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Les massacres sont «une arme politique» pour l’administration Tèt Kale selon Pierre Esperance

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 Le 4 novembre dernier, le quartier de Bel-Air a été pris d’assaut par des gangs armés provoquant le massacre de 15 personnes selon un rapport du Réseau national de Défense des Droits de l’Homme (RNDDH). Depuis l’arrivée de Jovenel Moïse au pouvoir, les tueries de masse se multiplient impliquant, selon plusieurs rapports, des commis de l’État sans que des suites judiciaires soient données

Jérôme Jean-Baptiste, 39 ans, a vécu toute sa vie au Bel-Air. Il a été témoin de plusieurs situations de tensions entre gangs armés. Après 6 années de calme fragile, le quartier vit actuellement sous une psychose de peur provoquée par une guerre déclenchée le 4 novembre dernier par les gangs Krache Dife, dirigé par Robenson alias Ti Chèf, Nan Chabon dirigé par Ti Junior et le gang de Jimmy Chérizier alias Barbecue.

« Il était environ 9 heures du matin lorsque plusieurs membres de ces gangs ont débarqué pour enlever les barricades posées par des habitants du quartier qui réclament le départ de Jovenel Moise au pouvoir », concède-t-il.

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Depuis les émeutes des 6 et 7 juillet 2018 contre l’augmentation du prix des produits pétroliers, Bel-Air participe massivement aux différents mouvements de protestation contre le pouvoir en place.

Des habitants de la zone les ont attaqués « à coups de pierres et de bouteilles de verres » pour les empêcher dans leur corvée. « Sur leur trajet, ils ont également croisé une patrouille de la Brigade d’Opération et d’Intervention départementale (BOID) qui les ont repoussés », poursuit Jean-Baptiste.

La riposte ne s’est pas fait attendre

Mois d’une heure plus tard, explique Jean-Baptiste, une soixantaine d’hommes lourdement armés est revenu sur les lieux. « Ils ont incendié des véhicules à la rue Saint-Joseph, à la rue Mayard, à la rue des Fronts Forts, à la rue Macajou et à la rue Monseigneur Guilloux », affirme le père de famille qui dit craindre un massacre semblable à celui de La Saline.

Deux personnes, dont une femme, ont été blessées par balles au cours de ces affrontements. « La population soutenue par plusieurs policiers habitant le quartier a encore riposté pour repousser ces bandits. Puis, dans la soirée, ils sont venus attaquer la maison d’un policier dénommé Pachou. Selon les informations la mère de ce dernier, il serait mort calciné puisque les bandits ont incendié la maison. »

La peur au ventre 

Selon un rapport publié par le RNDDH qui dénonce ces actes de violence, « au moins quinze (15) personnes ont été assassinées, plusieurs autres ont été blessées par balles. 11 véhicules roulants et plus de 21 maisons ont été incendiés, 2 transformateurs ont été endommagés. »       

Mackenson Pierrissaint vit au Bel-Air depuis 33 ans. Son récit ne diffère pas de celui de Jean-Baptiste. Il affirme que les riverains du Bel-Air vivent actuellement avec la peur au ventre. « Le marché et la gare à la rue Saint-Joseph fonctionnent timidement. Mais, toutes les activités s’arrêtent plus tôt que d’habitude et dès qu’un tir part, tout le monde rentre chez soi », dit-il.

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Pierrissaint et Jean-Baptiste s’attendent prochainement à un retour des tensions dans la zone. « Depuis quelque temps, plusieurs véhicules aux vitres teintées traversent la rue du Centre pour apporter des munitions au gang Krache Dife », affirme Jean-Baptiste qui révèle que son fils de 14 ans a quitté le quartier à cause des violences.

Jusqu’à présent, la Police nationale n’a apporté aucun soutien aux habitants qui quittent massivement le quartier. « Seuls les policiers qui habitent le secteur sont restés pour le défendre alors que la base de l’UDMO se trouve à une centaine de mètres », déplore Jean-Baptiste.  

4 massacres en 2 ans de mandat

Le 13 novembre 2018, pas moins de 8 personnes ont été tuées à Grand Ravine, plus précisément au local du Collège Maranatha, lors d’une opération de la Police nationale suscitant des controverses.

Le rapport de la PNH a fait état de deux policiers tués et 4 autres blessés pendant le raid. Le pasteur Armand Louis, directeur du Collège Maranatha, a été accusé par ledit rapport pour avoir induit le commando en erreur. Le pasteur sera ensuite emprisonné au Pénitencier national pendant plusieurs semaines.

Jovenel Moïse, ce même 13 novembre, publie un tweet dans lequel il dit être « profondément touché par l’assassinat de deux agents de la PNH à Grand-Ravine dans le cadre d’une opération policière ». Il en profite pour transmettre ses profondes sympathies à leurs familles.

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Plus tard, le Premier ministre et chef du CSPN d’alors, Jack Guy Lafontant utilisera lui aussi le réseau à l’oiseau bleu pour présenter « ses profondes sympathies » et ses « sincères condoléances aux familles des policiers victimes lors d’une opération policière. »

Mais peu après, les témoignages des habitants de Martissant, témoins et victimes, des images circulant sur les réseaux sociaux ainsi qu’un communiqué de l’Union Évangélique Baptiste d’Haïti contredisent progressivement le nombre de victimes établi par les autorités.

En somme, au moins 8 personnes, hommes et femmes, auraient été tuées dans l’enceinte du collège sous les balles de certains policiers qui voulaient venger leurs collègues selon le communiqué de l’UEBH. Quant à l’accusation contre le pasteur, elle aurait été concoctée de toute pièce par les autorités, selon le même communiqué.

La Saline, puis Carrefour Feuilles

Le 17 octobre 2018, plusieurs villes du pays se mobilisent pour une manifestation réclamant à la fois le procès Petrocaribe et le départ du pouvoir en place. Le cortège de Jovenel Moise a « été agressé par des manifestants au Pont-Rouge. »

La charge est portée contre les hommes de La Saline dirigés par « Hervé Bonnet BARTHELEMY alias Bout Jean Jean et Juliot PYRAM alias Kiki, un artiste engagé. » Les rumeurs ont circulé dans le quartier populaire faisant croire que les membres du gang dénommé Nèg Bwadòm préparaient une attaque avant le 18 novembre, une autre date de mobilisation populaire.

Ainsi le 13 novembre 2018, les hommes de Chabon et de Bwadòm aidés par Jimmy Cherizier alias Barbecue prennent le quartier d’assaut. Ils sont renforcés par les hommes d’Olicha venus de Cité Soleil. Gregory Antoine, a.k.a Ti Greg, est aussi soupçonné d’avoir renforcé cette troupe estimée à 200 hommes lourdement armés.

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Les rapports publiés par les différentes institutions de défense des Droits de l’Homme dont l’ONU font état d’une cinquantaine de morts.

Ils accusent également Pierre Richard Duplan, ancien délégué départemental de l’Ouest et Fednel Monchéry, ancien directeur du ministère de l’Intérieur d’avoir été présents durant le massacre. Jusqu’ici, aucune suite judiciaire n’a été engagée contre ces derniers.

Enfin, le 24 avril 2019, 8 personnes dont une femme enceinte ont été tuées à l’impasse Eddy à Carrefour Feuilles sous le feu des projectiles du chef de gang Sony Jean alias Ti Je. Quelques jours plus tard, le chef de gang est tué à Delmas 83 par des membres de la Police sans avoir témoigné devant la Justice.

« Mater le mouvement »

Les rapports publiés par l’ONU et les différentes institutions des Droits de l’Homme accusent certains éléments de l’administration Tèt Kale qui auraient pris part au massacre de la Saline. Pourtant le président de la République et les autres membres du pouvoir restent indifférents.

Mackenson Pierrissaint affirme clairement que ces massacres de masse sont organisés « par le gouvernement pour mater le mouvement de protestation dans les quartiers populaires. »

« Tous les massacres commis sous l’administration Tèt Kale sont des massacres d’État », selon Pierre Espérance. Pour le militant des Droits de l’Homme qui affirme que les quartiers populaires représentent des « foyers de résistance », ces massacres sont une arme politique pour le pouvoir actuel.

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À chaque fois, selon Pierre Espérance, l’administration Tèt Kale utilise Jimmy Cherizier (Barbecue) pour opérer ces massacres.

« Le pouvoir a peut-être perdu le contrôle du territoire, mais ils contrôlent toujours Barbecue », croit le militant. Pierre Espérance ajoute que l’administration dirigée par Jovenel Moise a déjà réalisé plus de 4 massacres.

Jérôme Jean-Baptiste et Mackenson Pierrissaint sont des noms d’emprunt utilisés pour protéger les personnes interviewés.

Journaliste et communicateur

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