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Douleur de Femme

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L’excision est un sujet tabou, une douleur qui siège en Afrique. On sent poindre une lueur de changement, mais la lutte demeure permanente. Écrire un texte sur cette douloureuse agonie des femmes n’est donc pas surprenant, venant de la jeune africaine que je suis. Mais le partager avec des Haïtiens peut sembler l’être. Pourquoi donc partager cela avec vous? Eh bien, parce que j’estime avant tout que l’excision n’est pas qu’un problème africain. Il s’agit d’un problème qui s’inscrit dans la lutte des Femmes. Ainsi, au-delà de l’ethnicité et de la nationalité, c’est un combat, un cri du cœur, qui à mon sens parle aussi bien aux jeunes africaines qu’aux haïtiennes. L’autre raison pour laquelle j’aimerais le partager avec les Haïtiens réside dans le fait que malgré que je sois ivoirienne, mon cœur a aussi des couleurs haïtiennes de par ma deuxième famille de cœur qui  vient d’Haïti. Je suis donc profondément attaché a ce pays que je considère mien.

Le coq venait de chanter, le jour était enfin arrivé. Jour que je redoutais tant depuis que j’ai compris qu’il rimait avec Femme.

Le coq venait de chanter, il venait de sonner le glas de ma destinée…

Je savais que tôt ou tard ma famille franchirait le seuil de la porte et que bientôt ma vie ne serait plus jamais la même. Je savais que le compte-à-rebours était lancé depuis ma naissance et que mon avenir était déjà scellé. Pourtant, je ne rêvais que d’une chose: Fuir. J’avais une irrésistible envie de courir vers un nouveau départ, et de réécrire l’histoire de ce jour. J’aurai aimé graver ce jour comme le prélude de ma Liberté plutôt que celui de ma Captivité. Hélas, tout cela n’était qu’une utopie. Je n’y pouvais rien et l’histoire se répétera une fois de plus. Je ne serai pas Mariam la Vaillante, celle qui élève sa voix contre la tradition, mais simplement Mariam, une fille parmi tant d’autres, destinée à porter le poids de la Féminité. Je serai Mariam, une Femme suivant les traces de sa mère Fatoumata, de sa sœur aînée Nabintou et de toutes les femmes qui l’ont précédée dans ce village.

J’aurais aimé être Mariam la Vaillante, mais c’était trop tard. Lorsque mes parents et mes tantes entrèrent dans ce qui me faisait office de chambre, je compris que la révolution ne serait pas mienne. Ils tenaient dans leurs mains des friandises et présents pour marquer ce jour spécial, puis maman me dit d’une voix trahissant sa consternation «Tu seras une Vraie Femme aujourd’hui». Après ces mots qui retentissaient comme un écho en mon sein, ils m’accompagnèrent tous dans la case lugubre d’une vieille femme. À travers son regard glacial et son visage livide, j’ai su que ce jour resterait à jamais gravé dans ma mémoire. Elle demanda, d’un ton autoritaire, à ma mère et à mes tantes de me tenir fermement, les jambes écartées. Puis elle sortit les outils de la torture qu’étaient ses lames, et commença, dénuée de toute délicatesse sa sale besogne. Avoir mal était un mot bien faible pour exprimer la douleur que je ressentais à ce moment. Je n’avais jamais ressenti de douleur aussi profonde de toute ma vie. Je souffrais. J’aurais aimé qu’on me dise que ce n’était qu’un cauchemar. Et pourtant, c’était bien réel. J’agonisais tellement que je crus à un moment que j’allais succomber et passer de vie à trépas. Cette femme au visage livide m’avait tout pris…elle ne m’avait pas seulement dépourvue de ma chair et mon sang, elle m’avait dépourvue à jamais de mon enfance et de toute sexualité. Elle avait fait de moi une éternelle captive de la douleur.

J’avais entendu dire un jour qu’on ne naît pas Femme, mais qu’on le devient. Ce jour-là, j’étais devenue une Femme, une Femme qui s’était promise que sa fille deviendrait une Femme mais d’une toute autre façon. Je m’étais promise ce jour-là que ma fille ne suivrait pas mes pas, ni ceux de celles qui m’ont précédées. Ma fille serait la Vaillante, celle qui élève sa voix contre cette coutume, la Femme de la Révolution que je n’ai pas pu être.

Josée-Maria Danho

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