Parmi les documents transmis par le système judiciaire haïtien pour confirmer la « bonne vie » des citoyens, seul, le certificat de police délivré par la DCPJ est assujetti à une recherche minimale, dont la base de données de l’Interpol
Déjà 9 heures du matin, mardi dernier, des centaines de citoyens sont massés près de la direction centrale de la Police judiciaire (DCPJ), la seule entité habilitée à délivrer le certificat de police sur le territoire haïtien. Seulement 200 demandes sont retenues et analysées par jour.
Pourtant, une foule s’impatiente sous la canicule. Chacun espère que le hasard jouera en sa faveur. Dans la mêlée, certains relatent qu’ils attendent depuis une semaine sans pouvoir pénétrer l’espace pour remplir la formalité demandée.
Des documents importants
Casier judiciaire, certificat de police, certificat de bonnes vie et mœurs sont autant de documents qui fournissent des informations authentiques sur la vie d’une personne dans une communauté. Ces documents émanent du système judiciaire haïtien ou de la DCPJ.
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Le certificat de police et celui de bonnes vie et mœurs attestent l’état du casier judiciaire d’un citoyen. À cet effet, le casier judiciaire permet d’enregistrer, de conserver et de modifier les données concernant les décisions rendues notamment en matière pénale.
Une base de données fiable
« N’importe qui a droit à un certificat de police, même s’il a été incarcéré », dit une source au sein de la DCPJ précisant que près de 200 formulaires sont distribués par jour pour desservir la population. Le certificat de police est délivré pour des raisons d’étude, de voyage, d’emploi, etc.
« Le certificat de police est une déclaration identifiant l’individu avec certaines données corporelles (couleur de la peau, des yeux, etc.). C’est un document hautement authentique qui indique si l’individu a été déjà incarcéré ou non », déclare notre source qui n’est pas autorisée à prendre la parole au nom de la Police nationale d’Haïti (PNH). Le certificat de police est fait à partir de l’empreinte digitale du requérant.
Les empreintes digitales jouent souvent un rôle déterminant dans les recherches judiciaires au sein de la DCPJ puisqu’elles permettent de confirmer ou d’infirmer l’identité d’une personne. « Même si l’individu change d’identité, son empreinte reste intacte et peut être facilement vérifiée. La DCPJ procède à une recherche au niveau de la chaîne pénale communément appelée base de données de la prison civile et au niveau de l’Interpol pour vérifier le casier judiciaire du demandeur », poursuit notre source.
Une recherche sophistiquée
La base de données de la DCPJ est interreliée à celle de l’Interpol, une organisation internationale de police criminelle dont les données sont collectées dans 195 pays.
Un individu ayant un mandat de recherche international ne peut pas obtenir un certificat de police vierge à la DCPJ en Haïti. En cas de déportation — la direction avoue recevoir au minimum 25 cas par mois — les individus concernés passent d’abord à la DCPJ pour la prise de leur empreinte avec le motif de leur déportation.
Pour sa part, Me Patrick Laurent fait savoir que ce document cause parfois préjudice à des citoyens. « Avec un certificat de police indiquant une incarcération, l’individu est tout d’abord mal vu dans l’imaginaire haïtien. Puis, il reste un suspect au niveau de la police nationale, même s’il n’avait pas été condamné pour les prétendus motifs de son incarcération », dit-il ajoutant que de paisibles citoyens sont souvent victimes d’arrestations arbitraires durant les patrouilles de la police.
Le casier judiciaire
Au niveau du bureau du Greffier du Tribunal de Première instance à Port-au-Prince, des individus font la navette auprès des hommes de loi, rien que pour apposer leur signature au bas des documents.
C’est le greffe du tribunal de première instance qui délivre les certificats de casier judiciaire. « Le casier judiciaire est un document délivré par le tribunal de Première instance. Il est le relevé de condamnations d’un individu » , atteste Mozart Tassi, greffier en chef du tribunal de Première instance.
Pour que le requérant puisse avoir accès à son casier judiciaire, il faut qu’il ait le certificat de police, son acte de naissance, sa photo d’identité, sa carte d’identification nationale et des frais de 100 gourdes.
« Si le certificat de police atteste que l’individu a été incarcéré, cela ne veut pas dire pour autant qu’il a été condamné » prolonge Tassi. Il rajoute que l’empreinte digitale est prélevée avec le motif de l’arrestation de l’individu lors de son incarcération. Pour faciliter le processus, « il vaudrait mieux n’avoir jamais été incarcéré par la police, même pendant une patrouille », ajoute-t-il.
Complications en cas d’arrestations passées
Si le requérant a été déjà incarcéré, Mozart Tassi explique que normalement son dossier devrait être vérifié au cahier de l’audience judiciaire afin de savoir s’il avait été condamné pour un quelconque motif.
Étant condamné, son casier judiciaire mentionnera sa condamnation. Dans le cas contraire, le requérant fait appel à un avocat pour avoir un document attestant sa non-condamnation pour les motifs retenus lors de son incarcération. Dès lors, le requérant peut obtenir son casier judiciaire (vierge).
Le greffier en chef fait savoir qu’il n’existe pas une base de données au sein du tribunal de Première instance. « Les données juridiques ne concernent que la juridiction de Port-au-Prince », dit-il. « On mise beaucoup sur le certificat de police pour son authenticité, mais cela n’empêche pas que certains documents soient livrés sans une vérification sur les probables condamnations du requérant [notamment dans les autres juridictions du pays]. »
Selon Patrick Laurent, il faudrait interrelier les juridictions quoiqu’elles soient indépendantes les unes des autres pour éviter de livrer des casiers judiciaires (vierges) à des individus ayant déjà été condamnés dans d’autres juridictions du pays.
Le certificat de bonnes vie et mœurs
« Le certificat de police est un élément clé pour l’obtention d’un certificat de bonnes vie et mœurs, confie Jean Smith Gelin, greffier en chef au tribunal de paix de la section Sud. L’on y ajoute la carte identification nationale et la photo du requérant ». Ce tribunal a les provisions légales pour certifier si la personne est de bonnes vie et mœurs.
Depuis quelques années, Jean Smith Gelin dit n’avoir jamais reçu de demandes pour ce document au tribunal de paix. « L’absence de communication implique que les demandeurs se tournent massivement vers les raketè », dit-il.
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« En vertu de quoi délivre-t-on un certificat de bonnes vie et mœurs ? » se demande Maître Patrick Laurent. Les critères établis, poursuit l’homme de loi, ne sont pas objectifs et on n’a pas encore de loi pour définir ce qu’on retient comme bonnes vie et mœurs chez un individu.
« Les notions “casier judiciaire” et “certificat de bonnes vie et mœurs” figurent dans plusieurs textes de loi. Mais elles n’ont jamais été systématiquement instituées et définies dans un texte de loi », affirme Me Patrik Laurent. Il précise que ces documents sont ainsi demandés pour certains postes administratifs au sein de l’État.
« Si l’individu a été condamné pour une peine afflictive et infamante, il ne pourra pas recevoir ce document. Il perd automatiquement une partie de ses droits politiques. Par contre, s’il en fait la demande, il peut être réhabilité après avoir purgé sa peine », avoue Me Laurent.
En 2017, le Sénat avait voté un projet de loi sur la question qui, malheureusement, reste sans suivi jusqu’à présent.
195 pays font partie de l’Interpol et non 194, comme l’affirmait une première version de cet article. 16.13 31.01.23
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