Le 15 août 2019 ramène la 349e célébration de la création de la ville du Cap-Haitien, chef-lieu du département du Nord d’Haïti. Cette ville historique et touristique connaît depuis quelque temps beaucoup de difficultés à tenir son rang de « capitale historique » du pays.
Appelée Cap-Français à l’époque de la colonie de Saint-Domingue, la ville du Cap Haïtien connaîtra des événements divers qui forgeront sa réputation. Elle a changé de nom plusieurs fois, notamment sous le règne du roi Henri Christophe, Henri 1er, où elle s’appelait Cap Henri.
Depuis quelques jours, les réactions s’enchaînent suite aux déclarations de l’économiste Kesner Pharel, qui estime que le Cap-Haïtien ne représente pas la 2e ville du pays en termes de population et de recettes fiscales. Ces déclarations malencontreusement prises hors de leur contexte, selon l’économiste, ont suscité une vague d’indignation parmi certains habitants de la ville.
Pourtant, la ville du Cap-Haïtien, historique et touristique pour d’innombrables raisons, ne ressemble plus à celle qui faisait la fierté des Capoises et des Capois.
Emile Eyma Jr. Est le président de la Société capoise d’histoire et de protection du patrimoine. Il croit que la ville du Cap-Haïtien fait face à de graves problèmes. « Le manque d’assainissement est le premier problème de la ville, dit-il. Ramasser les ordures et les déposer dans une décharge officielle, c’est un minimum. Mais les citoyens n’aident pas non plus, car il est de la responsabilité de tout le monde de garder leur ville propre. »
Robertha Magny, jeune capoise, habite à Barrière Bouteille. Elle déplore elle aussi que la ville soit si sale. « À l’occasion de la fête, explique-t-elle, ils ont fait un effort pour nettoyer la ville mais il y a encore des fatras. Il y en a toujours. »
Ils déplorent tous les deux le manque d’électricité. D’après Robertha Magny, seuls certains quartiers comme le Carrénage, zone résidentielle, ont un minimum de courant.
Selon les dernières enquêtes démographiques de l’Institut haïtien de statistiques et d’informatique, la population de la commune du Cap-Haïtien est estimée en 2015 à 274 404 habitants, ce qui fait une densité de 5 129 habitants par km2. Emile Eyma Jr. croit que cette forte densité de population fait du tort à la ville. « Il aurait fallu laisser le centre-ville pour d’autres activités, explique-t-il. On pourrait utiliser les zones avoisinantes comme Lòt Bò Pon et Lòt Bò Baryè pour déconcentrer les services. La concentration de toutes les activités dans la ville provoque des embouteillages sans pareils.»
Un patrimoine matériel négligé
Le 23 août 1995, le centre-ville du Cap-Haïtien a été classé patrimoine national. Selon le Rapport d’inventaire des ressources touristiques du Nord et du Nord-Est, c’est la seule ville du pays à jouir de ce statut, en raison de son style architectural.
Ce statut, en théorie, fait de cette zone une aire protégée afin de préserver le patrimoine matériel que représentent, entre autres, les maisons du Cap. Pourtant, de jours en jours les anciennes maisons disparaissent. Beaucoup sont modifiées et présentent un style différent de celui qui faisait la renommée du Cap-Haïtien.
Emile Eyma Jr. pense que cela participe au manque d’attrait de la ville. «Le propriétaire d’une maison dans le centre-ville ne devrait pas pouvoir en modifier l’architecture comme il le veut, se plaint-il. Même la couleur de la peinture à appliquer sur les murs ne devrait pas dépendre de lui. Le patrimoine bâti est l’une des raisons pour lesquelles le Cap est une ville historique et touristique. Nous devons le conserver. A Cuba, il y la vieille Havane, par exemple. »
«C’est une perte, même au niveau économique, poursuit-il, car le touriste ne cherche pas nécessairement d’immenses buildings qu’il voit déjà chez lui tous les jours. »
En 2014, le site touristique de Labadie a enregistré 662 403 croisiéristes, et a rapporté à l’État plus de 6 millions de dollars en redevances. 3 ans après, en 2017, ils étaient 707 700 à visiter Labadie. C’est une indication du potentiel touristique du Cap-Haïtien. Des sites comme Vertières, le fort Picolet, la Cathédrale du Cap-Haïtien sont des témoins de l’histoire récente et ancienne.
Une ville remplie d’histoire
Des évènements historiques qui ont marqué l’histoire du pays ont eu lieu au Cap-Haïtien. Selon Emile Eyma Jr., l’histoire de la ville remonte bien avant sa création officielle en 1670, par Bertrand d’Ogeron (1616-1673), gouverneur de la colonie de Saint-Domingue. « À l’époque amérindienne, il y avait un grand village appelé Guarico, qui était la capitale du caciquat du Marien, dit l’historien. On ne peut pas déterminer son emplacement exact mais elle était construite tout près de ce qui constitue la ville du Cap d’aujourd’hui. »
Pendant toute la colonisation française, la ville du Cap-Haïtien, alors appelée Cap Français, restera la principale ville de Saint-Domingue, tant au niveau économique que social. Cependant, par deux fois elle sera attaquée et pillée par les Espagnols en 1691, puis les Anglais en 1695. C’est le traité de Ryswick, signé en 1697 qui mettra fin à ces attaques. Puis, en 1777, la France sera officialisée en tant que souveraine de Saint-Domingue par le traité d’Aranjuez, entre les Français et les Espagnols.
D’autres dates historiques viennent rehausser le prestige de la ville en regard à l’histoire nationale. C’est le cas de la mort de Mackandal le 20 janvier 1791, ou encore la cérémonie du Bois-Caïman, le 14 août 1791 qui conduira au soulèvement des esclaves. La proclamation de la liberté générale des esclaves, en 1793 par le commissaire français Sonthonax est aussi un grand moment. La bataille de Vertières, lieu de la chute de l’armée de Napoléon, est sans doute l’une des dates les plus marquantes de l’histoire de la nation.
Le Cap-Haïtien n’a pas seulement accouché des dates historiques. Il est aussi le berceau de grands hommes. Toussaint Louverture (1743-1803), grand général haïtien, est né sur l’habitation Bréda, au Haut-du-Cap, en 1743. Dessalines (1758-1806), Henri Christophe (1767-1820) sont d’autres grands noms qui sont associés à la ville. « Toutes les villes du pays ont leur histoire, estime Emile Eyma Jr. Elles ont toutes des moments qui les ont marquées. Mais le Cap-Haïtien en a connu encore plus, surtout au cours du 18e siècle. Par exemple c’est là qu’a été créé le premier syndicat du pays, appelé Cœurs-Unis. Il deviendra par la suite un mouvement religieux. »
Certains sites sont historiques pour d’autres raisons. Ainsi, l’Habitation du gouverneur (rue 24 B), actuelle Hostellerie Roi Christophe, serait une ancienne résidence du roi Henri 1er. La place de l’Arsenal (rue 25 A) a vu l’exposition du corps de Charlemagne Péralte (1886-1919), résistant à l’occupation américaine. L’actuelle école des Frères de l’instruction chrétienne (rue 17-19 L) a été le Palais du gouverneur, à l’époque coloniale.
Cap-Haitien, ville résiliente
Le Cap-Haïtien est habitué aux catastrophes. La ville a été détruite plusieurs fois, notamment par un fort tremblement de terre le 7 mai 1842. Les incendies ne lui ont pas non plus fait de cadeau. La ville a été brûlée pas moins de trois fois, notamment par Henri Christophe lui-même lorsque les troupes de l’armée française, dirigée par Leclerc arrivaient sur la ville, en 1802.
C’est alors qu’il tint ces propos célèbres, à Leclerc qui le menaçait d’envahir la ville : « … si le sort des armes vous est favorable, vous n’entrerez dans la ville du Cap que lorsqu’elle sera réduite en cendres, et même sur ces cendres je vous combattrai encore… » Il mettra sa menace à exécution et la ville n’était que ruines quand les troupes françaises y sont entrées.
Compte tenu de toute cette histoire, Emile Eyma Jr. croit qu’il est du devoir de tous les habitants de la ville du Cap-Haïtien de s’occuper de son sort. « L’année prochaine, dit-il, nous fêterons les 350 ans de fondation de la ville ; nous devrons réfléchir sur son avenir. Il n’est pas possible de toujours faire référence au passé pour parler de la fierté capoise. Nous devons utiliser la situation difficile dans laquelle nous nous trouvons pour nous relever. Cette fierté qui caractérise les Capois doit être réorientée. En 2020, nous espérons célébrer une ville propre.»
Jameson Francisque
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