Depuis quelques temps, j’essaie d’adopter une nouvelle philosophie. Je décide de me taire lorsque je n’ai rien de positif à dire. C’est ce qui explique mon refus de parler d’Haïti. Exercice difficile je l’avoue car verbeuse comme moi seule, je me vois contrainte au silence de peur de me joindre au lot des éternels plaignants. C’est à croire qu’en Haïti, rien ne fonctionne. C’est bel et bien une vérité difficile à contester. Je confesse. Et en même temps, c’est faux. C’est faux parce qu’aujourd’hui encore, il y a des choses qui bougent. Malgré tout… C’est faux parce qu’aujourd’hui encore nous prenons des initiatives susceptibles de nous donner la triste illusion qu’Haïti est bien un pays. Aussi, ce sont pour la plupart des initiatives prises au nom du peuple haïtien, qui nous engagent au nom de la patrie, et que nous devons assumer, en dépit de tout, que cela nous concerne ou pas, que cela nous plaise ou pas. C’est donc ainsi que parmi les grands évènements à l’affiche cette année, j’ai boudé le carnaval, j’ai boudé le concert de Lil Wayne, j’ai boudé les élections mais, je n’ai pas boudé CARIFESTA qui, une fois de plus, nous place sous les projecteurs du monde. Une fois de plus, nous devons rappeler au monde notre existence ; nous devons prouver aux autres ce dont nous sommes capables, ce dont nous sommes coupables.
Je n’ai donc pas boudé CARIFESTA car dans un contexte, où l’être haïtien se cherche, où toutes nos valeurs s’effritent et les repères se perdent, je crois qu’il est opportun de retourner à la source vers la quête de notre identité. Cette grande manifestation culturelle a la vocation de nous porter à prendre conscience de ce qui nous unit comme peuple, de ce qui nous définit pour ensuite l’exposer aux autres. Il s’agit d’une occasion de faire l’étalage de notre savoir-faire, savoir-dire et savoir -être, entre autres. Haïti était-elle prête à accueillir CARIFESTA ? Non et ce n’est pas grave, l’important c’est de commencer et de s’ajuster en chemin, en tirant profit des leçons apprises, cent fois sur le métier….Alors appuyant cette initiative, j’ai déambulé dans les rues du Champ- de- mars, sous un soleil de plomb, pour revisiter ma culture. J’en avais besoin.
Je ne vous cacherai pas ma satisfaction, le Champ-de-Mars était beau et plein de vie. La beauté des places rénovées me coupait le souffle. Il a sans doute été plus joli avant, mais dans mes récents souvenirs, je ne pus que le comparer à la période post-séisme où des milliers de tentes et d’abris de fortunes étaient érigés, reflétant la misère et les conditions infrahumaines dans lesquelles vivait ou vit encore notre peuple. A cette époque, le Champ-de -Mars était classé –du moins pour moi- comme une zone rouge et, toutes les fois que devais y aller, c’était en courant car j’étais inquiète. J’avais peur d’être la cible de quelques individus mal intentionnés, mais j’avais surtout peur de me retrouver prisonnière, en plein cœur d’une manifestation, d’un « dezoblay » car à n’importe quel moment un « lobèy ka pete ». Et pourtant hier, j’ai marché sur le Champ –de-Mars pendant des heures et ce qui m’a marqué le plus c’est le sentiment de sécurité que j’ai éprouvé. J’ai marché au milieu des gens, toutes espèces confondues, j’ai observé ces gens qui se reposaient assis sur la place à l’ombre de certains arbres, j’ai écouté des jeunes animer des discussions enflammées, j’ai observé des enfants harcelant leurs parents pour leur acheter des « fresko», ou un verre de pistache, j’ai regardé ces marchands de bijoux et de produits artisanaux qui offraient leurs marchandises sur des tables ou à même le sol avec des slogans communs nous rappelant notre appartenance et/ou notre devoir, « nou se Ayiti », « Renmen Ayiti », « Haiti se kinanm » , « Haiti se la pou la » entre autres. J’ai vu les gens s’affairer autour de moi, chacun pour ses propres intérêts mais autour d’une seule et même cause. J’ai senti le Champ- de -Mars en vie.
Hier, j’ai revisité pour la énième fois le MUPANAH, et je me suis laissée émerveiller par l’histoire de mon pays de la période précoloniale à date. Nous avons une belle histoire. Nous avons fait l’histoire ! Nous avons même eu, ne fut-ce que pour quelques mois, une femme présidente de la République, devançant ainsi certains occidentaux et autres pays de la région qui s’érigent en promoteurs et défenseurs du féminisme. J’ai eu quelques pincements de cœur, j’avoue, face à l’instabilité de nos gouvernements. Certains ont peu duré, certains ont trop duré. J’ai été révoltée de voir également afficher sur ce mur, certains visages qui dans un système de justice efficace, auraient dû croupir en ce moment au pénitencier national pour les nombreux crimes commis au nom de la République. Mais, j’ai dû composer avec le fait, que sous l’égide de la démocratie, d’une illusoire démocratie, que je dois subir sans l’avoir choisie je dois accepter que, des portraits que j’aurais arrachés et pulvérisés volontiers, pour avoir sali notre histoire, soient aujourd’hui exposés et alignés sur le mur de notre panthéon national au même titre que nos héros.
Bref, je m’empresse de sortir du musée pour poursuivre ma visite dans les jardins. Heureusement d’ailleurs, car cela m’a permis d’apprécier une fois de plus la beauté et la propreté des lieux. J’ai découvert un restaurant et j’y ai mangé. Rien à redire, propre, service de qualité, cuisine succulente. Ce sont ces petits détails qui me rendent fière, qui me font croire que je vis dans un pays, aussi. Là dans les jardins du MUPANAH, en plein cœur du champ de mars, un restaurant hors pair, offrant un service de qualité. J’adore. En sortant du restaurant, je suis allée au Triomphe pour voir un film au programme et assister à quelques spectacles. Je ne connaissais pas le Triomphe avant le séisme, je n’y étais jamais allée. Mais celui que j’ai vu là m’a l’air bien. Moderne, beau et propre, bien décoré avec des éléments de notre artisanat. Et partout au champ- de- mars, je voyais des gens circuler portant fièrement les beaux maillots avec le logo de CARIFESTA, un logo dont je raffole surtout après avoir vu l’image du nègre marron au centre.
Du point de vue esthétique, nous excellons. Les images sont magnifiques, tant sur les réseaux sociaux qu’à la TV, et même au Champs-de Mars. Tout est d’une beauté à couper le souffle et j’en suis contente. Mais qu’en est-il de la logistique? De l’organisation ? Qu’en est-il du droit à l’information ? Les organisateurs de CARIFESTA ont créé une application pour renseigner les gens sur les différentes activités qui auront lieu durant cette semaine. Super, nous sommes au pas avec la modernité. Selon l’application, il devrait y avoir un film au triomphe à 1h 30 PM (orijin rasin mwen, quelque chose du genre, je ne me m’en rappelle plus). Je me dirige vers Triomphe, à 1 : 37 PM, le guichet est fermé. Je demande au staff où me procurer le billet et comment y accéder. Ils ne savent pas. Mais et le film ? Au final, ils m’indiquèrent un chemin, je sors et je me dirige vers l’autre stationnement. Ici, je croise deux autres personnes du staff postées à l’entrée avec les T-shirts du CARIFESTA. Bonjour, je viens pour le film, où puis-je acheter les billets ? Non seulement ils n’étaient pas au courant, ils n’avaient aucune idée de la programmation, ils n’étaient même pas en mesure de me dire si le film serait projeté ou pas. Ils ont seulement lâché, « revenez à cinq heures se leu sa a lap ouvri ». Si l’application n’est pas à jour, serait-il trop demander de disposer d’un kiosque d’informations pour renseigner les gens sur les différentes activités prévues? Dans toute cette sphère de modernité, ne pourrait –on pas prévoir un écran géant installé sur le champ-de mars pour diffuser les informations relatives à l’évènement ? Comment veut-on que les touristes puissent s’orienter si même les organisateurs ne sont pas imbus de la programmation ? Comment vont-ils les guider ? Je m’interroge encore : pourquoi hier, le gars installé au guichet pour vendre les billets n’avait-il pas de monnaie ? A défaut d’avoir l’argent exact, je ne pouvais pas me procurer le billet pour le spectacle, il fallait soit tourner les talons soit renoncer à la monnaie. Et pour rien au monde je n’accepterai par exemple, de lui laisser 800 gourdes pour un billet qui ne coûte que 200 gourdes. Ridicule ! Pourquoi des spectacles payants ? Etait-ce dans un souci de rentabilité ? Tout comme beaucoup d’entre vous, je n’en sais rien ! Et cela me révolte. Et arrivée finalement au Triomphe, aucune indication quant aux salles de spectacles. Comme si j’étais un devin, je devais résoudre l’énigme de l’emplacement de la salle où se déroulerait le spectacle choisi et m’y rendre car si par malheur, j’osais m’approcher d’un des membres du staff, je sentais que je les dérangeais plus que tout et que leurs colères déferleraient sur moi. S’il est si difficile de trouver des gens capables de donner les indications adéquates, des simples flèches auraient suffi, et j’imagine que ce serait beaucoup mieux pour les touristes qui n’auraient pas à se heurter une fois de plus à nos incompétences.
Je n’oserai même pas parler des retards, l’irrespect de l’heure est de plus en plus ancré dans nos mœurs et coutumes. Il me semble que nous avons oublié que CARIFESTA n’est pas la petite fête de famille que nous organisons pour que tout commence à 10 heures du soir, alors que les gens sont invités à six (6) heures PM. Je n’oserai même pas dire que l’enjeu de cet évènement à caractère international soit méconnu des organisateurs, ce serait nier l’évidence. Rien qu’à regarder la mobilisation et les efforts déployés autour de cet évènement, comparé aux récentes élections, nous avons prouvé au monde, une fois de plus, de quoi nous sommes capables, quand nous le voulons. Nous sommes capables du beau, de l’esthétique, de l’accessoire, de l’illusoire. Néanmoins, nous sommes une fois de plus coupables, de violations du droit à l’information, de manque de respect, de manque d’organisation, pour ne citer que cela. Capables de l’esthétique, coupables en ce qui a trait à la logistique. Ainsi, nous avons surtout prouvé que nous n’excellons que dans la logistique de l’esthétique.
Chrisla Joseph
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