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Pour une vulgarisation massive de la linguistique appliquée en Haïti

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Accompagné de ma petite sœur, le jeudi 7 juin 2012 (enlevée à notre affection, le 10 mai 2013 à l’âge de 13 ans, paix à ton âme, petite sœur) au parc canne à sucre pour la 18e édition de Livres en folie, je suis tombé sur un ancien professeur pour lequel j’ai un grand estime. Pour avoir été, mon professeur d’introduction à l’économie et de macro économie à l’INAGHEI, je peux témoigner de son sérieux, sa compétence et sa très grande rigueur académique. Nous commencions à parler et de plus en plus la conversation devenait intellectuelle. Sachant que j’étudie actuellement la linguistique, il commençait à me questionner sur l’aspect pratique de cette discipline. J’avais déduit au moins deux implicites dans les questionnements de ce professeur : Soit il voulait tester mes connaissances en linguistique ou il ignorait complètement ce que c’est que la linguistique. Ce qui a été pour moi une sorte de déclencheur pour rédiger ce texte. C’est une façon  pour inciter mes collègues, étudiants et professeurs à vulgariser la linguistique à travers des textes qu’ils publieront dans les quotidiens du pays ou profiter des foires du livre, Livre en folie par exemple. Le pays souffre d’un grand déficit   dans ce champ de connaissances combien important pour le développement du pays, Comme il l’a été à un certain en France, même le public lettré en Haïti ne sait pas ce que c’est vraiment la linguistique.

 

Le début

Ferdinand de SAUSSURE à qui l’on attribue la paternité de la linguistique moderne la définit comme une science qui étudie la langue. Il a différencié la langue, le langage, la parole. Pour Martinet, c’est l’étude scientifique du langage humain. Rappelons qu’une étude est dite scientifique, lorsqu’elle se fonde sur l’observation des faits et s’abstient à proposer un choix parmi ces faits au nom de certains principes esthétiques ou moraux. De ce point de vue, la linguistique est une science descriptive, non normative.

La linguistique n’a pas toujours existé telle nous la concevons aujourd’hui, jusqu’au XIXe siècle, nous dit Daniel BERGEZ, la linguistique est une science historique qui permet d’approcher et d’interpréter les textes littéraires. Cette définition datée de 1867 confirme ce que nous venons d’avancer :

C’est la connaissance grammaticale et lexicographique des langues mortes et vivantes(…) Elle prend les formes diverses suivant le but qu’elle se propose et la manière dont elle est traitée. Si elle doit spécialement comprendre les littératures, afin de pouvoir à l’aide de ces littératures et aussi par des études scientifiques des langues y relatives, acquérir la connaissance un génie particulier et de l’histoire du développement de certains peuples. Elle entre au service de la philologie et même reçoit le nom de philologie formelle ou simplement de philologie.[1]

 

La linguistique se confondait alors avec la philologie. L’influence qu’a eue la linguistique structurale sur l’anthropologie au milieu  du XX e siècle a fait oublier qu’au XIXe siècle, les études sur le langage s’inspiraient des sciences naturelles, alors dominantes avec Darwin.

Un premier intérêt  porté aux langues vivantes et à la dialectologie : On découvre la communauté des locuteurs et d’entité organique, la langue devient une institution sociale, mais ses éléments restent analysées comme ses indépendantes. Les linguistes se placent dès lors sous le patronage de la sociologie et de l’anthropologie. La linguistique se confond ici avec la sociologie ou l’anthropologie.

Le renversement sera dû à Saussure dont nous avons fait mention plus haut. En posant que la langue est un système de relation interdépendantes, explicables sans qu’il soit nécessaire de recouvrir à des donnés extralinguistiques, et dont les éléments tirent leur valeur de leurs seuls rapports mutuels, Saussure construit un objet doté d’une cohérence.

La tâche de la linguistique sera de :

-Faire la description et l’histoire de toutes les langues qu’elle pourra atteindre, ce qui revient à faire l’histoire des familles des langues et à reconstituer  dans la mesure du possible les langues mères et chaque famille ;

-chercher les forces qui sont en jeu d’une manière permanente et universelle dans toutes les langues et de dégager les lois générales auxquelles on peut ramener tous les phénomènes particuliers de l’histoire ;

-se limiter et se définir  elle-même.


 

Le grand virage

Après avoir occupé le terrain pendant un bon bout de temps, la linguistique de la langue s’est vue remettre en question par les linguistiques énonciatives et discursives. En effet depuis Saussure à qui l’on attribue la paternité de la linguistique moderne, cette dernière n’a été qu’une linguistique de cabinet, les linguistes imaginaient des phrases et en faisaient la description structurale. Martinet, chef de fil du courant fonctionnaliste s’occupait de la fonction et ainsi était considéré la linguistique.

Ainsi dans une phrase telle que: “ L’obscurité s’abat sur la ville.”

Les linguistes de la langue ne se contenteraient que d’étudier la structure et la fonction de ses différents éléments, en mettant en évidence les déterminants, les lexèmes, les grammèmes etc. A la rigueur ils l’étudieraient sur le plan syntagmatique, c’est-à-dire sur l’axe de combinaison et sur l’axe paradigmatique, c’est à dire sur l’axe de substitution. Ils vous expliqueraient pourquoi nous n’avons pas: S’abat l’obscurité ville la sur. Ils continueront pour dire que chacun de ces mots pourraient être remplacés par un autre mot de même catégorie grammaticale.

Ainsi:                                                                                                                                               L’obscurité s’abat sur la ville pourrait être: La nuit s’achève dans le calme.

 Ils n’avaient pas encore peut-être compris que la phrase est une construction linguistique et théorique, prise isolément, pouvant se répéter à l’infini mais ne correspondant à aucune réalité. La phrase appartient à un domaine virtuel.

Avec les linguistiques énonciatives et discursives, une telle approche allait être sévèrement critiquée. On allait plutôt entendre parler de linguistique de la parole. Quand quelqu’un dit quelque chose, il ne parle pas pour parler, il veut entrer en communication, il le dit dans un contexte, il a un interlocuteur, il existe une situation de communication. Une phrase dès qu’elle est prononcée dans un certain contexte (circonstances, moment, lieu, interlocuteurs) et dans un certain cotexte (l’entourage linguistique de la phrase) devient un énoncé.  C’est cet aspect que les linguistes qu’on pourrait appeler traditionnelles ont négligé.

Si l’on reprend la même phrase du début: L’obscurité, cela ne renvoie pas nécessairement à “Il fait nuit dans la ville. Selon la situation de communication, ça peut vouloir dire: Les mauvais gens pullulent dans la ville; La corruption bat son plein dans la ville etc. Selon le contexte, ville peut avoir comme référent un pays, une zone ou n’importe quoi. Les tenants de cette théorie plus précisément Catherine Kerbrat- Orecchioni a passé aux fines peignes les théories qui faisaient la base de la linguistique de la langue, notamment cinq d’entre eux que nous n’aurons pas le temps de développer ici.

Il faut toutefois préciser que Saussure avait fait mention d’une linguistique de la parole, il a, semble-t-il décider délibérément de faire la description de la langue. Les  linguistiques discursives et énonciatives elles-mêmes, à leurs débuts se servaient de la linguistique de la langue pour asseoir leurs approches. En sciences humaines, ce que nous ne pouvons dire pour les sciences dites sciences dures, on parle de la complémentarité des théories. La linguistique de la parole est une étude complémentaire de celle de la langue ou la phrase. On ne peut pas partir de rien, pour asseoir une théorie.

L’application de la linguistique

De nos jours, la linguistique est une science bien structurée qui a un objet et une méthode propre à elle-même. Contrairement à ce que pourraient penser des critiques, la linguistique n’est pas une science abstraite, insaisissable ou uniquement spéculative. Depuis LABOV, elle a cessé d’être seulement une science de cabinet, pour s’adonner aux recherches de terrain. Ce qui allait donner naissance à la sociolinguistique, qui nous permet d’étudier la langue à travers la société, son évolution, son poids dans certains conflits de quelques natures que ce soit.

L’on ne peut parler d’éducation, sans consulter un spécialiste dans une branche quelconque de la linguistique. Elle a permis à d’autres sciences de voir plus claire qu’il s’agisse de la traductologie, de la didactique des langues étrangères ou de concevoir des programmes en informatique. L’aménagement linguistique est une branche de la linguistique qui s’occupe du statut que chaque langue doit occuper selon des critères scientifiques. Même dans un pays unilingue, elle est importante car nous savons que  la langue n’est pas parlée de la même façon sur un même territoire, elle comporte toujours des variations.

 

 

Les pressions sociohistoriques mettent des préjugés sur la langue que seule une étude scientifique peut aider à enlever. Comme par exemple, la suprématie de l’anglais sur le français   au canada, ou plus près de nous, la dévalorisation du créole haïtien  par rapport au français en Haïti. Il est prouvé depuis belle lurette que scientifiquement, l’on ne peut pas affirmer qu’une langue est plus belle qu’une autre. Toute langue est basée sur l’arbitraire du signe. C’est un produit social, elle est donc conventionnelle.

 

En guise de conclusion

A bien analyser les choses, l’on peut dire que la linguistique est peut être victime de son omniprésence, dans le sens qu’elle entre tellement dans des domaines de connaissance, qu’on ne se rend presque pas compte qu’elle est là. Ce décollement ou décollage (je ne sais plus) dont parlent les décideurs politiques depuis un bon bout de temps n’est pas possible sans la consultation des linguistes. L’administration publique haïtienne qui est la main avec laquelle les politiques publiques atterrissent ne peut fonctionner correctement sans les linguistes.

La parole est à la base de toute chose, Un ministère comme celui des affaires étrangères dans ses nombreuses échanges avec l’étranger a besoin d’ethnolinguistes, de sémanticiens, d’analystes de discours, pour ne citer que ces quelques spécialités. Pour l’éducation, n’en parlons pas, ainsi que tous les autres ministères. La langue a tellement  d’ambigüités, de subjectivités que seuls les linguistes professionnels sont compétents à lever.

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Huckel CHARLES
Licencié en linguistique Appliquée
Etudiant de maitrise en science du langage
Chuckel2009 @yahoo.fr

 

 

 

Bibliographie

BERGERZ, Daniel, 2005, L’explication de texte littéraire, Armand Colin, 2e éd, Paris, 199p

KERBRAT-ORECCHIONI, 1980, Catherine, L’énonciation de la subjectivité dans le langage, Paris, Armand Colin,

MARTINET, André, 1980, Éléments de linguistique générale, Paris, Armand Colin,  221p

OLLIVIER, Bruno, 2007, Les sciences de la communication, Théories et acquis, Armand Colin, Paris, 284p

SAUSSURE, Ferdinand de, Cours de linguistique générale, Payot,  526 pages

DICTIONNAIRE

BONTE, Pierre, IZARD   Michel, 2000, Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, sous la direction de, QUADRUDGE/PUF, Paris, 836p

  1. Duickett, Dictionnaire de la conversation et de la lecture, éd.1867, t.12

W.DUICKET, Dictionnaire de la conversation et de la lecture, éd 1867, t.12, p 344a-b

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