J’ai été témoin hier soir d’une vive discussion dans un bus « Ray » assurant le trajet Portail-Léogane/Mariani au niveau de la commune de Carrefour. De quoi s’agit-il exactement ?
Comme tous les après-midis, entre 3h et 5h pour ceux qui ont l’habitude de fréquenter la station de Portail-Léogane, c’est une véritable marée humaine qui fait la queue pour se rendre à la commune de Carrefour. Donc, la demande devient abondante et l’offre ne suit pas forcément. Certaines fois, c’est en pleine pagaille que les passagers parviennent à franchir la porte pour monter l’autobus. Une fois à l’intérieur, c’est une catastrophe de voir comment les gens sont assis. Là où il y a des sièges destinés à deux passagers, on vous dit que trois personnes doivent s’y installer, indépendamment de leur corpulence en plus. Les espaces libres entre les sièges pour la libre circulation dans l’autobus sont eux aussi occupés…
Quelques minutes après que le bus ait démarré, un homme, lassé par la situation élève la voix et dit : « Mezanmi o, li pa nòmal non pou nou okipe riyè l yo, se pou pasaj yo ye wi ». Le type n’a même pas encore fermé sa bouche qu’une autre voix répond « Oooh, mouche sa se premye fwa lap pran machin ». Le monsieur de répliquer « Bon mezanmi si gen yon aksidan, se nou tout wi kap mouri ». Une femme reprend dans un grand éclat de rire « Hehey, sa l ye la a ? Mesye si w bezwen alèz se machin ou wi pou w achte ». L’homme commence à monter le ton et argumente « se sa k fè nou te mouri konsa nan 12 janvye a wi, nou pap respekte nòm yo ».
À ce moment-ci, certains passagers qui étaient silencieux jusqu’ici, rejoignent le débat avec fracas : « Mouche sa fou, de ki nòm l ap pale la ? Epa Ayiti w ap viv, e nòm ki te fè w pa t mouri ? Di Bondye sove w ! ». Et quelqu’un d’autre reprend sur un ton ironique « Li pa fou non, li sou. Li gèlè pran nan kleren frelate. Yon plas la moun chita ladann epi lap vin pale moun de riyèl, de nòm, mesye pran tèt ou tande ! ». Tout le monde se mit à rire comme dans une salle de théâtre, pardon, ou plutôt,comme après avoir regardé une séance de débat parlementaire télédiffusée.
Le monsieur qui proposait de ne pas s’asseoir dans les espaces vides de l’autobus, ce qui, au demeurant, représente un véritable danger en cas d’accident, était passé aux yeux de la majorité des passagers pour un véritable bouffon, un humanoïde étrange venu directement de Mars.
On retrouve donc chez les Haïtiens une sorte de résignation à vivre comme les animaux. Et encore, car dans certains pays les animaux sont traités avec respect. On est conscient que le système de transport subit l’influence de l’état général des choses dans le pays. On ne peut se targuer de prendre l’autobus à Port-au-Prince comme on le fait dans les grandes villes du monde. Par contre, c’est l’acceptation d’une telle situation qui est surprenante.
Le psychologue Jean Piaget définit l’intelligence comme le prolongement sur le plan mental de l’adaptation organique. L’intelligence humaine résulte, selon lui, de l’application des lois biologiques. Tout individu est doté d’une structure interne qui tend à s’adapter au milieu environnant. Ainsi, la capacité d’adaptation au milieu est fondamentale pour notre survie. Cependant, on peut toujours trouver un moyen de s’adapter à un environnement tout en luttant pour l’amélioration des conditions de vie.
Malheureusement, ce que nous observons dans le pays, c’est que la majorité des Haïtiens se résignent et s’accrochent à ce moyen qui permet uniquement de survivre et qu’ils ont tendance à prendre comme l’idéal. Ainsi, quand quelqu’un exprime son indignation par rapport à une situation infrahumaine, voire déshumanisante dans laquelle on évolue, la première réponse qu’on lui donne c’est « Nan ki peyi ou panse ou ye la ? ». Il est grand temps que ce pays ne soit plus synonyme de médiocrité et nous avons chacun notre mot à dire !
Duverson DOMINIQUE
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