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Ces prisonniers tués par la malnutrition en ce mois de décembre

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Le manque d’accès à une nourriture de qualité empire les conditions de détention

Amadis Molvert, Fréderic Génès, Louicène Louis-Jean et James Thermozier sont les noms de quatre détenus qui sont décédés entre le 13 et 17 décembre 2020, à la prison civile de Jacmel.

Ils étaient accusés de viol, d’assassinat, de tentative d’assassinat et d’enlèvement. L’un d’entre eux était en détention préventive prolongée. Quant aux autres, leurs dossiers étaient en cours d’instruction.

Selon Me Lionel Cherima, commissaire du gouvernement du tribunal de Première instance de Jacmel, ces détenus sont décédés d’une anémie sévère liée à la malnutrition. Me Cherima avance que ce n’est pas la première fois que des détenus décèdent pour ces mêmes causes dans la prison.

Pourtant, le commissaire du gouvernement assure que les prisonniers mangent tous les jours. Mais, a-t-il concédé, la nourriture que procure l’État n’est pas assez nutritive. Pour avoir une diète alimentaire équilibrée, les détenus nécessitent l’apport de leur parent. Or, la juridiction de Jacmel est l’une des plus vastes du pays, selon Me Cherima.  

« Il y a par exemple des gens de la commune d’Aquin qui commettent des crimes à Fonds-des-Nègres, et qui vont être jugés au tribunal de Jacmel. Quand ils vont en prison, ces personnes n’ont aucun proche qui habite à Jacmel pour leur apporter à manger », continue le commissaire du gouvernement.

Avant le Covid-19, des institutions internationales comme Food for the poor faisaient des dons alimentaires au centre carcéral de Jacmel. Mais depuis que la pandémie ravage le monde, ces organisations ont observé une pause dans ces projets.

Un seul plat chaud par jour

Comme dans la prison civile de Jacmel, les détenus qui n’ont aucun proche pour leur apporter à manger dans la prison civile de Port-au-Prince souffrent énormément. Un détenu a avoué qu’il a l’habitude de rester affamé pendant plusieurs jours, parce qu’il ne parvient pas à manger la nourriture de la prison. « Elle est de piètre qualité », dit-il avec répugnance. Cet homme n’a pourtant aucun proche à Port-au-Prince.  

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Vers 2h de l’après-midi, des détenus apportent dans une brouette une grosse chaudière de riz aux pois. Dans la cour, d’autres tiennent leur bol en plastique comme s’ils attendent l’aumône. « On mange tous les jours à deux heures de l’après-midi. C’est la seule chose qu’ils peuvent nous offrir. Si un jour, ils ne le font pas, nous nous soulèverons », déclare un autre détenu au pénitencier national.

Stevenson Lohier, le responsable de communication de la Direction administrative pénitentiaire déclare que l’État offre un repas dans l’après-midi avec l’espoir que les parents des détenus vont se charger du déjeuner. « Ce n’est pas normal mais c’est ce qu’on peut offrir », déclare-t-il.

Plus que la nourriture

Il n’y a pas que la malnutrition qui sévit dans les prisons. À cause de la surpopulation carcérale, les risques de propagation des maladies infectieuses sont très élevés dans ces centres. En 2017, le Réseau national de défense des droits humains rapportait au moins quinze décès par mois en avril, à cause de la malnutrition et des conditions déshumanisantes des centres pénitenciers.

En 2017, la Commission épiscopale Justice et Paix (JILAP) et l’organisation non gouvernementale Franciscans International, ont soumis une demande de mesures conservatoires à la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), sur les conditions de détention inhumaines des détenus à la prison civile de Port-au-Prince.

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Par cette requête, les organisations entendaient que la CIDH demande à la République d’Haïti « d’adopter les mesures nécessaires pour protéger la vie et l’intégrité personnelle des personnes privées de liberté dans le pénitencier national, et l’hôpital général de Port-au-Prince. »

A ce propos, la CIDH avait pris des mesures conservatoires sur la violation de l’intégrité personnelle des détenus, mais l’Etat haïtien ne s’est jamais prononcé sur la question. «De 2017 à nos jours, l’État n’a pas réagi à nos correspondances. Entretemps, les mauvaises conditions de détention ne font que s’empirer dans les centres pénitentiaires en Haïti », affirme Jocelyne Colas, la directrice exécutive de JILAP.

L’obligation de protection

Les détenus sont sous la responsabilité du ministère de la Justice. Ils ont droit à la vie et à la santé, selon Jocelyne Colas. Même quand en Haïti ces droits ne sont pas toujours garantis aux personnes en liberté, Colas pense qu’il faut tout de même dénoncer les conditions inhumaines de détention dans le pays. « Quand l’État met une personne hors d’état de nuire, il lui doit protection, conformément aux dispositions légales relatives aux droits humains. »

L’épidémiologiste Jean Hugues Henrys déclare pour sa part qu’au même titre que le droit à la vie, le droit à la santé est imprescriptible. Selon le médecin, tout être humain a droit à la santé, quel que soit le milieu où il se trouve, encore plus en prison.  

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« Ce qui caractérise un prisonnier, c’est son incapacité de circuler en toute liberté du fait qu’il subit une sanction. D’où la nécessité pour les centres pénitentiaires d’assurer des soins de santé aux détenus », explique-t-il.

Jean Hugues Henrys ajoute qu’il est important de soigner les prisonniers parce qu’ils sont en contact entre eux, mais aussi parce qu’ils rencontrent d’autres personnes, notamment les agents pénitentiaires et des avocats.

« Je connais un jeune avocat, militant des droits de la personne, qui a attrapé une péricardite tuberculeuse, c’est-à-dire un type de tuberculose attaquant l’enveloppe de son cœur», dit le médecin qui croit que si quelqu’un qui est jeune, avocat, prétendument bien portant peut attraper une maladie dans un centre carcéral, il n’est pas étonnant qu’un détenu peut entrer sainement dans une prison et en sortir tuberculeux.

Selon Dr Jean Hugues Henrys et la militante des droits humains Jocelyne Colas, en soignant un prisonnier, on ne lui fait pas de cadeau. Au contraire, on ne fait que respecter ses droits en tant qu’humain.

Laura Louis

Photo couverture: Dieu Nalio Chery/AP Photo

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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