La classe moyenne haïtienne existe-elle? La réponse à cette question est simple : non. Le mieux donc, pour vous chers lecteurs, serait de passer à autre chose de plus utile que de lire ce billet qui ne tentera de citer des évidences que seuls les hologrammes de la classe moyenne haïtienne n’arrivent pas à voir. Néanmoins, puisque la conjoncture actuelle du pays impose un « lock down », je suppose que vous n’avez pas non plus grand chose à foutre de votre journée, donc vous êtes invités à perdre de votre temps avec moi.
Si vous possédez un smartphone ou un laptop avec une connexion internet, que vous disposez d’énergie pour surfer en ligne sur les différents réseaux sociaux tels Facebook, Whatsapp, Twitter ou Instagram, il y a de fortes chances que vous croyez faire partie de la classe moyenne. Je suis désolé de vous l’annoncer, mais ce groupe, cette équipe, cette classe n’existe pas: Vous n’existez pas! Cette classe sociale n’existe pas, et ce pour plusieurs raisons, dont trois me paraissent évidentes:
D’abord « la classe moyenne » est ici- bas un espace de transition ou de refuge. Ceux qui pensent en faire partie et qui le clament haut et fort, font en général partie du prolétariat. Bien que la notion de classe ne soit pas qu’économique ou financière, si l’on s’appuie sur ces critères, la classe dite « moyenne » en Haïti se confond au prolétariat. Le pouvoir d’achat ou le niveau de vie des individus de cette soi-disant classe moyenne, ne dépasse pas celui d’un ouvrier en Amérique du Sud. Ces gens qui s’identifient comme appartenant à la classe moyenne se leurrent d’appartenir à l’Atlantide des strates sociaux-économiques haïtienne, un espace qui ne prend forme que dans leur imaginaire.
Puis, vient la minorité “zwit “qui présente les caractéristiques sociaux-économiques d’une véritable classe moyenne. Mais, ces derniers se laissent prendre au piège, agréable certes, de se croire “bourgeois”. En général, professionnel ou petit entrepreneur, le système de crédit leur laisse à peine assez de marges pour soigner leur paraître, se mentir, mentir à leur petite clique et se faire passer pour des “bourgeois”. Le prérequis est assez simple : disposer d’un salaire permettant d’obtenir un prêt automobile qui représente jusqu’à trois cinquième dudit salaire. Tout par et pour l’automobile; elle est le principal indicateur matériel qui permet l’accession à un certain entourage et certaines fréquentations. Il devient dès lors possible de côtoyer les familles X, Y ou Z (vous les connaissez). Bien sûr, si la nature vous a gratifié d’une dose de mélanine réduite, vos chances d’accession à cette « sous-classe » à demi-bourgeoise sont automatiquement quintuplées. Pour accepter une telle gymnastique sociale il faut se désintellectualiser, réduire son existence aux choses futiles et être esclave du regard des autres. Ce processus nous amène à la troisième des évidences: une masse hétérogène totalement dépolitisée.
Lorsque le statut social d’un individu est déterminé par le type de voiture que l’on possède et par son réseau et ses liens privilégiés avec les familles X, Y ou Z, il est nécessaire sinon primordial pour cet être de s’auto-désintellectualiser aux fins de s’approprier cette réalité fictive. Un citoyen ou un groupe qui en est réduit à cela, est automatiquement dépolitisé. Il n’a plus d’intérêt en accord à sa vraie réalité et ses besoins réels, car il doit prétendre avoir les mêmes que ceux qui font vraiment partie de la bourgeoisie. Il n’existe pas au niveau politique parce que, pour protéger sa place dans l’espace virtuel de cette fausse petite bourgeoisie, il doit défendre des intérêts à des années lumières de sa réalité. Le processus est à peu près similaire pour ceux du prolétariat qui se veulent de la « classe moyenne ». Ils se désolidarisent des revendications du peuple parce qu’il faut respecter les codes et l’étiquette de cette classe moyenne illusoire. D’où ce malaise face aux mouvements populaires qui prennent des formes parfois violentes ou barbares, eut égard aux caractères prudes de cette « classe moyenne ». Pourtant, dans les revendications du peuple qui gagnent les rues, cette classe qui se dit moyenne, reconnait ses propres doléances et, ses problèmes quotidiens. Ce groupe de prolétaires refoulés savent qu’une révocation, ou le refus d’une tante de la diaspora de payer le loyer ou la scolarité de Cédric, suffisent à le faire basculer dans cette pauvreté extrême qui pousse le peuple à gagner les rues. Leur répulsion de la masse populaire qui se révolte, vient du fait qu’il sait qu’il n’est qu’à un cheveu d’elle.
Les faux bourgeois voient en ce peuple une menace aux biens qui ne sont pas encore leur, mais qui seront à leurs enfants ou petits-enfants s’ils se casent bien. Ces mécanismes se font dans l’inconscient de cette « sous-classe » qui, a totalement failli à son rôle d’élite, et, est incapable de s’auto-analyser et de comprendre ou de prendre conscience de ses comportements malsains. À cet espace socio-économique virtuel, ils resteront attachés jusqu’au sur-endettement. Et tout juste avant la faillite, ils partiront vers la Floride ou le Canada , vivre dans les souliers de gens de la classe moyenne ou tout simplement s’assumer comme d’insignifiants prolétaires.
Pour comprendre la vision étriquée de cette classe moyenne virtuelle, il faut d’abord accepter qu’elle n’existe pas. Elle est le produit de notre imaginaire collectif, fertile. Essayer de comprendre une entité qui n’existe pas est un exercice difficile, voire impossible. Cependant, comme vous avez pris votre courage à deux mains et supporté jusque-là ma vision manichéenne, dépourvue de nuance et surement irritante, je partage avec vous une formule secrète de la physique quantique haïtienne qui a permis de cerner la réalité de cette classe fictive: aparans + blòf = rezistans
Jétry Dumont
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