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Fraudes électorales, abus sexuel… scandales à l’église épiscopale d’Haïti

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Des documents confidentiels obtenus par AyiboPost mettent en lumière une église rongée par un conflit larvé où intrigues et coups bas sont dignes d’une série Netflix

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L’énorme scandale de trafic d’armes ayant éclaboussé la réputation de l’église épiscopale en juillet dernier prolonge et accélère un violent conflit interne mettant aux prises des hommes de Dieu. Ces derniers sont parfois accusés de crimes graves, selon des correspondances confidentielles obtenues exclusivement par AyiboPost et des entrevues réalisées avec quatre acteurs impliqués et proches de l’affaire.

Les hostilités éclatent ouvertement en 2018. Entre mars et juin de cette année, l’église devait élire un évêque pour remplacer Mgr. Jean Zachée Duracin qui partait à la retraite l’année d’après.

À la différence de l’Église catholique dirigée par un pape, l’église épiscopale se trouve administrée par l’ensemble des évêques. Localement, l’évêque détient des pouvoirs immenses allant de l’ordination de prêtres au contrôle des différentes dépenses.

Les hostilités éclatent ouvertement en 2018.

De graves soupçons de fraudes ont déraillé le processus électoral. Depuis, l’église épiscopale en Haïti n’a pas d’évêque. C’est le comité permanent qui prend presque toutes les décisions spirituelles et administratives depuis la retraite du Mgr. Jean Zachée Duracin.

Ce comité, présidé en 2022 par le père Vil, consacre la mainmise d’un groupe dénommé « G-Holly » dans les affaires de l’église. Cette coalition politique puissante affronte le regroupement dissident appelé « Groupe-24 ». Ce regroupement est composé de 24 prêtres en fonction et attachés aux valeurs morales et éthiques. Aucun partisan du Groupe-24 ne siège au comité permanent.

Depuis, l’église épiscopale en Haïti n’a pas d’évêque.

G-Holly se trouve aujourd’hui dans la tourmente. À partir du 14 juillet 2022, le groupe fait face à des accusations de trafic illicite lorsque 18 armes de guerre, 4 pistolets de calibre 9 millimètres, 14 646 cartouches, 140 chargeurs, un viseur et 50 000 dollars américains en faux billets ont été découverts dans des containers provenant des États-Unis, envoyés au nom de l’Église épiscopale. L’institution dénonce toute utilisation frauduleuse de sa franchise douanière dans le cadre de cette affaire.

Ce n’est pas tout, cependant.

Le Père Jean Mardoché Vil, actuel président du Comité permanent, a vu sa candidature rejetée pour le poste d’évêque en 2017 à cause d’accusations d’abus sexuel.

Selon une correspondance confidentielle du Groupe-24 signée par le prêtre Jean Joël Racine obtenue par AyiboPost et adressée aux autorités hiérarchiques épiscopales américaines, le père Jean Mardoché Vil n’a pas pu se porter candidat pour le poste d’évêque en 2017 à cause des révélations d’une enquête interne.

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Cette enquête a montré que le père Vil a « sexuellement et physiquement abusée » une jeune femme qui était également membre de sa paroisse à l’église de l’Épiphanie, place Carl-Brouard, à Port-au-Prince. « Ce serait un affront à la société laïque et à notre branche du Mouvement de Jésus si le Père Jean Mardoché Vil, un présumé agresseur sexuel et abuseur, était président de l’organe ecclésiastique de notre diocèse. Les actions du comité permanent démontrent clairement que nous avons un besoin urgent de soins pastoraux et de leadership dans le diocèse épiscopal d’Haïti », peut-on lire dans la lettre.

Ces mises en garde n’empêcheront pas le père Jean Mardoché Vil de devenir président du comité au début de l’année 2022. Ce poste le place comme leader de facto de l’institution en l’absence d’un évêque élu. Or, il n’a pas pu se présenter à l’élection pour ce même poste il y a cinq ans.

De plus, l’actuel président du comité permanent aurait déjà été tenu en flagrance en train de truquer une tour d’élection de l’église un an après le tremblement de terre, alors qu’il était membre du comité de dépouillement, selon une note de contestation datée du 7 septembre 2017 signée par une vingtaine de prêtres, et transférée aux membres du Comité de sélection/nomination de l’Église épiscopale. Une source proche du conflit a communiqué la lettre à AyiboPost.

« Le 25 novembre 2011, alors que le Révérend Mardoché était membre du comité de dépouillement des bulletins de vote lors des élections épiscopales, il a volé plus de dix bulletins de vote lors du dépouillement afin d’invalider un tour d’élection, lit-on dans la correspondance. N’eût été l’intervention du secrétaire du synode de l’époque et d’un membre du conseil électoral de l’époque, qui ont dû le forcer à rendre les bulletins, il aurait fait échouer ce processus électoral. »

L’église épiscopale semble attirer les scandales publics. En 2019, un journaliste affirmait publiquement détenir des images de natures sexuelles de l’ancien président du comité permanent, le père Fritz Désiré.

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Des leaders de l’église ont alors adressé une correspondance à Désiré. « Ces allégations assez sérieuses sont troublantes et méritent que lumière soit faite sur elles », ont écrit les prêtres. « En votre qualité de président du Comité permanent et en même temps directeur de l’une des institutions d’enseignement les plus prestigieuses du Diocèse, continue la lettre, ces allégations sont de nature à nuire à l’image d’une église qui ne s’est pas encore remise des turbulences et des irrégularités d’une période électorale. »

Une source proche de l’église requérant l’anonymat révèle à AyiboPost que le père Fritz Désiré, ancien président du comité permanent, et le père Jean Mardoché Vil sont de très proches amis. Ces deux individus sont recherchés par la police nationale d’Haïti dans le cadre de l’enquête sur le trafic des armes. Les tentatives pour les interviewer n’ont pas abouties.

Aujourd’hui, les linges sales de l’église s’offrent à la vue du grand public. Une bataille interne féroce s’engage principalement par le Groupe-24 pour remettre l’institution sur les rails de la normalité et de la spiritualité.

Le clan G-Holly tient les rênes, pour le moment. Dans un entretien avec AyiboPost, le père Jean Jacques Déravil fait remarquer qu’aucun membre du G-24 n’a encore jamais intégré le comité permanent quoique celui-ci se renouvelle chaque année d’un tiers de ses membres lors d’une grande rencontre annuelle. Le prélat qui parle en son nom propre reste persuadé qu’il ne s’agit pas d’un simple hasard, mais plutôt de la réussite des manœuvres subreptices dudit comité verrouillé par G-Holly.

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Cette remarque est d’ailleurs présente dans une lettre adressée par le père retraité Jean Joël Racine au leadership de l’église aux États-Unis.

« Depuis l’ordination historique et sans précédent de 35 diacres dans le diocèse de l’Église épiscopale d’Haïti en novembre 2016 — quatre mois avant l’élection épiscopale avortée de mai 2017 — le synode diocésain a été contrôlé par un groupe fidèle à la cause de l’évêque diocésain d’alors [Jean Zachée Duracin]. Ce groupe détient, jusqu’à aujourd’hui, la majorité des voix du côté du clergé et des laïcs. Cette majorité a une fois de plus montré à quel point le diocèse patauge dans l’immoralité et le non-respect des normes éthiques », lit-on dans la lettre obtenue par AyiboPost.

Selon le père Jean Jacques Déravil, prêtre en charge de l’église Saint-Esprit de Lascahobas, membre du Groupe-24, le Comité en place aspire beaucoup plus à l’argent qu’au saint fonctionnement de l’église. Mandaté principalement pour élire un évêque à la tête de l’église depuis quatre ans, ce comité n’a toujours pas accompli cette mission.

Couverture : Des gens prient contre le kidnapping, les troubles politiques et  la misère économique lors d’une messe du 15 avril à Port-au-Prince. Photo : Valérie Baeriswyl / REUTERS

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