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Un Procès PetroCaribe, 115 ans après celui de la Consolidation ?

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La gestion du fonds PetroCaribe au cours des dix dernières années en Haïti est peut-être le plus gros scandale financier qu’Haïti ait connu (voir la vidéo de Ayibopost « PetroCaribe pour les nuls »).  Qu’on ne s’emballe pas : il y a des centaines de scandales en Haïti. Des fourberies et des sinécures pullulent à chaque nouveau gouvernement au su ou à l’insu des dirigeants. Telle une omerta planant sur la corruption dans ce pays, personne n’est tenu responsable, la justice impuissante n’investigue pas assez, les journalistes ne font pas mieux, parce qu’impossible de trouver les ressources ou l’indépendance pour mener leurs enquêtes. Pourtant, les journalistes sans être des justiciers devraient (et même pas s’ils le voulaient) aider la société à comprendre davantage, à s’informer intelligemment et non pas se limiter à ne rapporter que des propos. Alors, la société civile, les jeunes peuvent-ils être à l’origine d’un mouvement social pour exiger qu’un Procès PetroCaribe ait lieu? Si le Procès de la Consolidation fut une réponse politique, peut-on espérer une réponse politique sur l’affaire PetroCaribe en laissant la justice faire son travail en toute indépendance sous l’impulsion d’un mouvement populaire ?

 

Le Procès de la Consolidation

Dans l’histoire d’Haïti, l’un des procès – peut-être le seul, sur un gros scandale financier que le pays n’ait jamais abouti fut celui de la Consolidation (20 mars 1903 – 25 décembre 1904). Les contextes ont peu ou prou une certaine similarité puisqu’il est question de dettes, de malversations, d’usage de faux, de doublement de paiement, de projets imaginaires et tout le saint-frusquin de la corruption mais les mécanismes diffèrent. Pour la Consolidation, selon ce que rapporte l’historien Leslie Péan dans son « Économie politique de la corruption » (Tome 2), c’était pour « pour conforter ses partisans qui dénonçaient l’illégitimité de la banque française installée en Haïti sous le nom de Banque Nationale d’Haïti » que «le président Nord Alexis permettra que soit investiguée et dénoncée une vaste entreprise de fraude financière.» (1)

L’État haïtien, comme toujours, n’arrivant pas à payer ses fonctionnaires emprunte de l’extérieur, et de l’intérieur chez des commerçants allemands et français. Pour pouvoir bien contrôler la dette, le gouvernement de Tirésias Simon Sam décide « de consolider toutes les dettes par plusieurs lois votées entre les mois d’octobre et décembre 1897» et d’autres lois seront votées en 1900 et 1901 (1). C’est la Banque Nationale d’Haïti, française à l’époque (oui, encore les Français même après la dette de l’indépendance) qui était chargée de la consolidation. Notez que la Banque Nationale de la République d’Haïti ne deviendra banque haïtienne qu’en 1947, puis en 1979 se scindera en une banque commerciale (BNC) et la BRH que nous connaissons.

Pour chaque emprunt de 166 (2/3) gourdes ou 200 gourdes, selon ce que rapporte Leslie Péan, l’État émet un bon de 100 dollars américains à 5% l’an (à la fin du 19e siècle, 1 gourde = 5 francs, puis à partir de 1912, 5 gourdes = 1 dollar américain). Un bon d’État est un investissement à taux fixe dont la durée est connue; en achetant un, on prête de l’argent à l’État. Plus l’intérêt est grand, plus l’acheteur aura de bénéfices. De plus, le fait même d’émettre des bons en dollars pour des emprunts effectués en gourde favorise largement les acheteurs au détriment du Trésor public. C’est normal que les États vendent leurs dettes, émettent des bons et empruntent. Mais pour la Consolidation qui sont ces acheteurs et ces emprunteurs?

Dans le cas de cette consolidation dont la banque française était garante, «Les commanditaires et bénéficiaires de cette fraude sont le Président Tirésias Simon Sam, ses Ministres et conseillers, et les dirigeants allemands et français de la Banque Nationale d’Haïti (BNH)». Comment les fraudes se sont-elles passées? Les bons de consolidation de la dette « furent l’objet de toutes sortes de trafic, de double paiement, de commissions illicites, de majorations des montants et des taux d’intérêt, de paiements pour des travaux imaginaires » (1). En clair, « les responsables de la Banque de connivence avec le président de la République et ses Ministres ainsi que des hommes de paille ont sciemment décidé de voler l’État en remettant dans le circuit financier des créances déjà acquittées, en créant d’autres pour lesquelles la banque n’avait parfois aucun dossier, en présentant des dossiers au nom de débiteurs fictifs, etc.»

Dans l’acte d’accusation du 27 octobre 1904, les fraudes commises entre 1892 et 1901 étaient de « 3 428 500 dollars [américain], soit plus de deux tiers des recettes budgétaires annuelles estimées alors entre quatre et cinq millions de dollars américains.» (1) En tenant compte de l’érosion monétaire calculée à partir des indices d’inflation (1913-2018) et en utilisant le site de calcul de l’inflation du Département du travail américain (2), ce montant équivaut aujourd’hui à 88 163 527.65 dollars américains.

Pourtant, faisons court, des comdamnés, quand ils n’ont pas pris la fuite, se sont retrouvés au pouvoir ; d’ailleurs, trois de ces comdamnés furent présidents de la république (Cincinnatus Leconte, Tancrède Auguste, et Vilbrun Guillaume Sam entre 1911 et 1915 (1)). Nous avons toujours eu plus de corrompus que d’honnêtes citoyens à la tête de l’administration publique.

Il est vrai que ce pays tourne en rond, répète les mêmes erreurs, ne tire pas des leçons du passé, mais en aucun cas nous ne devons laisser passer la chance que lumière soit faite sur ce dossier, ou que les accusés se retrouvent amnistiés.

Un Procès PetroCaribe à l’exemple des récents procès de corruption en Amérique ?

 Si Haïti importe tout, bon gré mal gré, elle n’importe pas encore les modèles de justice ni les modèles de gouvernance efficaces. C’est fort à parier que tellement de gens de cette société vont être mouillés dans un procès pareil que cela va tarder à se concrétiser. Pourtant c’est une nécessité si l’on veut instaurer de la confiance envers le système judiciaire haïtien. Les langues doivent se délier et mettre les corrompus devant leur responsabilité. Les exemples sur le continent américain sont nombreux.

Au cours des huit dernières années, des scandales ont éclaté un peu partout dans les Amériques : il y a eu la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, dite « commission Charbonneau » au Québec (Canada) mettant en lumière des cas de corruption, de collusion, d’infiltration du crime organisé sur les chantiers et de financement occulte de partis depuis quinze ans (3) ; l’affaire Petrobras au Brésil ; en Argentine, des fonctionnaires et dirigeants de société emprisonnés pour avoir versé des pots-de-vin pour l’obtention de contrats, même l’ancienne présidente Cristina Kirchner (2007-2015) a été entendue par la justice ; au Pérou, ce sont des juges qui ont été contraints de démissionner ; au Salvador, l’ancien président Elias Antonio Saca (2004-2009) est en prison et a reconnu avoir détourné plus de 300 millions de dollars, son successeur « Mauricio Funes (2009-2014), accusé du même type de délits et recherché, est en fuite au Nicaragua » (4); au Panama, c’est l’ex-chef d’État Ricardo Martinelli (2009-2014) qui est cité dans une vingtaine de dossiers de corruption, puis extradé vers les États-Unis.

S’il est dommage de constater que notre continent n’est pas exempt de cas de corruption, il y a espoir que des systèmes judiciaires puissent mettre un frein aux systèmes de corruption. La corruption n’est pas l’apanage propre des pays en voie de développement, mais tant que les institutions judiciaires de ces pays n’arrivent pas à la freiner ou la combattre efficacement, leurs populations ne verront jamais leurs desiderata pris en compte. Parfois, il suffit d’un juge. Un seul. Puis les autres suivront. La Justice haïtienne doit se rappeler le Procès de la Consolidation pour tout déballer et condamner même par contumace car les habitants de ce pays ont trop longtemps souffert.

Evidemment, tous les noms cités doivent pouvoir se défendre et s’exprimer librement. D’ailleurs, lors du Procès de la Consolidation, des accusés avaient fait appel en Cassation comme l’indique le document de plaidoirie des avocats de ceux déjà emprisonnés retrouvé sur le site du Congrès américain (5). Les avocats y ont exposé les motifs pour demander de casser la décision de la Chambre du Sénat pour vices de forme, évoque la préséance de la Chambre des Représentants du peuple, le principe de l’indivisibilité de crimes commis…enfin, tout ce que de bons avocats devaient dire pour défendre leurs clients.

Il y a une certitude, comme dans tous les gros scandales de corruption, plusieurs secteurs de la société vont être mouillés : des dirigeants d’entreprises privées aux entreprises publiques, des attachés de ministres aux receleurs du Parlement. Peu importe son titre, sa bourse et son parti, la justice doit tracer l’exemple. Le Procès de la Consolidation était « transparent », «plus de cent cinquante (150) séances d’audition et plus de deux cents (200) témoins» sont apparus devant les tribunaux et le système de corruption expliqué au détail près (1). Ne croyez pas que c’est simple de mener une telle enquête en 2018. Avec ce système corruptible que nous avons, il est très facile de passer dans les mailles du filet. Mais petits et gros poissons doivent rendre des comptes à la nation. Cela prendra du temps. Mais au moins, comme nous l’avons fait en 1904 avec le Procès de la Consolidation (un an d’auditions et de délibérations), un Procès PetroCaribe doit être un nouvel exemple pour l’Haïti de demain. Cela dépend des trois pouvoirs (Exécutif, Législatif et Judiciaire) aussi bien que des citoyens.

Depuis la semaine dernière un mouvement #PetroCaribeChallenge se répand en ligne pour une reddition de comptes. Alors comment s’organiser sur les réseaux sociaux pour qu’une mobilisation citoyenne soit effective?

 

Yvens Rumbold

Candidat a la maîtrise en communication

Michigan State University (Michigan, USA)

yrumbold@gmail.com

Sources consultées

*Les photos illustrant l’article sont des pages de Le Nouvelliste datant du 26 décembre 1904 au lendement de la publication du verdict du Procès de la Consolidation. Captures d’écran de la Bibliothèque numérique des Caraïbes : http://www.dloc.com/ . On y lit les noms des accusés et leurs peines.

La rédaction de Ayibopost

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