AYIBOFANMEN UNEFREE WRITING

Maudissez-moi…

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Cupidité, naïveté: ces mots étaient ancrés dans mon esprit comme de l’encre noire tâché sur du papier blanc. Etait-ce un manque d’estime et de confiance qui m’auraient amené au carrefour du désespoir? Je ne saurais vous dire lequel de mes défauts était en cause dans ma situation actuelle. Mais une chose était sûre, j’avais pris du plaisir à faire les choses pour lesquelles je suis condamnée en ce jour.

La lettre écarlate gravée sur mon front n’était en aucun cas un stigmate pour ma personne. Certes, j’ai connu des sentiments comme le regret et les remords mais la sensation de luxure imprégnée au plus profond de mon être  empêchait à ces sentiments de faire long feu au cours de mon existence.

Tout ce qui importait était ce bien-être ressenti avant et pendant…… Ce qui venait après était le cadet de mes soucis, telle fut ma devise.

Ce que je voulais, je le prenais: un point c’est  tout. Je ne vivais que pour et par mes envies pour ne pas dire ma soif de l’extase. J’étais plus qu’accro à cette drogue charnelle au point où elle était devenue vitale pour moi, pour mes organes. Mon corps tout entier ne pouvait plus s’en passer. Quand est-ce que tout a commencé?

C’était la question qu’on ne cessait de me poser. J’ai ressenti, comme un orgasme, le désir de satisfaire la curiosité de mes interlocuteurs. Et je m’apprêtais à leur dire ce qu’ils voulaient entendre… Au plus profond de mon être diabolique, je connaissais toute la genèse de l’histoire, mon histoire.

A ma naissance, celle que je devais appeler mère me confia à sa sœur et partit pour je ne sais où. Depuis on n’a jamais eu aucune nouvelle. Il faut dire qu’on n’a pas cherché non plus. Sa disparition fut comme une croix en moins pour eux. Arrivée dans cette famille chrétienne de nom, je fus accueillie comme le fruit du mal, progéniture du péché. Le chef de la famille me baptisa Jézabel et comme j’étais sous leur tutelle, j’ai hérité de leur nom de famille: Saint-Paul. Me voilà Jézabel Saint-Paul. Dès mon plus jeune âge, mes tuteurs ne rataient pas une occasion pour me rappeler que je n’étais que châtiment et  honte pour la famille; que ma présence dans leur sein était une charité; n’était-ce la magnanimité divine, je serais dans la rue pour ne pas dire en enfer. Du moins c’est ce qu’ils essayaient toujours de me faire croire.

Devenue jeune fille, tous mes attributs de femme étaient source de problèmes pour ma personne et mon entourage. Les hommes se cachaient dans des buissons pour profiter de ma pudeur quand je me lavais dans la rivière. Et quand ils se faisaient surprendre par un ancien, on m’accusait de trop m’exhiber. Le bruit court que ma beauté physique était l’œuvre du diable, piège tendu pour les hommes, afin de commettre l’infâmie de pécher contre leur Créateur. Le pire dans tout ça, c’est que moi aussi j’y ai cru, jusqu’à éviter de croiser du regard mon reflet nu dans le miroir.

Puis un jour, pendant que je me déshabillais dans ma chambre, j’ai senti la présence d’une personne. Je me retournai et le chef de la maison était là. Muet comme une carpe, les yeux figés sur ma nudité, la bouche entr’ouverte… respirant à peine. Il avanca vers moi sans me quitter du regard, s’empara de la couverture sur le lit et m’enveloppa avec douceur dans le vieux tissu de laine tout en laissant glisser ses doigts sur ma peau. Un sentiment étrange m’envahit au contact de ses doigts sur mon corps. Aussi bizarre que cela puisse le paraître, j’ai trouvé ça normal. Et sans dire un mot, il tourna les talons et sortit de la pièce. Ce soir là, je n’ai pas fermé les yeux, l’homme qui me tyrannisait, parce qu’il se croyait être l’incarnation même de l’intégrité céleste venait de s’offrir un spectacle paradisiaque en reluquant ma nudité. Depuis lors, ma perception de ces «anges terrestres» changea. Je détenais le fruit défendu. Adam était à ma merci. Je possédais l’arme charnelle pour me venger de tous ceux qui me jugeaient assidûment pour rien. J’allais les combattre en leur donnant une bonne raison de me condamner….

Je n’étais même  pas surprise quand monsieur vint dans mon lit ce soir-là, ni les autres fois qui suivirent. A l’époque, il était mon premier et mon seul péché mais j’étais presque sure que je n’étais pas sa première prise. L’«exemple» de l’assemblée dite «chrétienne» ne représentait qu’un vieux pion sur mon échiquier diabolique. Du coup, j’ai commencé à avoir des passe-temps différents les unes plus étranges que les autres. Même les prêches du dimanche de mon Adam me parurent ironiques pour ne pas dire moqueuses. Mes préférées furent celles sur l’adultère et la fornication. Et chaque fois qu’il venait me voir la nuit, je lui démontrais «sensuellement» comment il se mentait à lui-même. Il ne pouvait plus se passer de mon corps ni de mes caresses si bien qu’il trouva un moyen d’éloigner sa femme, ma tante, de la maison en lui attribuant  des missions dans des villes avoisinantes. Tout cela dans le cadre «spirituel».

Notre histoire faisait son petit bonhomme de chemin. Il se contentait de moi, ignorant qu’il n’était que le premier de ma liste, rien que le numéro 1. J’étais convaincue qu’il n’y avait pas mal d’acteurs potentiels dans cette scène  de comédie religieuse. En peu de temps, ma toile d’araignée comptait plus de mouches, les unes plus faciles à attraper que les autres. Plus j’en mangeais et plus j’avais faim. Mon appétit était immortel. Mes victimes ne se faisaient pas prier. Ils faisaient la queue pour être crucifiés. Le jour, je me faisais critiquer par leurs femmes et la nuit, je me faisais désirer et savourer par leurs maris. Ces hommes me mangeaient dans la main. Plus j’en donnais, plus ils en voulaient. A chaque fois que je dévoilais ma pudeur de femme à l’un d’eux, ce dernier s’extasiait et salivait comme un enfant face à une sucrerie. Je suis vite devenue un butin que personne ne voulait partager, sachant que l’un avait déjà goûté au fruit défendu que l’autre convoitait. Tous voulaient être le maître absolu de cette Jézabel. Les désaccords, les disputes et mêmes les bagarres devinrent ministère dans l’assemblée.

On s’était vite mis au parfum que j’étais liée à cette histoire de discorde entre frères. J’ai été convoquée par le corps pastoral. Je fus conduite au tribunal spirituel pour répondre de mes actes de pécheresse. Le jury était composé en majorité de mes victimes ou complices, appelez-les comme vous le voulez,  avec mon Adam comme juge principal. Tous les gens me pointaient du doigt et me lançaient des injures.  Des hommes témoignaient qu’ils avaient été envoûtés par moi, Jézabel Saint-Paul. A les entendre, ils étaient tous involontaires et passifs dans cette supercherie. Chacun prit soin de mentionner n’avoir pas été le premier à s’aventurer sur cette terre maudite.

Parmi toutes les questions qu’on ne cessait de me poser et auxquelles je répondais soit par arrogance, soit par mépris ou ironie, une femme jalouse et dégoûtée dans la salle me posa une question de  génie.

«Jézabel, dites-nous avec qui ça a commencé?»

Et ils reprirent tous en chœur: «Oui, dites le nom et demandez pardon pour vos péchés», «demandez pardon», me hurlaient tous les gens. Le juge principal criait à tue-tête que cela n’était pas nécessaire.

Je me suis levée avec une volonté machiavélique et je me suis avancée devant les «juges» pour déclarer: «Messieurs, n’aimeriez-vous pas connaitre votre prédécesseur?  Ma muse? Celui avec qui tout a commencé?»

Le juge principal hurlait de plus belle: «Retournez-vous asseoir: attendez votre sentence afin de vous repentir de vos crimes malsains! Silence! Silence!»

Je m’avançai donc vers cet homme d’église, cet homme de Dieu, et je lui dis d’un ton sensuel et odieusement  arrogant «Adam! Seriez-vous prêt à intercéder auprès du Père pour Jézabel, celle que vous avez transformé en votre «Eve»? A demander pardon pour avoir dégusté le plaisir défendu avec elle? Seriez-vous prêt  à vous confesser devant les anciens de cette assemblée et à admettre avoir été le premier dans son lit?

Me retournant face à mes accusateurs, sourire aux lèvres, je m’adressai à eux en ces mots «Je ne veux pas me repentir de ce dont vous m’accusez. Sachez que si c’était à refaire, je le ferais encore  et encore et encore. Je continuerai à démontrer, par ma force, combien vous êtes faibles. N’est-ce pas l’apôtre Paul qui disait lui-même: Dieu, qui est fidèle, ne permettra pas que vous soyez tentés au-dessus de vos forces (1Corint 10 :13).

Alors, tous autant que vous êtes, Jézabel vous dit ceci:  Maudissez-moi! Car que je vous ai baisés!»

Nanine

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