Conduire dans mon pays n’est pas qu’une affaire de déplacement. C’est de l’acrobatie mobile. Mon pays, Haïti, est une jungle quasi déclarée où chacun fait selon son bon vouloir sans égard pour la personne à côté, sans même penser aux conséquences possibles non seulement pour soi, mais pour l’autre, à court et/ou à long terme. Conduire en Haïti, c’est comme monter sur un ring de boxe avec en face non pas un, mais une multitude d’adversaires de natures différentes.
Afin de vous aider à mieux comprendre, ci-après vous trouverez une présentation incomplète de ces phénomènes extraordinaires rencontrés dans l’arène que représente la circulation routière.
Adversaire #1 – Les chauffeurs ou plutôt les chauffards. Oui, je sais ! C’est plutôt vaste comme appellation. Mais vous allez saisir tout de suite pourquoi cette généralité et ce qu’elle renferme.
Cette catégorie, comme le nom l’indique, implique toute personne se trouvant derrière un volant par le fruit du hasard. Eh oui ! Il existe de ces veinards qui par un miracle de l’existence se retrouve capitaine d’un 4×4 voguant sur la mer houleuse des rues de Port-au-Prince. Ils sont relativement faciles à identifier : conduite maladroite, clignotant gauche allumé pour tourner à droite, piétions en danger de déplacement, car il semblerait qu’ils aient un tic pour rouler quasiment à même le trottoir, main coincée sur le klaxon parce qu’il faut en plus qu’ils attirent l’attention et prouvent leur habilité de musicien en appuyant sur l’avertisseur à tout bout de champ même pour laisser traverser un chien.
Adversaire #2 – Passons à présent aux choses un peu plus sérieuses. Les chauffeurs de camionnettes. Pour les non encore habitués à la vie haïtienne, cette catégorie renferme ceux de qui dépend la vie de tout piéton. Ils se caractérisent notamment par les singularités suivantes :
― véhicule en mauvais état laissant dégager des nuages aussi noirs que puants à chaque petit coup d’accélérateur ;
― obstruction de la circulation pour laisser monter ou descendre des passagers en coup de vent, risquant ainsi de les jeter sur la chaussée ;
― aptitude à s’infiltrer dans tout petit espace entre deux autres véhicules même si cet espace est trop « petit » pour absorber leur dimension ;
― impatience chronique dans les embouteillages causant encore plus d’embouteillages
― tendance atroce à se frotter à d’autres véhicules pour leur laisser les petits baisers d’amour provoqués par leurs pare-chocs en fer monté.
Adversaire #3 – Ce dernier est apparu il y a quelques années et prend de l’envergure dans l’arène. Il fait trembler plus d’un et en a envoyé pas mal à l’hôpital ou à la morgue. Les motards. Attention ! Il faut vraiment faire preuve de retenue pour contenir l’envie dévorante de leur foncer dessus en prétextant être aveugle. Ils s’infiltrent partout, mais vraiment partout : entre les véhicules, sur les trottoirs, près des trous d’échappement, en sens contraire, dans les petites « lunettes » (petit espace à peine visible et quasi non existant dans les embouteillages) ! Encore un peu et ils s’accrocheront un jour aux vitres des véhicules ou même vous grimperont tout bonnement dans leur constant élan d’aller plus vite. Leur mot d’ordre semble être « jouer aux fous du volant ».
Adversaire #4 – Les habitués les attendaient ceux-là. Les véhicules ayant la fameuse plaque « Officielle ». Ces fameux…. Ils se passent de présentation, mais essayons quand même ! Toujours pressés, gyrophare bloqué, ils écrasent tout et tous sur leur passage. Vous ne pouvez les rater !
Adversaire #5 – Les « Ti Joèl » ou pour les non-initiés, ceux qui traversent les rues comme des bambins courant en plein champ de blé. Vous voyez le genre ? Alors gardez le pied le plus près possible des freins pour ne point être victime d’attaque cardiaque au cas où surgirait sur votre route un petit chevreau de campagne.
Adversaire #6 – Erreur cruciale que d’oublier les chauffeurs de bus ! Dans les pays développés l’on trouve des TGV, mais en Haïti, on trouve des BGV, bus à grande vitesse. Les freins semblent ne pas exister pour ceux-là. Ils sont une fusion parfaite des adversaires 1, 2 et 3. Vous êtes maintenant édifiés ! Alors, à bon entendeur….
Adversaire #7 – Comment oser oublier les « Super Piétons » qui, au contraire des « Ti Joèl », se prennent pour des véhicules sur pattes, s’estimant de la lignée de « Bob l’Éponge » pouvant donc reprendre forme si jamais ils seraient heurtés par un véhicule en marche. Ils sont d’ailleurs les premiers à monter sur leurs grands chevaux, lançant des phrases du genre « ou kwè ou tap ka jere konpa sa a » ou encore « se pouw te frape m pou wè ! Ou t ap oblije vann tèt ou pou w jere dosye sa a ». Comme l’a mentionné quelqu’un, ces discours ne valent pas leur pesant d’or quand on est mort.
Choisissons une figure locale et faisons de l’humour : ils se prennent pour des natifs de Côtes de Fer, ayant des côtes en fer, donc ne pouvant être affectés par quelque chose d’aussi ridicule qu’un véhicule à moteur pesant vingt fois plus lourds que leur petite personne. Mais bon ! La logique n’étant pas donnée à tous, prenez les mesures qu’il faut.
Adversaire #8 – Le Tout-permis. C’est un adversaire de taille celui-là : celui qui a un nom, de l’argent et une grosse voiture. La courtoisie pour lui n’est que faiblesse et l’apanage des moins fortunés. Il s’attend à ce qu’on le laisse toujours passer, sans un signe de remerciement. Il a aussi le droit de se comporter comme l’adversaire #2… Il est tellement important qu’il ne peut pas attendre…
Il existe certes de ces autres adversaires non répertoriés ici. Nous ne prétendons guère à une présentation exhaustive, car cela exigerait un niveau d’expertise que nous ne possédons pas encore. Nous espérons cependant que ce petit registre vous aidera à vous retrouver et à vous sentir moins bête et perdu si jamais l’envie vous prenait un jour de surfer au volant dans les rues de Port-au-Prince.
MOTION
Une petite motion particulièrement pour les dames. Étant moi-même une femme, croyez bien que je ne saurais être sexiste. Mais je dois absolument souligner le point ci-après : un air jeune et un visage d’ange ne vous épargneront pas de la brutalité gratuite de certains conducteurs. Bien au contraire! Il vous faudra des fois vous faire pousser des couilles comme on dit pour faire face à la tempête des rues.
Et voilà ! Tout est dit, ou presque. Alors, si vous ne pouvez pas vous armer de courage, d’une bonne dose d’audace et de nerfs d’acier, un conseil, évitez le volant ! Vous vous épargnerez bien des soucis et des angoisses inutiles.
Shedlie P. Montfort
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