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L’État haïtien et l’Église catholique : unis envers et contre tous

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Depuis plus de cent cinquante ans, l’État haïtien et le Saint-Siège ont un accord – le Concordat de 1860 – qui octroie des privilèges de toutes sortes à l’Église catholique apostolique et romaine. Tous les prêtres, par exemple, reçoivent un salaire mensuel tiré des fonds publics.

 

C’est sous le gouvernement de Nicolas Geffrard(1859-1867), après plusieurs tentatives qui ont échoué, pour diverses raisons, que sera finalement adopté le texte final de l’accord entre Haïti et le Saint-Siège. En tant que « religion de la grande majorité des Haïtiens », comme le dit l’article 1 de ce Concordat, la religion catholique a toujours eu un statut privilégié dans le pays.

« Historiquement, explique Monseigneur Patrick Aris, chancelier de l’archidiocèse de Port-au-Prince, c’est l’État haïtien qui a voulu signer cet accord avec l’Église catholique, pour sortir de l’isolement d’après l’Indépendance [1804, Ndlr]. Les contacts ont commencé dès les premières années de la fondation de la République d’Haïti. Une reconnaissance du Vatican, qui est une puissance parmi les nations, était importante pour le pays. »

Le président Jean-Pierre Boyer (1818-1843) avait préparé un texte d’accord, mais le tremblement de terre de 1842 et sa chute  ont entravé les négociations. Après Boyer, Haïti a connu une suite de présidences éphémères. Cela explique pourquoi il n’y a pas eu de suite aux premiers pourparlers. Le pays était toujours en quête de reconnaissance internationale.

Cette reconnaissance a pris plus d’un quart de siècle pour être acquise. Des divergences de vues entre les deux parties ont fait traîner le processus. Le pape Pie IX voulait absolument faire du pays une préfecture apostolique, au lieu d’y ériger des diocèses, au grand dam des autorités haïtiennes. Il a fallu attendre la présidence de Fabre Geffrard (1859-1867) pour que les échanges reprennent. Finalement, le concordat négocié par Pierre Faubert, ancien aide de camp, ministre et secrétaire de Jean-Pierre Boyer, pour le gouvernement, et le cardinal Jacques Antonelli pour le Vatican, est ratifié.

Les prêtres, des salariés de l’État

Dans son article 3, qui n’a jamais été amendé, le concordat de 1860 stipule : « Le gouvernement de la République d’Haïti s’oblige d’accorder et de maintenir aux archevêchés et aux évêchés un traitement annuel convenable sur les fonds du Trésor ». Pour dissiper tout malentendu, les notes additionnelles du plénipotentiaire haïtien précisent que par archevêchés et évêchés, on désigne les titulaires de ces offices, c’est-à-dire les archevêques et évêques. Cela signifie que, chaque année, l’État haïtien est tenu d’accorder des frais pour le fonctionnement de ces institutions. Ces frais, selon des documents supplémentaires consultés, étaient d’environ 1200 francs par an. Sachant qu’un franc en 1850 équivaut à 3,27 euros aujourd’hui, cela signifie que ces frais seraient d’environ 4000 euros.

L’évêque Patrick Aris affirme que cet article n’a jamais été appliqué tel quel. « Les prêtres ne reçoivent pas de salaires, dit-il. Nous ne sommes pas une corporation. Il est vrai cependant que l’État accorde des frais de 5000 gourdes, 4500 gourdes après taxes, comme gratification, parce qu’un prêtre est aussi un officier d’état civil. Mais ce sont les quêtes qui font vivre les paroisses. C’est pour cela que certaines sont plus riches que d’autres. »

En fouillant minutieusement quelques documents, il apparaît clairement que l’État, du moins dans le temps, a toujours pris en charge l’organisation de certaines paroisses. D’abord par le biais d’un conseil de notables, ou conseil de fabrique, chargé de l’administration et deuxièmement en fixant les frais qui appartiennent aux prêtres pour chaque enterrement, mariage, etc. Selon l’historien Georges Michel, « Les prêtres sont salariés de l’État ». Le ministère des Cultes, contacté sur le sujet, n’a pas donné suite à nos demandes d’interview.

Les privilèges accordés à l’Église

S’il n’est pas certain que l’État prend encore en charge certains frais des prélats catholiques, il existe des preuves de certains privilèges dont jouit l’Église. Ce sont, entre autres, des franchises douanières, des cessions de terrain ou encore des aides financières. Les institutions congréganistes sont elles aussi bénéficiaires de certains avantages accordés par l’État.

Le journal officiel Le Moniteur du 17 septembre 1913 fait mention d’une loi accordant « la franchise de tous droits de douane pour des matériaux destinés à l’Institution Saint-Louis-de-Gonzague ». La construction de l’Archevêché de Port-au-Prince et  de la Chapelle du Petit-Séminaire ont également bénéficié de généreux crédits provenant des fonds publics. Ce ne sont là que des exemples de privilèges.

Il faut aussi mentionner le rôle prépondérant qu’a toujours joué l’Église catholique dans les cérémonies officielles de la République. C’est également un signe extérieur de son pouvoir sur la vie publique. Dans une moindre mesure, certains cultes protestants ont eux aussi bénéficié de subventions publiques diverses, si l’on se fie au Moniteur no. 64 du 4 août 1924.

Des amendements divers

La version originale du Concordat est divisée en 18 articles qui établissent le fonctionnement de l’Église catholique en Haïti, et ses rapports avec l’État haïtien. En plus du Concordat, Pierre Faubert a adressé une note additionnelle au cardinal, pour clarifier certains points, ainsi que leur application pratique. L’article 4 donnait au président de la République « le privilège de nommer les évêques et archevêques », tandis que l’article 1 érigeait la ville de Port-au-Prince en tant que premier archevêché du pays.

En deux occasions, 1966 et 1984, respectivement sous la présidence de François Duvalier et de Jean Claude Duvalier, le Concordat de 1860 a été amendé. Le premier amendement émane de Duvalier père, dans sa volonté de contrôler les membres du clergé. Après son accession au pouvoir, le président à vie commença à rendre la vie dure aux prélats catholiques, dont la quasi-totalité était des étrangers. Le Vatican décida de négocier le statut de l’Église avec Papa Doc. De ces négociations, le président obtint l’autorisation de nommer directement des membres du clergé. Il fit ainsi nommer plusieurs évêques, dont feu François Wolf Ligondé, archevêque de Port-au-Prince.

À la mort de Papa Doc, son fils Jean Claude le remplace. Profitant de sa visite en Haïti en 1983, le pape Jean Paul II arrache de Baby Doc la promesse de procéder à un deuxième amendement dans lequel il renoncerait à son droit de nommer les évêques. Jean Claude Duvalier accède à la demande du pape. Quelques mois après, en 1984, le Concordat reçoit une seconde modification portant sur les articles 4 et 5 qui accordaient au président le droit de nommer les évêques. Les autres articles ainsi que les notes additionnelles originales sont maintenus tels quels.

La raison du plus fort

Le Concordat entre le Saint-Siège et la République d’Haïti n’est pas le seul accord de ce genre dans le monde. Actuellement, il y a environ 238 concordats actifs entre le Vatican et des pays ou des régions. Ces concordats assurent à l’Église catholique une position enviable dans le monde et renforcent son poids diplomatique. Pour qu’il y ait un accord entre l’Église et un État, il n’est même pas nécessaire que celui-ci soit à majorité catholique.

Dans le cas d’Haïti, il n’y a pas de statistiques officielles, selon l’évêque Patrick Aris, qui prouvent que les églises protestantes ont plus de fidèles. Selon le chancelier, l’Église catholique rend beaucoup plus service à l’État que l’inverse. « Nous crédibilisons l’État dans son patrimoine culturel le plus cher, que sont les archives » déclare t-il. « Même les pasteurs protestants font baptiser leurs enfants à l’Église catholique », poursuit le prêtre, comme pour justifier cette préséance de la religion catholique apostolique et romaine.

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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