D’entrée de jeu, je tiens à préciser que je ne suis pas un fan de la Présidente Dilma ROUSSEFF, je considère que sa gestion a été «médiocre» et que ses politiques économiques n’ont pas été à la hauteur de la première économie d’Amérique latine et encore moins des espérances légitimes des 205 millions de brésiliens. Ceci étant dit, je crois utile d’appeler un chat par son nom. Ce qui est en train d’avoir lieu au Brésil s’apparente à un COUP D’ÉTAT.
Légal certes, mais la procédure de destitution contre ROUSSEFF ressemble fortement à une tentative de «Coup constitutionnel». Je m’explique. La Constitution brésilienne prévoit la destitution du Président, et ce dans des cas précis.
À la troisième section du premier chapitre du titre IV concernant l’organisation des pouvoirs, l’article 51 dispose :
Il appartient exclusivement à la Chambre des Députés :
I – d’autoriser, à la majorité des deux tiers de ses membres, l’ouverture d’une procédure contre le Président, le Vice-président de la République et les ministres d’État ;
Et à la section IV du même chapitre, il y est spécifié à l’article 52 :
Il appartient exclusivement au Sénat fédéral :
I – d’instruire le procès et de juger le Président et le Vice-président de la République dans les cas de crimes de responsabilité et les ministres d’État dans les cas de crimes de même nature qui leur seraient connexes ;
À la troisième section du chapitre II du même titre, les articles 85 et 86 traitent de la responsabilité du Président de la République :
Art. 86. Si l’accusation portée contre le Président de la République est admise par deux tiers de la Chambre des Députés, celui-ci est jugé par le Tribunal fédéral suprême, pour les infractions de droit commun, et par le Sénat fédéral, pour les crimes de responsabilité.
Le Président est suspendu de ses fonctions :
I – dans le cas de délit de droit commun, si la dénonciation ou la plainte est reçue par le Tribunal fédéral suprême ;
II – dans le cas de crime de responsabilité, après l’instauration du procès devant le Sénat fédéral.
Aujourd’hui Madame ROUSSEFF n’est accusée d’aucun délit ou de crime, et personnellement son nom n’apparaît dans aucune affaire de corruption. Ce qui n’est pas le cas de ses adversaires.
En effet, comble de l’ironie, le Vice-président qui est censé être la personne qui devrait succéder à ROUSSEFF est sous enquête pour corruption active liée au scandale PETROBRAS. Il en est de même pour 36 des 65 membres de la commission parlementaire ayant recommandé la destitution de ROUSSEFF. Le Président de la Chambre des députés qui a validé la procédure de destitution de ROUSSEFF a été suspendu cette semaine pour son implication dans des affaires de corruption.
La situation peut être résumée ainsi : «des voleurs de grand acabit demandent la tête de la Présidente du fait que ces derniers “supposent” qu’elle a triché» en maquillant des comptes publics. Tout de même, c’est pousser le bouchon un peu loin.
Ce qui se passe au Brésil n’est rien d’autre que l’utilisation abusive d’un prescrit constitutionnel en vue d’éjecter un Président qu’on n’a pas pu battre lors d’élection démocratique 2 ans auparavant.
Mais comme l’a si bien dit Victor HUGO : «la trahison trahit toujours le traitre… même en croyant bien faire, il se fourvoie lui même ». Cette semaine, coup de théâtre, le nouveau Président de la Chambre des députés annule le vote sur la destitution de ROUSSEFF. Dans l’heure, le Président du Sénat, opposant acharné au pouvoir en place, décide le maintien du vote et la poursuite de la procédure à la Chambre haute qui de son propre avis « sera longue et traumatisante ». Dans la foulée, la Présidente ROUSSEFF annonce porter l’affaire par-devant la Cour Suprême pour demander l’arrêt pur et simple de cette procédure. En résumé, une véritable cacophonie institutionnelle juridico-politique inextricable à la sauce auriverde dans un feuilleton de mauvais goût qui met en valeur la politique dans toute sa laideur et sa corruption.
L’opposition brésilienne assoiffée de pouvoir ne pense qu’à revenir aux affaires et ne se gêne aucunement, en utilisant des artifices juridico-machiavéliques, en vue de parvenir à cette fin. Elle dispose également de sérieux relais au sein de la société, car la presse est très majoritairement de droite. Un seul groupe, O’Globo pour ne pas le citer, contrôle près de 60 % de ce que regardent les Brésiliens et trois des quatre plus importants journaux du pays.
Un petit rappel à mes amis brésiliens : les règles démocratiques sont d’application stricte, les dirigeants sont élus au suffrage universel.
Fernando ESTIME
Politologue, expert en Relations internationales et Directeur de Recherche à la Louverture Institute for Diplomacy and Global Affairs
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