Il est vrai que tu es partie depuis quelque temps déjà, mais ton souvenir ne s’efface pas. Peut-être que les liens qui nous unissaient sont mystiques comme se sont exclamés tant de gens en nous voyant au fil des années. Je ne me suis jamais exprimée sur ta perte, car je ne trouve pas les mots pouvant décrire la profondeur de cette amputation. C’est d’ailleurs ironique si l’on tient compte que je me targue de pouvoir décrire les sentiments avec aisance au travers de mes écrits.
Je suis restée tellement stoïque ce fameux samedi quand on m’a annoncé la nouvelle de ton départ. J’ai refusé d’y croire parce que…. ben parce que toi et moi, on a fait un pacte il y a bien longtemps… si longtemps à Turgeau…. Oui longtemps de cela, on a scellé cette promesse par bien des rires fous… oui je me rappelle comment on a pouffé en parlant de Toutous et Blacky.
Je suis restée aussi stoïque parce que cela ne pouvait être vrai. Oui, j’ai refusé d’y croire, car toi et moi, on avait tellement de plans en attente. On rêvait de voyager ensemble et tu étais toujours l’une des personnes que je voyais dès que je rentrais de mes voyages à droite à gauche. Assises là dans notre coin secret en haut, notre rooftop, on se relatait les faits marquants de ces jours d’absence. Ta cigarette qui m’énervait est devenue cette odeur familière qui me manque tant maintenant.
Je ne pouvais y croire, car tu rêvais d’une Haïti meilleure. Tes yeux brillaient en parlant de tes aspirations politiques et de cette dette que tu croyais avoir envers le travail incomplet de ton père malheureusement parti trop tôt sous le coup des malfrats. Tu voulais changer ce système pourri et tu avais compris que cette mission avait un cout et tu m’avais confié que tu étais prête à payer ce prix de ta vie aussi longtemps que cela impliquait un mieux-être. Je me souviens de nos conversations sur la politique de notre pays, de ces longues conversations sur les livres que nous lisions…. Oh ! combien de fois avons-nous perdu la notion du temps en parlant de Michel Soukar, d’Etzer Vilaire, des Frères Nau, parmi tant d’autres. Je me rappelle encore ton obssession pour « Gouverneur de la Rosée ».
Je n’ai pas su quoi dire à ta famille, ma deuxième famille, mais qu’aurais-je pu dire pour changer la donne? Combien de haut et de bas avions-nous surmontés ensemble dans cette maison à Delmas? J’en connais tous les recoins pour y avoir passé tellement de temps. Pourtant, j’ai tremblé et reculé avant de rentrer chez toi. Les souvenirs ont afflué comme des gifles, mais je n’ai pas cédé au poids de l’émotion, car je ne pouvais me permettre de pleurer devant cette tragédie confirmée. Cela n’aurait pas été juste envers leur douleur. J’ai balbutié des trucs incohérents par ci, par là, des trucs du plus commun. Je n’ai pu parler qu’à ton frère vraiment… mais juste un tout petit peu. Je ne sentais pas mes mots et je ne voulais pas parler par peur du ravage intérieur que cela pourrait causer. J’ai pour ainsi dire fui cette atmosphère, car je ne pouvais pas et je savais que tu comprendrais. Tu as toujours compris que mes silences traduisaient plus que mes mots.
Toi et moi, c’est une histoire banale de deux filles devenues sœurs à la maternelle. C’est une histoire d’amitié rare où malgré certaines disputes, on n’oubliait pas l’essentiel : s’épauler mutuellement. Jamais, il n’y a eu de rivalité entre nous, jamais de disputes pour les garçons. … ah peut-être que si … pou ti mesyeu Carimi yo.
J’ai pourtant faibli en deux fois. Le jour de ton hommage funèbre, j’ai tout d’un coup réalisé que tu étais vraiment partie comme si durant tout ce temps, j’étais dans un songe. Je me suis rappelée que ce fameux jour où tu nous a quitté, j’ai passé une journée morose au travail. J’ai laissé le bureau avec cette sensation que je n’avais pas su décrire comme si quelque chose allait arriver. Je me suis dépêchée de rentrer chez moi, car je n’arrivais pas à me défaire de ce malaise sans savoir que de l’autre côté de la ville, je te perdais. J’avais été si souvent là pour toi. Pourtant, cette fois, je n’avais pas pu être présente.
Les gens familiers rentraient et me saluaient tout en me procurant des mots de réconfort, mais je ne les entendais pas. Je repensais seulement à mon absence causant cette question dont j’ai bien peur de ne jamais trouver la réponse. Et si j’avais été là?
Cette question me hantera pour le reste de ma vie et en ce mois de ton anniversaire, je me sens coupable de respirer alors que tu n’es plus. Je me sens coupable d’avancer alors que tu deviens un souvenir. Tu aurais dû m’appeler. J’aurais accouru… J’aurais marché s’il le fallait… pris une camionnette…. demandé une roue-libre… mais j’aurais été là… sans hésiter.
J’ai pleuré, pliée en deux dans l’obscurité à ta veillée, car je ne t’avais pas encore dit tellement de choses. J’ai senti mes tripes se serrer quand j’ai vu ton cercueil le lendemain, signe de ton départ. J’ai compris que nous ne partagerions plus de secrets.
Aujourd’hui, je souffre de ton absence. Dans ma chambre, je te parle comme si tu étais toujours là, comme si rien n’avait changé. Peu de gens comprennent mes silences si fréquents, mais toi, tu pouvais les traduire en mots aisément. Je prie pour toi régulièrement, tu sais, parce que c’est la seule chose que je sais faire quand je suis désemparée. Je ressens ta présence à chaque fois que je vois un papillon noir, à chaque livre que tu m’as offert dans ma bibliothèque, à chaque journal que je relis. Dans mes rêves, tu reviens vers moi, mais je ne peux capter ton message. J’espère que tu sais que je ne t’en veux pas. Je te vois mais je n’arrive pas à comprendre ce que tu veux me communiquer.
Je te souhaite juste d’être en paix en attendant de nous revoir à nouveau.
Adieu, Lex.
Merci pour toutes ces années…
Comments