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« On ne peut pas laisser des hommes armés avec autant de frustrations. »

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Sous couvert d’anonymat, un agent de la Police Nationale d’Haïti témoigne pour dénoncer une institution au bord de l’implosion. Avec toutes les frustrations qui s’accumulent, il croit que la PNH risque de connaitre le même sort que les Forces Armées d’Haïti.


 

Si le directeur de la PNH peut dire qu’ accepter de renouveler son mandat serait la dernière chose qu’il ferait, qu’en est-il pour nous les petits agents ? 

Billy était en troisième année de gestion des affaires lorsque l’option d’intégrer la police s’est présentée à lui. Ses amis qui travaillaient dans les banques lui racontaient combien ils trimaient pour des salaires de misères. Billy voulait s’assurer d’un salaire régulier et  d’une véritable carrière. Mais, depuis l’entrée à l’académie de police, il a compris que la PNH ne correspondait pas du tout à ce à quoi il s’attendait.

Ils sont nombreux les policiers qui cherchent à quitter l’institution par tous les moyens, raconte Billy. Certains sont partis pour le Chili en quête d’un mieux-être. D’autres se marient avec des femmes vivant à l’étranger pour pouvoir émigrer rapidement. Des agents s’adonnent à la prostitution homosexuelle pour arriver à joindre les deux bouts. Il s’agit de pratiques connues de tous au sein de l’institution d’après Billy.

A côté de leur emploi, des policiers sont aussi revendeurs de voitures d’occasions importées et d’articles de brocante. Il y a ceux qui se font « brasseurs » de la rue en rançonnant les chauffeurs pour payer leur « sòl » de mille gourdes par jour. Au sein même du service de la circulation, Billy révèle qu’il existe tout un système de « raket » qui n’épargne même pas les policiers, sauf s’ils font partie de « la colonne ».

Comment dénoncer les abus lorsque les policiers sont sans recours ? 

En Haïti, il n’y a pas de syndicat de police où les agents peuvent exprimer leurs frustrations et faire entendre leurs voix. Les policiers sont tenus au respect du secret institutionnel et ne savent pas à qui communiquer leurs nombreux malaises.

Dans la PNH, il existe des missions pour lesquelles les policiers doivent normalement recevoir des frais. Certains supérieurs hiérarchiques leur exigent carrément un pourcentage sur ces frais. Ceux qui n’obéissent pas, ne seront pas convoqués pour d’autres missions.

Les relations entre les moins gradés et les supérieurs sont extrêmement infantilisants, nous apprend Billy. Au sein de la PNH, il y a la formule « le chef a parlé, point barre ! » qui définit assez bien ce rapport. Il n’y a pas longtemps, un commissaire a giflé un agent qui ne s’était pas fait couper les cheveux.

L’octroi de grade demeure une logique floue pour la plupart des agents. D’après Billy, il se fait en fonction de son appartenance à une « Kolòn ». Ce sont les policiers pistonnés qui gravissent rapidement les échelons de la hiérarchie. Une situation qui provoque des grognes et de graves malaises au sein de l’institution. Après onze années de service, certains agents ont toujours le même grade. Les transferts de policiers se font sur la base de copinage ou selon les caprices d’un haut gradé.

Au sein de la PNH, il y a la formule « le chef a parlé, point barre ! »

Il y a une idée véhiculée au sein de la PNH, selon laquelle un transfert est un acte de punition ou d’humiliation. C’est pourquoi les agents ne veulent point être affectés dans les zones rurales. Souvent, on menace de les envoyer à Ti Lori, (section communale de Cerca- la- Source), pour les punir. Là, il faut payer deux milles gourdes aller-retour en transport à moto pour récupérer sa carte de débit de 5000 gourdes. Il n’y a qu’une seule marchande de nourriture à Ti Lori qui ne travaille que le matin.

Souvent, dans les villes de province, les policiers restent en poste en pantoufles. Ils font fi de tout protocole parce qu’ils travaillent dans des commissariats sans électricité, où ils n’ont pratiquement rien. Certaines femmes policières négocient leurs transferts en couchant avec leurs supérieurs hiérarchiques. Avec l’actuel directeur, Michel-Ange Gédéon, la situation s’est un peu améliorée. D’après Billy, c’est parce que ce dernier connaît l’institution puisqu’il a gravi plusieurs échelons avant de devenir directeur général.

La gérontocratie au sein de la PNH pèse de tout son poids. Il y a des vieux policiers qui croient que l’institution leur appartient déplore Billy. Surtout ceux affectés à l’Unité de sécurité générale du palais national (USGPN). On dit souvent que ce sont des « malfektè ». Parmi eux, il y a plusieurs anciens militaires mal-en-point et physiquement épuisés qui auraient dû déjà partir à la retraite depuis longtemps. Ce sont eux pourtant qui accompagnent le président de la République lors de ses déplacements. Certains vieux inspecteurs généraux refusent aussi de quitter leur position.

Protéger et servir les riches.

Si la Police a été passive dans les manifestations depuis les évènements du 6 juillet 2018, c’est en partie parce que les policiers partagent les revendications populaires. Toutefois, Billy prévient que la Police est très politisée. Si l’institution n’est pas ouvertement impliquée dans les campagnes de candidats, les politiciens travaillent souvent main dans la main avec les policiers. C’est la politique qui nomme et installe le directeur de la PNH. Ce sont les politiciens qui donnent des ordres à l’institution. S’il faut disperser une manifestation, il suffit que le président du pays l’ordonne pour que la Police s’exécute.

A l’académie de police, en étudiant Robert Peel, on apprend aux futurs agents que la police est là pour préserver le statu quo. L’institution a été créée par les riches pour protéger leurs intérêts. « Théoriquement, tout le monde devrait avoir accès aux mêmes services. Mais vous remarquerez que la police se met généralement du côté des puissants », fait remarquer Billy.

C’est en période d’agitation que les supérieurs hiérarchiques pensent à la situation des policiers nous apprend Billy. Tant que les citoyens mettent la pression sur les gouvernements, cela arrange les policiers. Les évènements des 6,7 et 8 juillet sont à la base de leur reconsidération salariale.

La police risque de finir comme les FADH

« L’ancien premier ministre, Jack Guy Lafontant, en démissionnant a dit qu’il faut veiller à ce que les policiers ne deviennent pas des monstres. D’aucuns peuvent prendre une telle déclaration à la légère. Pourtant, il a tout à fait raison », explique Billy. Un corps armé qui grossit avec des hommes bourrés de frustrations, peut éclater à tout moment. Ce qui s’est passé avec les forces armées d’Haïti risque malheureusement de se reproduire avec la PNH. On ne peut pas laisser des hommes armés avec autant de frustrations, avertit Billy. Comme bon nombre de ses confrères, il estime que la PNH ne lui permettra jamais de s’offrir le minium qu’il espère dans sa vie. Pour lui, aujourd’hui la Police n’est qu’un tremplin. Il cherche la meilleure occasion pour la quitter. Au-delà des salaires de misère, l’institution refuse d’aborder la question des avantages sociaux à accorder aux policiers qui n’ont pas accès au crédit et ne sont pas couverts par une bonne assurance.

Billy déplore la mainmise de l’ambassade des Etats-Unis sur la PNH. Depuis l’inscription, la feuille d’examen est pourvue par les Etats-Unis. La carte de débit des policiers est financée par l’USAID. C’est la pression des Etats-Unis qui assure paradoxalement un minimum de résultats de la part de l’institution. Il croit toutefois que la PNH est l’une des institutions publiques les moins corrompues en Haïti.« C’est la seule institution publique dont l’entrée est sujette à un vetting et l’inspection générale contrôle généralement les cas d’abus de policiers. « Vous remarquerez que les nouveaux policiers sont différents des anciens. Aujourd’hui, il y a plus de policiers académiquement mieux instruits au sein de l’institution. Ils sont moralement plus responsables. Il se dégage ainsi un autre esprit », souligne t-il en guise d’espoir.

Nous habitons les mêmes quartiers que les bandits alors que les hauts gradés vivent loin de cette réalité.

Les policiers qui sont là pour assurer la sécurité ne se sentent pas eux-mêmes en sécurité. Ils habitent les mêmes « ghettos » où vivent les grands bandits avec qui ils doivent coopérer pour protéger leurs familles. Souvent, les bandits qu’ils appréhendent sont libérés rapidement par la justice, ce qui compromet leur sécurité.

Pour Billy, il faut absolument réviser la loi cadre de la PNH qui infantilise les agents les moins gradés. C’est un point très important car, c’est la source de grandes frustrations au sein des unités et des commissariats. En 2020, la Police Nationale d’Haïti va célébrer ses vingt-cinq ans d’existence. Billy crois qu’il faut agiter le débat sur la retraite des vieux policiers afin de faire de la place aux jeunes policiers.

 

Propos recueillis par Ralph Thomassaint Joseph

Directeur de la Publication à AyiboPost, passionné de documentaire.

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