André Marie Pyram libère régulièrement des individus soupçonnés de faits graves. Récemment, il a emprisonné la mère d’un enfant qui se plaignait du non-paiement d’une pension alimentaire. La dame a été gardée à vue avec son bébé alors que le commissaire avait relâché le père irresponsable
Marie Samuelle Aristide quitte Beaumont pour se rendre au bureau du commissaire du Gouvernement près le tribunal de Première instance de Jérémie, André Marie Pyram, le lundi 29 mars 2021. Aristide qui a un bébé de trois ans sur les bras souhaite obliger son ex-mari récalcitrant, Mesnel Louis, à lui verser une pension alimentaire décidée par la justice de Jérémie depuis avril 2019.
En effet, le samedi 27 mars, Mesnel Louis se faisait arrêter pour une dette de 20 mois de pension alimentaire non versée en faveur de son bébé. Deux jours plus tard, le père irresponsable a été déféré par-devant le parquet de Pyram.
Mais lorsque Marie Samuelle Aristide arrive au parquet de Jérémie, Mesnel Louis est déjà libéré par le commissaire du gouvernement André Marie Pyram qui entretient des relations d’amitié avec l’accusé, dénonce l’avocat de la dame, Roosevelt Charles.
Une décision illégale
Cette remise en liberté viole le décret du 14 septembre 1983 qui interdit de libérer provisoirement un parent irresponsable, sans qu’il ait payé toute la pension due, rappelle Gérald Guillaume de l’Initiative départementale contre la Traite et le Trafic des Enfants (IDETTE).
Contacté, le commissaire André-Marie Pyram explique : « On m’a emmené un homme arrêté pour la deuxième fois sur la base d’un mandat émis depuis 2019 par un juge qui n’est pas en fonction aujourd’hui. Le pire est que l’homme a été déjà arrêté en août 2019 sur la base de ce même mandat. En apprenant que les parents de l’accusé ont eu un terrible accident de circulation, j’ai décidé de le remettre en liberté afin qu’il puisse prendre soin de ses parents et revenir le lendemain ».
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Marie Samuelle Aristide a ainsi été accusée d’outrage à la magistrature, pour avoir verbalement contesté la décision du commissaire du gouvernement. Cette témérité lui a valu quelques heures en garde à vue avec son bébé, s’indigne son avocat qui lui aussi a failli faire les frais du courroux du commissaire du Gouvernement qui menaçait de l’envoyer en prison.
Pourtant, mettre un bébé en garde à vue est une violation de l’article 2 de la Convention internationale des Droits de l’enfant, souligne Gérald Guillaume. Il explique que le commissaire n’a pas agi dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
Quant à André Marie Pyram, il assure n’avoir jamais ordonné de mettre l’enfant en détention, et que ceci a été une décision de la mère, qui s’est fait accompagner de son bébé en garde à vue.
Des antécédents
Ce n’est pas la seule fois que ce commissaire du Gouvernement se trouve impliqué dans des décisions discutables, contraires aux lois, surtout quand il s’agit de questions liées aux femmes et aux filles.
Par exemple, Luckner Antoine, un agent de sécurité de l’hôpital Saint Antoine de Jérémie, a été libéré une semaine après son arrestation pour viol. Il aurait commis cet acte au mois de juin 2020 sur une mineure de quatorze ans qui se trouvait à l’hôpital pour prendre soin de sa mère. Luckner Antoine aurait été libéré grâce à ses liens familiaux avec le commissaire du Gouvernement André Marie Pyram.
Mais c’est dans le département de la Grande-Anse en général que les agressions contre les femmes restent impunies.
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En juillet 2019, le pasteur Onel Petit, accusé de viol sur une mineure de 14 ans a été libéré par le juge Jean-Baptiste Louis-Jean. Pourtant, le résultat d’un test d’ADN attestait que le pasteur est le père du bébé de cette fillette tombée enceinte.
En 2019, Marc Ely Maccee a violé sa belle-fille de quatorze ans dans la commune de Chambellan. Il est arrêté le quinze décembre 2019. Cependant, après seulement sept mois de prison, le juge Joseph Calas Makel a décidé de le remettre en liberté le 6 avril 2020.
À Anse d’Hainault, Cam Wonslo a lui aussi violé une jeune fille de seize ans. Il a été libéré par le juge Bergemane Sylvain après un réquisitoire du même commissaire Joseph Calas Makel.
Autre cas flagrant, Ronaldo Marcelin a été arrêté pour viol sur une mineure de 12 ans. Il a été relâché le 24 mars 2020 par le juge François Finey.
La victime devient bourreau
Selon le décret du 14 septembre 1983 sur la pension alimentaire, après deux mois de non-versement de la pension, le parent irresponsable peut être poursuivi en justice. C’est ce qui était déjà arrivé à Mesnel Louis en août 2019.
En effet, astreint depuis le mois d’avril 2019 à verser une pension alimentaire mensuelle de 6 000 gourdes, Mesnel Louis s’est montré indifférent jusqu’à ce que le commissaire du Gouvernement d’alors, Bergemane Sylvain, l’appréhende.
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L’homme a payé les trois premiers mois de la pension, pour recouvrer sa liberté. Une fois sorti de prison, ce père irresponsable a gagné le maquis pour ne réapparaître que dix-neuf mois plus tard, en se faisant arrêter pour la même cause.
Selon le responsable de l’IDETTE, le comportement du commissaire André Marie Pyram qui a préféré relâcher le bourreau pour emprisonner la victime et son bébé est le résultat d’un problème plus large : « Les acteurs judiciaires dans la Grande-Anse n’acceptent pas encore que les Droits de la femme et ceux des enfants font partie des Droits humains », dit-il.
Aucune sanction
Une source proche du Conseil Supérieur du pouvoir judiciaire, contactée par AyiboPost, rappelle que l’institution enquête en général sur tout magistrat faisant l’objet de dénonciation dans la presse, ou dénoncé par la clameur publique.
Pourtant, à part Jean Baptiste Louis-Jean, aucun des magistrats de ce département n’a été sanctionné.
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Si le CSPJ se montre clément envers les juges de la Grande-Anse, placés sous son contrôle, les cas impliquant des commissaires du Gouvernement travaillant sous la tutelle du ministère de la Justice restent aussi bien impunis, selon Camille Occius, responsable de l’Organisation des citoyens pour une nouvelle Haïti.
Il dit avoir écrit au ministère de la Justice pour attirer son attention sur les actes du commissaire André Marie Pyram, mais il est sceptique quant au succès de son action. Ainsi, Camille Occius invite l’Office de protection du citoyen à se pencher sur les actes de ce commissaire.
AyiboPost a vainement tenté de joindre le ministre de la Justice, Rockefeller Vincent.
Samuel Celiné
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