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À 79 ans, Madeleine prend soin de ses grandes soeurs malades seule

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L’Organisation des Nations-Unies a célébré, ce 1er octobre,  la journée internationale des personnes âgées. À l’occasion de cette commémoration, nous avons rencontré trois dames âgées qui vivent seules à la deuxième Cité Louverture, un lieu situé non loin du Portail Léogâne.

Il est six heures du soir quand Soeur Madé a allumé sa lampe « tèt gridap ». La lumière qu’émet ce petit objet cylindrique en aluminium n’est pas assez éblouissante pour éclairer tous les recoins de la pièce néanmoins elle assez forte pour permettre de constater le visage ridé de la dame. Ce soir, elle porte une robe rose qui laisse voir ses bras frêles.

C’est elle qui veille depuis plus de vingt ans sur ses grandes sœurs, Isma et Verné Alexis. Elles ne sont pas des religieuses catholiques mais tout le monde les appelle « sœur », car elles sont toutes de ferventes protestantes.

Sr Madé, de son vrai nom Madeleine Alexis, a eu une journée aussi longue que n’importe quelle femme de ménage. Elle doit s’occuper de ses deux sœurs et d’elle-même, faire le ménage, sortir les poubelles, cuisiner, etc. Verné et Isma ne sont pas en bonne forme. « Depuis huit mois, Isma est alitée à cause d’une crise de tension. Quant à Verné, elle est aveugle et n’a plus sa lucidité», avance la vieille dame dont la voix semble également affaibli .

Une vie de jeunesse asservie par les autres

Les sœurs Alexis ont grandi à Léogâne dans un contexte où l’école était une priorité accordée qu’aux petits garçons. « Seul mon frère fréquentait l’école dans ma famille. Presque tous les petits garçons du quartier s’y rendaient. » Si l’on croit Sr Madé, le seul établissement scolaire qui existait dans la zone où elles ont grandi, se situait à Trouin. Et c’était tellement loin de la maison que même si les parents des jeunes filles auraient voulu les éduquer, ils n’auraient pas pris le risque de les laisser partir en compagnie de cette troupe de garçons.

Madeleine Alexis ne parvient pas à croire qu’elle aussi a été jeune une fois dans sa vie. Elle n’a pas vu passer le temps si bien qu’elle n’a pas songé à garder un homme dans sa vie. « J’ai passé toute ma vie à servir les gens sans vraiment m’intéresser à une vie amoureuse. Tous les hommes qui m’approchaient,  ne voulaient que connaître la couleur de ma culotte. Toutes mes relations se sont donc brisées parce que je ne voulais pas avoir de rapports intimes avec mes copains. »

La sexagénaire a passé toute sa vie à faire la lessive pour les gens de son église contre rien parfois. « On ne me payait pas pour les travaux  fournis. Par occasion, on me donnait un peu d’argent qui ne servait qu’à ma subsistance.» Ce sont les mêmes épisodes qui ont marqué la vie de ses deux sœurs. Sauf Isma qui a connu un homme dans sa jeunesse. « Isma a été enceinte à deux reprises de son mari. Malheureusement, elle a perdu les deux enfants dans leur jeune âge », explique la benjamine. Isma a souffert de la typhoïde et de la  malaria durant son adolescence. Apres s’être remise de ces pathologies, elle était avait un peu perdu la raison. « Un jour elle se révélait lucide, un autre elle était insupportable. Il lui arrivait de cacher son argent dans des toilettes. Elle oubliait parfois son adresse. Pour ces raisons et bien d’autres, Isma n’a pas pu garder son mari», raconte la Madeleine.

 Victimes d’abus des gens de la zone

« On ne peut rien laisser dans cette maison pour qu’il ne soit volé », relate sr Madé qui doit sortir tous les jours à la recherche du pain quotidien pour ses sœurs qui sont clouées au lit. Quand elle sort, la vieille dame ne verrouille jamais sa porte car dit-elle, « s’il se passe un incident, mes sœurs peuvent avoir besoin d’aide. » Une réflexion qui lui fait mordre les doigts presque tous les jours. « Je plusieur papiers importants. Je ne vois plus mon titre de propriété et ma carte électorale. » La maison qu’habite les dames est la leur. Madé elle aussi se révèle être désorientée. Elle ignore l’année au cours de laquelle elle vit en ce moment. Elle se sert des événements comme références pour parler du temps. « Nous avons acheté cette maison avant le 12 janvier[2].  Elle est le fruit de la collecte de fonds de plusieurs membres de notre église et des connaissances. » C’est une propriété qui est d’ailleurs très convoitée par un homme de la zone. « Quand j’ai acheté la maison, je n’avais pas remarqué qu’il y avait une pièce à l’arrière qui ne figurait pas dans le contrat. » Cette partie de la maison est maintenant occupée par cet homme qui en contrepartie promet aux vieilles dames qu’à leur mort, il se chargerait de leurs funérailles. « Tous les jours, il me demande mes pièces pour m’inscrire dans je ne sais quel plan d’assurance », lance Madé d’un ton inquiet. Elle n’en croit pas un mot. Elle pense que leur colocataire mène des manœuvres trompeuses pour saisir la maison.

Quel avenir pour les personnes âgées en Haïti ?

À travers le monde, la thématique de la personne âgée fait couler beaucoup d’encre. Des revues scientifiques en parlent, des textes officiels  traitent de la question, etc. On parle même des droits humains de la personne âgée.

Le nombre des vieillards ne cesse pas d’augmenter un peu partout dans le monde grâce aux nombreux progrès de la médecine. En 2017, les personnes âgées de 60 ans et plus représentaient 13% de la population mondiale. On prévoit un nombre de 425 millions de personnes atteignant l’âge de 80 ans dans le monde d’ici 2050.

Jusqu’au dernier recensement qui a eu lieu en 2003, le pourcentage des personnes âgées en Haïti repré sentaient  15% de la population. Ici, les personnes âgées dépendantes traversent des moments difficiles quand ils ne reçoivent pas l’appui de leur famille. Il n’y a qu’une seule maison de retraite publique (l’asile communal) qui dessert toute la région métropolitaine. Cette institution loge un peu moins d’une centaine de vieillards selon des sources provenant de la Mairie de Port-au-Prince. Ce centre est très demandé mais ne peut malheureusement recevoir beaucoup de monde.

Le Ministère des affaires sociales, l’Office de la Protection du Citoyen et l’Office National d’Assurance-Vieillesse sont entre autres les institutions chargées de protéger les droits des personnes âgées en Haïti mais elles sont occupées par d’autres tâches. La majorité des vieillards qui ont travaillé dans le secteur informel ne bénéficient d’aucune pension. La Caisse d’Assistance Sociale (CAS) qui devrait aider les personnes les plus démunis  est tellement politisée qu’elle ne peut pourvoir aux besoins des vieillards.

Sr Madé et ses sœurs sont le parfait exemple illustrant la situation matérielle des personnes âgées en Haïti. Elles n’ont personne au monde. Leur seul frère est décédé en 2001. Elles vivent aux dépens des frères et soeurs de leur église qui parfois  leur accorde leur support financier.

Laura Louis

[1] lampe sans verre en aluminium

[2] Elle veut parler du séisme du 12 janvier 2010

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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