À bien regarder cette expérience est édifiante pour nous autres en Haïti dans la mesure où elle est annonciatrice et révélatrice de plein de choses
Au 2 juin, la pandémie du nouveau Coronavirus a touché plus de 6,5 millions de personnes et fait plus de 380 000 décès à travers le monde selon les statistiques de l’Université John Hopkins. En Haïti, selon les chiffres officiels communiqués par le Ministère de la Santé publique et de la Population, le Coronavirus a contaminé 2 640 personnes et causé 50 décès, soit 133 cas positifs et 2 décès de plus que la veille. Toujours d’après cette même source, la maladie tend à frapper beaucoup moins les femmes que les hommes.
Contrairement à ce que plus d’un pense, la crise provoquée par le Covid-19 n’est pas à oublier sous aucun prétexte, car l’oublier c’est se condamner à reproduire les mêmes erreurs et errements. À bien regarder cette expérience est édifiante pour nous autres en Haïti dans la mesure où elle est annonciatrice et révélatrice de plein de choses.
Entre autres, elle a montré qu’il y a une nécessité urgente de s’organiser à l’interne parce que nous ne pourrions pas continuer à compter indéfiniment sur les pays « dits amis », voisins ou bienfaiteurs.
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Dans une sorte de prémonition en 2017, Wilner Prédélus dans son ouvrage Haïti : Caverne de Charlatans l’a dit, « en cas d’un conflit global, qui nous empêcherait d’importer les produits de première nécessité que nous achetons à l’étranger, comment nous y prendrions-nous ? C’est bien beau de dire que nous avons un deal tacite avec les États-Uniens et les Dominicains à l’effet que nous pouvons nous croiser les bras et qu’ils nous fourniront tout ce dont nous avons besoin pour nous mettre sous la dent. Mais en cas de crise, ce deal-là ne tiendra plus, parce qu’une bonne partie de leur capacité de production et de leurs ressources sera utilisée à d’autres fins, et conséquemment ils ne seront pas en mesure de nous approvisionner en citrons, épices, riz, bananes, œufs, etc. De plus, dans une économie globalisée, un conflit global risque d’être accompagné d’un ralentissement économique sévère. »
Cette crise a également indiqué qu’il y a une obligation de planifier en permanence sans négliger les détails sur qui fait quoi, où, quand, comment car toute confusion non dissipée à propos des rôles et des responsabilités dévolus aux différentes parties prenantes ne peut que compliquer les efforts des uns et des autres pour une prise en charge idoine de la population.
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Plus loin, elle nous annonce qu’il y a des années ou des situations ou des épidémies bien pires à venir, car les virus ne disparaîtront pas et peuvent resurgir à n’importe quel moment de la durée. À ce titre, il est plus qu’urgent que notre système de santé soit organisé, financé et fonctionnel de manière à couvrir toutes les couches de la population, avec un accent particulier pour les plus vulnérables financièrement qui courent généralement le plus de risque.
Nous sommes pratiquement unanimes à reconnaître le travail, ô combien précieux, réalisé par le personnel soignant pendant cette période de crise en dépit des conditions extrêmement difficiles de travail. C’est le moment de rendre un hommage bien mérité à ces vaillants prestataires qui, il faut le reconnaître, sont en première ligne dans la riposte.
Une bonne fois pour toutes, Haïti doit se montrer plus intelligent dans ses choix et ses priorisations. N’est-il pas le moment opportun pour enfin donner un meilleur traitement salarial à ces personnes infatigables qui font un travail de fourmi jour et nuit pour sauver la vie des autres ? Déjà, cela montrerait que nous avons compris le sens de leurs sacrifices, car nous parlons ici des personnes qui ont dédié leur vie entière aux autres. Il n’y aura pas de sécurité sanitaire s’il n’y a pas un système sanitaire résilient.
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Cette crise n’est pas à oublier, car l’expérience a montré que personne ne peut se sauver seule à l’intérieur d’un pays, et aucun pays ne sera en sécurité si les autres pays ne sont pas en sécurité eux aussi. En plus, il est clairement démontré qu’un virus identifié, mais non maîtrisé en Asie, en Afrique, en Amérique ou en Océanie peut rapidement gagner les autres parties non atteintes jusque-là. Il ne fait pas l’ombre d’un doute que la solidarité non seulement entre les citoyens au sein d’un même pays doit être encouragée, mais également entre les pays dans une sorte de multilatéralisme. Ces heures troubles rappellent définitivement que le multilatéralisme respectueux et responsable doit être le maître mot pour un monde en paix et stable d’un point de vue sanitaire. En parallèle, il faut que la coopération entre les secteurs public et privé du pays soit améliorée et renforcée.
Pour ce faire, il importe que le système de santé bénéficie des moyens nécessaires afin qu’il puisse se renforcer. Voilà pourquoi, accorder un budget substantiel à la santé est loin d’être un coût, mais plutôt un investissement, car il faut rappeler, si besoin est, plus on investit dans un système de santé résilient, plus on peut espérer une meilleure réaction et de meilleures réponses de ce dernier. Ce serait en bout de course, un hommage aux victimes, un hommage aux personnels de santé et un investissement ingénieux et clairvoyant en faveur des survivants de la pandémie. Il demeure entendu que parallèlement, des efforts consistants doivent être faits dans le sens du renforcement de la gestion dans les structures de santé.
Le Covid-19 a aussi permis de comprendre que l’engagement des communautés est incontournable et essentiel, et doit être mis en branle pendant les périodes d’accalmie. En réalité, si on ne fonctionne pas selon un schéma planifié et clair en temps normal, il sera difficile de mieux gérer en temps de crise. Dans de nombreux pays, le respect des mesures et gestes barrières est en partie la contribution de l’engagement communautaire.
Loin d’être une expérience négligeable ou marginale, le Covid-19 est plutôt une piqûre de rappel comme pour nous dire que nous avons une responsabilité comme dirigeants et comme peuple de réfléchir en permanence et de façon stratégique encore plus aujourd’hui qu’hier parce que notre salut ou notre damnation dans les prochaines années résultera des dispositions ou mesures qui ont été réfléchies, planifiées et implémentées aujourd’hui.
Marcus CADET, M. Sc.
Planificateur/Analyste statistique
Spécialiste en Économie du développement et gestion de projets internationaux
Photo couverture: REUTERS/Jeanty Junior Augustin
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