sœur des pauvres, Monica Besra était allée dans un centre tenu par les missionnaires de la Charité. Elle raconte que dès son arrivée, une lumière émise d’un portrait de Mère Teresa l’avait frappée.
Puis un peu plus tard, elle s’est couchée, en posant sur son ventre une médaille bénite par Mère Teresa. À son réveil, affirme-t-elle, elle était guérie. Mais, le médecin qui suivait l’évolution de la maladie de la jeune femme a pris le contrepied de ses déclarations. Selon lui, ce sont les neuf mois de traitement qu’elle a suivis qui l’avait guérie. Quant au deuxième miracle il aurait bénéficié un Brésilien atteint d’une tumeur au cerveau.
Les détracteurs de mère Teresa se sont toujours montrés incrédules quant à ces faits. Le processus de béatification de la missionnaire avait d’ailleurs commencé un an après sa mort, soit en 1998, ce qui d’après eux ne respecte pas le délai de cinq ans nécessaire.
Des idées rétrogrades
En plus de sa canonisation jugée douteuse, les idées de Mère Teresa sur des sujets de société l’ont aussi mise sous le feu des critiques. Elle a été accusée de prôner l’acceptation de la pauvreté.
Selon l’auteur américain Christopher Hitchens, l’organisation de Mère Teresa est un « culte qui encourageait la souffrance et n’aidait pas ceux qui étaient dans le besoin ».
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Le philosophe mort en 2011 en prend pour exemple des déclarations de Mère Teresa sur la pauvreté en 1981. À la question : « Apprenez-vous aux pauvres à accepter leur sort ? » Mère Teresa a répondu : « Je pense que c’est très beau pour les pauvres d’accepter leur sort, de le partager avec la passion du Christ. Je pense que la souffrance des pauvres aide beaucoup le monde. »
Paësie Claire Philippe ne le voit pas de cet œil : « Mère Teresa croyait qu’en guise d’apprendre les gens à pêcher, son rôle c’était de leur donner le poisson. Après, quand ils en auraient la force, ils pourraient apprendre à l’attraper eux-mêmes. Il y a aussi la pauvreté évangélique, qui est différente de la misère. C’est un choix de simplicité de vie, en imitation du Christ. Elle ne faisait pas l’éloge de la misère. »
La fondatrice de la congrégation Kizito n’éprouve que de l’admiration pour la sœur des pauvres. « C’est avec Mère Teresa que j’ai compris ce que voulait dire sainteté, dit-elle. On sentait la présence de Dieu en elle. Elle n’était pas charismatique, mais avec quelques paroles elle bouleversait la vie des gens. Tout cela m’a frappée chez elle. »
En outre, Mère Teresa avait des idées arrêtées sur l’avortement, le divorce, l’autonomisation des femmes. Autant de sujets qui de nos jours sont d’actualité. L’avortement des femmes a d’ailleurs été dénoncé par la missionnaire comme le plus grand ennemi de la paix, lors de son discours pour la réception du prix Nobel de la paix en 1979.
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